Chapitre 16

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La nuit était sur le point de tombée sur la grande pleine de Menheim.
Dante et moins étions cachés dans les fourrés, veillant de loin sur la caravane que nous devions infiltrer.
Plus tôt dans la journée, nous étions partie sans prévenir personne, à peine équipés : nous ne devions pas prendre le risque de nous faire fouiller et dépouiller de nos armes. De toute façon, je n'avais pas réussi à trouver Lux, que ce soit dans notre chambre commune ou ailleurs. Peut-être était-elle déjà partie en mission bien avant tout le monde.

— Tiens, prends ça, chuchota Dante en me lançant quelque chose que je rattrapai aisément.

J'ai observé l'objet, le tournant sur lui-même dans le creux de ma paume, l'inspectant sous toutes ses coutures.

— Du charbon ? demandai-je.
— Pour ta peau. Tu es trop pâle pour un Elfe noir, ils pourraient croire que tu es malade ou... Bref, ne prenons pas plus de risque que nécessaire. Barbouilles la peau qui est visible avec.

Surpris que Dante avait pensé à tout, je m'exécutai sans plus de questions. Il avait raison, alors pourquoi chercher plus ?
Au loin, la caravane s'était arrêtée au beau milieu du chemin, près à s'installer pour la nuit. De ce que je pouvais voir d'où j'étais, il n'y avait pas de soldats, juste le marchand et ses " marchandises " qui étaient chargées d'installer eux-mêmes le campement. Nous n'aurions pas trop de mal à nous faufiler parmi eux, sauf si l'un d'eux décidait de nous dénoncer.
Nous attendîmes une heure ou deux de plus, sagement cachés. Mes jambes commençaient à cramper à cause du manque de mouvement, de même que mon dos. Dante, lui, restait immobile, tel un prédateur chassant patiemment sa proie. J'en fus même légèrement impressionné. Après tout, j'avais toujours eu affaire au Dante impulsif et méchant, celui qui ne retenait pas ses coups et qui réfléchissait qu'une fois après.

— On bouge, murmura-t-il soudainement, me faisant sursauter. Le marchand est partie plus loin, il ne reste que les esclaves. Allez, bouges-toi !

Ni une, ni deux, il commença à courir vers notre objectif en restant légèrement accroupi. Je le suivis de mieux que je pouvais : Dante était plus grand et donc ses foulées plus longues.
Un léger feu de camp avait été allumé, et les esclaves étaient tous collés entre eux, essayant vainement de se réchauffer du froid qui commençait à poindre le bout de son nez. Malheureusement pour eux, les haillons qu'ils portaient ne leur étaient pas plus utiles que ça.
Dans le lot, je repérai plusieurs Elfes noirs qui m'étaient tous inconnus, ils devaient provenir d'un autre village de le mien. Certains semblaient à peine plus âgés que Dante et moi.
Une rage sourde pris soudainement place dans mon cœur et je tentai de la contrôler : il ne fallait pas que je fasse le moindre écart de conduite et me faire remarquer.
Je rejoignis Dante qui s'était assis derrière l'un des chariots contenant des barreaux pour garder prisonnier les esclaves les plus faibles qui ne pouvaient pas marcher derrière comme les autres. Il était en train d'arracher de manière la plus convaincante qu'il soit une partie de ses vêtements, tentant de les faire ressembler à des haillons et paraître plus crédible en tant que prisonnier.
Je me mis à en faire de même.

— T'es sûr que ça va fonctionnait ? lui demandai-je pour la énième fois.
— De toute façon, nous n'avons plus le choix. Le marchand est revenue et on ne peut plus fuir sans nous faire remarquer.

Il me montra du menton un Homme baraqué, presque autant que Garr'uh lui-même. Il avait un air peu avenant et des yeux vicieux et méchants.
Un frisson me vrilla le dos. Je le sentais mal.
Ses yeux se posèrent sur nous et sa bouche difforme se contracta dans une grimace cruelle.

— Eh, vous deux ! J'peux savoir pourquoi vous faites pas vot' travail ? brailla-t-il en commun.
— Désolé m'sieur ! répondit Dante avec un accent elfique appuyé et une moue apeurée finement jouée. Faisons ce qu'il dit, continua-t-il en elfique à mon intention.

Il me releva brusquement en me tirant par le bras et nous rejoignîmes les autres prisonniers près du feu, bien dans le champ visuel de l'Homme.
Dante se cala entre deux Elfes noirs un peu plus jeunes que nous et me tira à lui pour me serrer dans ses bras.

