Chapitre 18

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- Il faut qu'on trouve un moyen de retourner à l'Institut.

Il faisait froid dans la grange, malgré le Soleil levé et le petit feu que Dante avait fait pour nous réchauffer avec de la vieille paille humide de neige et quelques copeaux de bois issus de la bâtisse. Cela faisait plusieurs heures que nous étions collés l'un à l'autre pour maintenir un semblant de chaleur, sans grand succès.
Dante réfléchit quelques instants, fixant le feu qui se reflétait dans ses yeux, leur donnant une lueur presque qu'inquiétante.

- Il faudrait qu'on puisse trouver un transport, quelque chose. Impossible de marcher dans la neige à peine vêtu, continuai-je en enveloppant un peu plus le long manteau chaud autour de mon corps.
- Ils sont à notre recherche Machiavel, qu'est-ce qui te dit qu'ils n'ont pas posté des hommes de main sur les routes pour surveillaient les convois qui sortent de Menheim ?
- On pourrait soudoyer quelqu'un ? tentai-je en grelottant un peu plus.
- Avec quoi ? Nos charmes infaillibles et nos corps à demi-nus ? répondit-il avec sarcasme.

J'ai attrapé les quelques breloques que j'avais rangé dans l'un des poches du manteau et les tendis à Dante.

- C'est de l'or et des perles, fis-je. Ça doit bien valoir quelque chose, non ?

Il me les prit des mains et commença à les examiner. Il racla des dents l'une des perles et passa sa langue dessus.

- Les perles sont vraies, leur texture est sablonneuse, mais elles ne sont ni grosses ni vraiment très belles. Elles ne doivent pas valoir plus que quelques pièces d'or, et encore.
- Et les décorations en or ?
- Je ne suis pas sûr que ça soit de l'or pur, elles ne pèsent presque rien...

Je soupirai, défaitiste. Nous avions réussi notre Tâche mais nous n'avions aucun moyen de rentrer, quelle ironie.

- Eh, on va trouver un moyen, t'en fais pas.
- Arrêtes d'être aussi compatissant, c'est flippant à la longue, marmonnai-je, le visage enfouie dans mes genoux.

Il ricana gentiment mais ne dit rien pendant un petit moment.

- Il faut croire qu'il ne nous reste plus qu'à marcher...
- Avec ce temps, sans vivres, et vêtus juste d'un manteau trop grand ? Pendant des jours et des jours, sans compter qu'il faut déjà se repérer avec la tempête de neige qui se prépare ?
- Je sais, c'est idiot, mais...
- Mais rien du tout ! renchérit Dante. Je veux pas crever comme un con, tu m'entends ?
- Alors propose autre chose, puisque tu es si intelligent !
- C'est sûr que je vais pas compter sur un débile qui sait rien à la vie !

Le ton montait, sûrement à cause du stress, de la peur, de la fatigue et de la faim. Mais c'était incontrôlable.
Je me levai brusquement, poussant Dante, et je sortis dehors sans un regard en arrière.
Le vent soufflait et me cinglait le visage, les jambes et les mains. Mais je n'en avais cure, je voulais juste partir le plus loin possible, loin de Dante et de ses remarques acerbes.
Je marchai pendant plusieurs minutes, sans voir à plus d'un mètre devant à part un épais manteau blanc et les flocons qui me rentraient dans les yeux. J'avais froid et je ne sentais presque plus mes pieds, mais je pouvais pas non plus faire demi-tour. J'avais pris une direction au hasard sous la colère, sans chercher à me repérer par rapport à la vieille grange.
Incapable de me retenir, je criai dans le froid désertique et solitaire.
Je criai ma rage, ma peur, mon angoisse, ma peine.
Je criai jusqu'à ne plus avoir de souffle, de larmes et de remords, pendant ce qui me parut des siècles.

- Eh bien, petit, tu as en du coffre, retentit une voix caverneuse et familière.

Ma voix de coupa et je repris mon souffle en inspirant de courtes bouffées d'air froid qui tailladaient ma gorge abîmée.

- Ga... Garr'uh ? demandai-je incertain, regardant tout autour de moi.

Un large silhouette sombre se découpa dans l'immensité immaculée qui m'entourait, et la stature massive de l'Orc fit son apparition. Il m'observa, quelque peu inquiet.

