Chapitre 13

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Garr'uh nous fit entrer, prenant la tête de file. L'entrée de l'arbre déboucha sur un long couloir sinueux et étroit, laissant à peine assez de place à l'Orc pour passer.
Nous arrivâmes finalement dans une grande pièce qui devait faire toute la circonférence de l'arbre. Tout était en bois et taillé à même ce dernier. Deux grands escaliers nous faisaient face depuis l'autre bout de la pièce et menaient vers les hauteurs où plusieurs grandes ouvertures étaient apercevables de là où nous étions. La lumière du jour passait à travers de très hautes branches, me laissant enfin savoir l'heure : nous étions en fin d'après-midi, le Soleil déclinait. Nous étions arrivés juste avant la fin du temps imparti.

Au centre de la grande pièce, aux pieds des escaliers, un petit groupe de personnes hétéroclites nous attendaient déjà.

— Vous êtes les derniers, confirma Garr'uh à mon observation muette. Allons rejoindre les autres, que l'on vous assigne à vous chambres et que vous alliez manger. Vous allez avoir besoin de repos car les premières leçons commencent demain dès l'aube !

Notre groupe se rapprocha des autres et je pus discerner d'un peu plus près mes futurs camarades – et peut-être amis.
Il y avait trois Hommes, tous très différents les uns des autres : l'un d'eux était très grand, avec un embonpoint, bedonnant, brun et avait un air benêt ; un autre était maigre, roux et avait les incisives supérieures beaucoup trop grandes pour sa propre bouche ; quant au dernier, il me faisait penser à Dante mais en version humaine, avec son air fier et vaniteux, sa large carrure et ses cheveux clairs.
Un peu plus loin, une naine aux cheveux bruns et bouclés à la peau basanée était en armure de cuire et jonglait avec de toutes petites dagues – je compris bien plus tard et contre mon gré que c'étaient des couteaux de lancer. Elle discutait avec une toute jeune Orc assez fine – beaucoup même, si je la comparait avec Garr'uh – et timide, à la peau grisâtre, aux yeux bleus très clairs et à la coupe iroquoise composée de longues dreadlocks noires tressées entre elles.
Près d'un mur, entre les deux grands escaliers, une sorte de caillou géant ou de gros tas de glaise à la forme humanoïde se tenait assis près d'un mur, essayant de se faire tout petit et de se camoufler, ce qui aurait sûrement très bien fonctionné si les murs avaient été en pierres brutes et non en bois clair et ciselé.

— C'est un jötun, me chuchota Lux à l'oreille tandis qu'elle faisait la même inspection de la pièce que moi, juchée sur mon épaule.
— Tu penses qu'il est ici pour la même chose que nous ? répondis-je en calculant de tête la taille qu'il devait faire une fois entièrement debout.
— Il serait là pour quoi, sinon ? Même si j'avoue que sa corpulence risque de poser un problème...
— Bouges ton cul, t'auras tout le temps de regarder demain, retentit la voix chuchotante de Dante à mon oreille alors qu'il me poussait d'une main dans le dos.

Arrivé devant les escaliers, je m'aperçus qu'une nouvelle personne avait fait son entrée dans la pièce et se tenait près de Garr'uh, sur un piédestal. C'était un viel Homme rabougri, aux cheveux pratiquement absents sur le crâne, les sourcils broussailleux, le dos bossu, les mains maigres et tâchées appuyées sur une canne en bois à l'aspect un peu bizarre et toute tordue.
Quand il commença à parler, sa voix forte et sans fioritures raisonna dans toute la pièce jusqu'en dans la cime de l'arbre.

— Bienvenue aux nouveaux adhérents de l'Institut, puisse votre avenir être favorable. Je crains que nous ayons pas le temps de faire amplement connaissances avec tous vos futurs maîtres d'armes et instituteurs mais je vais quand même me présenter : je suis Maître Einherji*, l'actuel dirigeant de l'Institut et je suis chargé de surveiller votre évolution au cour de votre apprentissage et de vous attribuer des Tâches.

Un silence à en faire pâlir les mort flotta.

— Bien, maintenant que tout est clair, je vais vous demander de bien vouloir suivre Maître Garr'uh, votre instituteur en stratégie, afin qu'il puisse vous assigner à vos chambre.