— Joues la comédie, me chuchota-t-il à l'oreille avant de prendre son visage le plus anxieux.

Je laissai alors sortir mon angoisse et ma peur : je me suis tassé un peu plus sur moi-même, les yeux brillants de larmes.
Dante engagea légèrement la conversation avec quelques prisonniers, histoire de savoir un peu plus comment se comporter, mais un ordre vindicatif du marchand fit taire tout le monde.
Je fermai les yeux, me laissant emporter par les sensations autours de moi. Le corps de Dante contre moi était crispé, je ne sus pas si c'était de stress ou de colère de voir tant des siens aux mêmes endroit, dans de si mauvaises conditions.
En plus de nombreux Elfes, il y avait aussi quelques Nains, un Orc et même d'autres Hommes, sûrement des rebelles ou des déserteurs. Mais tous semblaient s'entraider, laissant de côté leurs rancunes raciales. Après tout, ils étaient tous dans le même panier, ils n'étaient plus des ennemis mais des compagnons de souffrance et d'esclavage. C'était quand même aberrant qu'il faille des conditions aussi inhumaine pour en faire réfléchir certains...

— Machiavel ?

Dante me secoua légèrement l'épaule et j'ouvris les yeux.

— Mh ?
— L'Homme a dit qu'il fallait qu'on retourne dans les chariots.

Je me levai difficilement et suivis le troupeau, regardant les prisonnier se raccrocher eux-mêmes aux chaînes attachées aux barreaux des prisons mobiles. Certains se mirent à l'intérieur, d'autres se couchèrent à même le sol tout autour, grelottant car loin du feu, dont seul le marchand profitait à présent.
Je pris la place d'une Elfe qui semblait enceinte qui allait se coucher par terre et lui dis de monter dans la chariot, qu'il ne fallait par qu'elle fasse d'efforts dans son état.
Elle me sourit, les larmes aux yeux et m'embrassa le front, me faisant rougir.
Dante ricana à mes côtés et ordonna presque à un vieillard de suivre la femme enceinte.
Je m'assis, dos contre l'une des roues, le bras relevé par la chaînes trop courte. Impossible pour moi de dormir. Pas alors que la colère tentait de dévorer tout mon être.



Plusieurs jours étaient passés depuis notre infiltration réussie parmi les autres prisonniers. Plusieurs jours de marche éprouvante à une cadence beaucoup trop rapide, nous obligeant à trottiner ou courir pendant des heures sans aucune pause.
Plusieurs jours sans manger et à dormir à la belle étoile dans le froid de plus en plus glaciale au fur et à mesure que nous faisions route vers le Grand Nord, vers les étendues enneigées de Menheim, bien loin des volcans et du désert chaud et aride d'Alfheim.
Plusieurs de nos compagnons de routes étaient morts, que ça soit pendant la nuit à cause du froid, ou pendant la journée à cause de la fatigue. Les cadavres encore attachés aux caravanes étaient traînés sur des kilomètres, personne ne pouvant les soutenir ou les détacher.
Une fois par jour, l'Homme nous donnait une petite ration d'eau que nous devions prendre avant de commencer à faire route pour toute la journée jusqu'à la tombée de la nuit.
Personne ne parlait, tous gardaient leur énergie pour affronter les longues heures de routes et le froid le soir. Même ceux entassés dans les caravanes de pipaient mots. Tous étaient moroses. Les seuls sons que l'on pouvait entendre étaient le martèlements des sabots des imposants chevaux sur le sol rocailleux, les ordres tempétueux de l'Homme et les pleurs étouffés des enfants apeurés et épuisés.

— Je sens que je vais tuer quelqu'un, prononça Dante le quatrième soir, alors que nous ramassions du bois pour le feu de camps.

Je pouvais voir qu'il fixait de loin l'Homme qui venait de gifler une jeune Naine, la faisant tomber au sol.

— Je comprends ce que tu ressens Dante, mais nous ne pouvons rien faire. Ce type est notre seul chance d'arriver à notre cible, répondis-je sur un ton qui se voulait apaisant alors que je voulais le rejoindre pour arracher une par une les tripes du marchand.
— Je sais ! s'écria-t-il avant de baisser la voix. Mais si ça n'avait pas été le cas, crois-moi qu'il ne serait plus que la bouillie à l'heure qu'il est.