- Bon sang, mais dans quoi vous êtes-vous fourrés tous les deux ? marmonna-t-il en voyant le sang séché sur l'espèce de pagne que je portait, visible à cause du manteau entrouvert. Allons viens, je vais te ramener à ton copain.
- Vous avez trouvé Dante ? demandai-je avec incrédulité.
- Ça fait des jours qu'on vous attends à l'Institut ! Le vieil Einherji m'a envoyé vous chercher. J'ai voulu faire une halte dans la vieille grange où vous avez trouvé refuge, ça aurait été stupide et dangereux de vouloir continuer à marcher en pleine tempête. Quelle ne fût pas surprise de tomber sur un Elfe inquiet pour son compagnon, ah ! J'ai pas eu cherché longtemps pour te retrouver, petit, on t'aurait entendu à des kilomètres. Tu voulais rameuté tous les loups des environs ?
- Je..., commençais-je à bredouiller.
- Ne t'inquiètes pas, gamin. Dante m'a raconté ce qu'il s'était passé. Je suis content que vous ayez réussi votre Tâche, mais je m'en veux de ne pas vous avoir préparé plus à ça. Ce n'est jamais simple d'enlever la vie de quelqu'un quand on est encore innocent.
- Ce n'est rien, je... c'était une mauvaise personne.
- Lui, oui, mais parfois, dans notre travail, on nous ne demande pas de savoir si, oui ou non, la personne vaut vraiment la peine de mourir. Nous avons parfois des clients peu scrupuleux, la nature humaine peut franchement être dégueulasse quand il s'agit de richesses ou de pouvoir.

Nous finassâmes par arriver à la grange qu'au bout de seulement quelques minutes, à croire que je n'avais juste fait que tourner en rond, impossible à dire.

- Bon sang, tu m'as fait peur quand tu t'es enfuie si subitement, m'alpaga Dante en me prenant dans ses bras.

Je n'avais pas la motivation nécessaire pour le repousser alors je le laissai faire.

- Vous avez de la chance que je vous ai retrouvé, les mioches. Je vois pas comment vous auriez fait sinon. Nous allons attendre que la tempête se calme puis je vous conduirez dans un endroit dont vous garderez l'existence secrète, d'accord ?

Nous acquiesçâmes.

- Bien, maintenant, je veux que vous me racontiez en détails ce qu'il s'est passé.

Dante commença à lui expliquer le plan qu'il avait eu pendant qu'il me poussa au plus près du feu, échangeant son manteau avec le mien devenue humide par la neige fondue. Il raconta les longues journées de marches, l'horrible calvaire que les prisonniers devaient traverser, l'arriver en ville et les gens qui nous regardaient comme des bêtes de foires. Puis les conditions des jeunes Elfes qui devaient servir d'esclave pour de riches véreux, l'ambiance et les tenues qui leurs faisaient porter. Il raconta aussi le moment où il m'avait cherché après avoir poussé l'un des client dans un des braseros qui dégageaient des parfums d'encens désinhibiteurs pour faire une diversion, et qu'il m'avait trouvé coincé sous le cadavre de la cible à abattre, en pleine léthargie.
Garr'uh me lança un regard étrange mas je l'ignorai, ayant peur d'y voir de la honte ou quelque chose du même style. Sa grande main épaisse se posa délicatement sur mes cheveux.

- Tu n'as pas en t'en faire, Machiavel. C'est de ma faute, d'accord ? J'aurais dû être plus conciliant avec des novices. Einherji m'a déjà puni pour avoir été trop injuste avec vous tous. Certains sont revenus de leurs Tâches blessés, certains gravement. Ce n'était pas ce que je voulais.
- Vous vouliez juste voir de quoi on était capable, répondit Dante et j'acquiesçai. Voir si on avait les tripes pour être des disciples dignes de l'Institut. Maintenant, vous avez votre réponse, finit-il un peu plus sèchement.



La tempête ne dura pas longtemps et Garr'uh nous enjoignit à le suivre jusqu'à un ridicule petit bosquet perdu au milieu de la grande pleine rocheuse. Parmi les arbres, il y avait une stèle de pierre recouverte de mousse, d'une taille moyenne, qui m'arrivait presque aux hanches.

- Qu'est-ce que c'est ? demandai-je en inspectant les gravures runiques.
- Notre moyen de transport, répondit Garr'uh en s'agenouillant devant la stèle et en posant ses mains sur la gravure en reliefs d'un arbre finement détaillé alors que tout le reste de la pierre était assez brouillon. Ô Nótt, gloire à toi et que ton destrier de nuit puisse nous venir en aide.

Soudain, un hennissement résonna tout autour de nous et une obscurité sans faille nous recouvrit. Même la nyctalopie ne put m'aider à ne serait-ce qu'apercevoir Garr'uh et Dante.
Puis la lumière revint, légèrement tamisé par les immenses racines qui nous entouraient.
Des racines ?!
Je me tournai sur moi-même, ébahis de ne plus voir les plaines enneigées de Menheim mais d'immenses racines qui formaient d'elle-même une sorte de petit sanctuaire cachée pour la stèle. Mais qu'est-ce qui s'était passé ?
Garr'uh se releva tranquillement en époussetant ses genoux.

- Jeunes gens, ce que vous venais de vivre doit rester un secret entre nous, du moins jusqu'à que vous soyez de jeunes assassins accomplis, compris ? Le sanctuaire de Nótt n'est utilisé qu'en cas de besoin, ce n'est pas un jouet. Maintenant venez, les autres vous attendent.

Il sortit par la minuscule crevasse qui laissait rentrer un léger filet de lumière.
Je regardai Dante, ébahit mais fier de l'avoir mouché sur ce coup-là : les assassin utilisaient bel et bien de la magie !
Il grommela quelque chose et prit la suite de Garr'uh, mauvais joueur.


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