Maître Einherji se retira par une grande porte en fer forgé noire, situait entre les deux escaliers.
Tout le monde se mit à suivre Garr'uh à travers les étages. Il mit la Naine et l'Orc ensemble, le grand Homme avec le rouquin, Homme-Dante avec Dante – les deux se fusillèrent du regard, pleins de ressentiments et de haine raciale – et le Jötun eu droit à une chambre pour lui tout seul.
Garr'uh s'arrêta tout au fond du couloir, devant ce qui était la porte de ma chambre partagée avec Lux pour les prochaine années.

— Bonne chance, petit, t'en auras bien besoin, me dit-il en repartant après m'avoir tapoté l'épaule.

J'entrai dans la chambre. Lux s'envola directement vers le petit coin de lumière qui entrait dans la pièce par la cime de l'Institut.
La décoration de la pièce était très simple, le strict minimum : un matelas rembourré de paille et de plumes, une table dans un coin et un meuble de rangement. Sur celui-ci, un matelas identique au mien en format miniature y était.
Savaient-ils d'avance qui arriverait à l'Institut ?
J'haussai des épaules, pas vraiment sûr de vouloir le pourquoi du comment car tout cela me semblait bien obscure, et je commençais à ranger le peu de mes affaires, rangeant mes rares habits dans le meuble, empilant les livres près de mon lit.

— Je suis contente d'être avec toi, dit Lux après avoir passé quelques minutes à la lumière du Soleil couchant. Les autres me font un peu peur et Dante est insupportable !

Je souris.

— Il faut des années pour s'habituer à lui... Tu n'as pas d'affaires avec toi?

Le regard de la fée se fit triste et ses battements d'ailes moins énergiques.

— J'ai tout perdu. Absolument tout. Ma famille, mon peuple... Ma décision de venir ici s'est fait sur un coup de tête.

Elle s'essaya sur son matelas, hésitante à se confier. Je ne la forçai en rien à continuer, j'avais moi-même la conscience suffisamment lourde pour comprendre Lux.
Je m'adossai au mur et pris un livre au hasard, faisant semblant de lire pour la laisser réfléchir tranquillement.

— Des Hommes ont débarqué une nuit dans notre village, qui était rigoureusement caché de la vue de quiconque. Ils avaient suivies une des fées qui avait voulu s'aventurer trop près de la frontière que la Reine avait instaurée. Ils ont eu juste besoin d'une seule et unique torche pour tout faire brûler, que ça soit les habitations ou mon peuple...

Elle sanglota, ses petites mains cachaient son visage. Je ne pus pas besoin de plus pour savoir que la fée en question qui avait bravé les interdits était Lux elle-même et qu'elle s'en voulait atrocement de la mort de ses congénères.

— Lux... Ce n'est pas de ta faute, mais celle de la cruauté des Hommes et à leur racisme ordinaire. Il n'avait pas à exterminer un peuple inoffensif juste pour le plaisir !

Elle secoua la tête, les mains tordues et crochetées entre elles, l'air coupable.

— Les fées ne sont pas un peuple aussi inoffensif que mon apparence peut le faire croire, nous sommes en vérités de véritables petites pestes...

Elle soupira en s'essuyant le visage et se composa un visage intransigeant.

— Les Hommes nous détestent pour une bonne raison, reprit-elle.
— Lux, qu'est-ce que tu dois me dire ?

Pour toute réponse, elle se releva et son apparence changea : ses cheveux d'or devinrent aussi blanc que ceux de Dante, ses yeux passèrent du bleu céruléen à un noir aussi sombre que les ténèbres, sa peau devint grisâtre et ses ailes eurent un aspect plus maléfique.

— Nous attirons à nous la malchance. Je fais partie d'un peuple qui est à lui tout seul le mauvais augure.
— Alors c'est toi qui a possédé Dante dans les bois, la nuit dernière ?!

Lux rougit légèrement et se dandina de gêne.

— C'était juste un petit sort se rien du tout, il m'a fait peur quand il s'est mis à farfouiller dans le buisson qui me servait de cachette, c'était de la légitime défense... Je m'en suis voulu quand j'ai vu ton air paniqué alors qu'il allait t'attaquer, bougonna-t-elle.
— Je comprends mieux comment tu as pu le soigner rapidement, soupirai-je. Mais je te prierais de ne jamais recommencer, je ne veux pas mourir par la biais d'un supposé allié !

Lux m'offrit un grand sourire en me le promettant avant de reprendre son apparence " innocente ".

— Est-ce que tu pourrais ne parlais à personne de ce qu'y s'est passé ici ? Je me doute que les Assassins de l'Institut sont au courant, mais...
— Je te le promet, Lux. Nous sommes amis, après tout.
— Oui !
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*Einherji = guerrier, en norrois (à lire "ine-air-yi").

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