Je lui envoyai un sourire fatigué avant de retourner à ma tâche du soir.

— Dis-toi que quand nous aurons fini cette mission, nous serons entraînés pour être de vrais assassins et nous pourrons éradiquer ce genre de vermine de la surface d'Yggdrasil, finis-je par répondre avant de retourner auprès des autres prisonniers avec lesquels s'étaient formés une sorte de lien étrange, un mélange entre la solidarité et la convivialité.



Ce ne fut que deux jours plus tard que arrivâmes aux portes d'une ville des Hommes. Il y avait du monde dans les rues et de nombreux curieux observaient les caravanes entraient sur la place. Il y eu même quelques rires et des cris de joie.
C'était la première fois que je voyais une ville ouverte sur l'extérieur et des maisons en bois. Mais ma peur m'empêchait d'être émerveillé et plein de curiosité.
Je vis du coin de l'œil Dante s'agiter comme une bête sauvage, énervé de l'attention malsaine que nous portaient des dizaines et des dizaines d'Hommes qui se réjouissaient de voir d'autres êtres emprisonnés et enchaînés comme des animaux de spectacles.
Les chevaux s'arrêtèrent brusquement sur un ordre crié par marchand et je faillis trébucher en me prenant les pieds dans ma chaîne.
J'avais du mal à tenir debout à cause de manque de sommeil et de nourriture, sans compter la pression et l'angoisse qui commençait à se développer dans tout mon corps à cause du trop plein de monde qui s'approchait de plus en plus pour inspecter les marchandises.
Une main gelée et forte m'agrippa le bras, me mettant face à une femme grande et aux odeurs de parfums étouffantes. Elle était poudrée de partout et portait de longs vêtements en fourrure teints dans des couleurs exotiques qui me rappelaient les chemises de Dante, faisant ressortir ses longs cheveux blonds savamment coiffés.
Elle m'inspecta sous toutes les coutures, forçant même ma bouche de ses doigts pour regarder mes dents. Elle parût satisfaite de ce qu'elle vit et me détacha grasse à une petite clé en or qu'elle gardait autour du cou. Je crus, seulement un instant, qu'elle allait me libérer et m'aider mais ce fut avant qu'elle m'accroche d'elle-même une sorte de gros collier en fer brut autour du cou, rattaché à une longue corde qu'elle tenait dans sa main.
Puis elle me traîna derrière elle, le collier me cisaillant la peau à chaque mouvement de ma part.
Elle fit la même chose à plusieurs autres Elfes du même âge que moi, garçons ou filles, avant se rapprocher de Dante qui tentait de se débattre de la poigne d'un grand Homme roux et aux bras épais comme des troncs d'arbres.

— Il est à moins, Hadvard, prononça la Femme d'une voix mielleuse qui sonnait excessivement faux.

Le-dît Hadvard sembla mécontent mais il lâcha quand même Dante avant d'aller voir ailleurs.
La Femme s'approcha de mon acolyte et recommença son manège d'inspection, toute fois bien prudente qu'avec les autres à cause de l'air mauvais que Dante dégageait.
Elle sourit, satisfaite.

— Tu feras l'affaire, mais il faudra d'abord te dresser pour que tu sois aussi doux qu'un agneau, grinça-t-elle en tapotant la joue de l'Elfe.

Dante essaya de la mordre et mais elle lui frappa la joue du dos de la main. Le son de la claque résonna dans toute la place et Dante saigna de la lèvre qui s'était ouverte sous le coup à cause des nombreuses bagues qu'elle portait aux doigts.
La Femme le fit attacher par ce qui semblait être un de ses hommes de mains et nous fit marcher derrière elle jusqu'au marchand, auquel elle donna une bourse d'or très bien fournie. Ce dernier lui envoya un sourire édenté qui se voulu séducteur mais la Femme s'éloignait déjà vers un grand établissement aux grandes poutres colorés et au toit de chaume.

— Bienvenue dans votre nouveau chez-vous, mes chers petits, gloussa-t-elle en ouvrant grand les portes de la bâtisses, dévoilant un intérieur chargé d'odeurs de parfums et de sexe, au murs de velours rouges et aux nombreux esclaves aux tenues charmeuses et extravagantes.

Je lançai à Dante un regard apeuré avant que je ne sois contraint d'avancer si je ne voulais pas finir décapité par le tranchant du collier.

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