Chapitre 15

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— C'est tout ce dont tu es capable, l'Elfe ? ricana Humain-Dante en esquivant d'une facilité enfantine le coup de bâton qui visait son épaule.

Kal'ah avait eu raison : les Instituteurs avaient décidé de nous tester une nouvelle fois pour connaître plus précisément les aptitudes de chacun.
Le problème, c'était que le combat au corps à corps n'était vraiment ma tasse de thé.
De plus, Humain-Dante, plus connu sous le nom d'Alderick, en profitait allègrement pour me rabaisser.
Un coup de bâton de sa part me faucha les jambes et me fit chuter.

— Le combat est terminé, Alderick gagne, annonça avec ennui Garr'uh, nonchalamment adossé à un énorme rocher.

Je rejoignis Dante qui me regarda avec agacement. Je m'assis en tailleur, à même le sol en terre battue, et regardai entrer Dague et le Jötun dans le cercle formé par les autres apprentis, au milieu de la clairière éclairée par le Soleil déjà haut dans le ciel.

— Comment as-tu pu te faire battre par ce blaireau ? Tu me déçois !
— Je t'emmerde.

Un peu plus loin, Alderick me regardait d'un air goguenard avant de rire avec ses amis Hommes.

— Ils ont l'air d'être de parfaits crétins, continua à râler Dante.
— C'est vrai que toi, tu es un parfait génie. J'avais oublié.

Il me donna un coup dans l'épaule et continua à ruminer en regardant le combat qui venait de commencer. Malgré sa petite taille, Dague était suffisamment rapide et agile pour distancer l'imposant Jötun qui ne savait pas quoi faire du tout petit bout de bois dans sa grande main caillouteuse. Finalement, la Naine sauta et escalada le dos du géant recouvert de ce qui devait une tunique il y a plusieurs années, et se stabilisa du mieux qu'elle pu sur les épaules de sa futur victime qui commençait à s'agiter en essayant de la déloger. Dague leva bien haut le bâton et l'asséna avec violence sur le crâne chauve du Jötun. Il y eut un bruit de craquement et le bâton se cassa en deux. Le Jötun profita des quelques instants d'incrédulité de Dague pour saisir avec peine sa cheville et la balancer plusieurs mètres plus loin, en dehors du cercle de combat.

— Ymir l'emporte, annonça une fois de plus Garr'uh qui semblait le point de s'endormir à tout moment. Bien. (Il s'avança au milieu de la piste, les combats étaient tous terminés.) Je ne vous cache pas que vos performances sont pitoyables. Aucun ne se démarque.
— Vous êtes dur, quand même ! ne put s'empêcher de s'exclamer Dante, qui avait aisément gagner son combat contre l'Homme bedonnant – Magi, il me semblait.

Garr'uh esquissa un sourire effrayant.

— Parce que tu crois que tu es ici pour te faire des amis et batifoler, gamin ? Si c'est le cas, tu peux d'ors et déjà retourner pleurer dans les jupons de ta mère !

Dante blêmit et se tassa un peu sur lui-même.

— On va dire qu'aujourd'hui, vous n'étiez pas très frais à cause du contre-coup de l'épreuve précédente. Du coup, je vous donne une seconde chance : je vais vous attribuer à tous et à toute une Tâche de niveau variable selon les capacités de chacun. Si vous l'accomplissez, félicitation. Dans le cas contraire, vous pourrez faire vos bagage et laisser la place à des gens plus ambitieux.

Il y eut un silence si foudroyant qu'on cru entendre Thor traverser le ciel, chevauchant son char tiré par ses deux boucs, Tanngrisnir et Tanngnjóstr.
Garr'uh sortit de son grand manteau sombre une liasse de papiers qu'il commença à distribuer à chacun d'entre nous. Lux eut du mal à réceptionner le sien qui était deux fois plus grand qu'elle.
Arrivé en face de moi et de Dante, Garr'uh nous tendit un seul et unique papier.

— Vous aurez une mission en duo, qui est donc plus difficile. J'attends beaucoup de vous, c'est moi qui vous aies recruté. Ne me décevez pas.

Il partit sans un mot de plus, laissant ses élèves encore sous le choc.

— Oh merde..., chuchota Dante. Lis ça.

Il me tendit la Tâche et je pus déchiffrer du commun quelque chose comme " Infiltrer la maison [...] Menheim [...] la cible de [...] nom : Hjalmar  ".

— Je... je n'ai pas tout compris, marmonnai-je avec dépit.
— Ils nous demandent de tuer un Homme dans une maison close, au centre de Menheim, répondit Dante, le teint livide, la voix chevrotante et les yeux hagards. Il y a sa description physique et son nom.

Mon état ne fut pas loin du sien à la fin de sa phrase. La perspective de tuer quelqu'un était bien présente désormais. Je pensais qu'ils nous auraient préparés à ça, qu'ils nous auraient appris des techniques de relaxation mentale pour ne pas trop y penser ou pour se déconnecter légèrement de l'instant pendant que tu effectuerions notre travail.
Mais là, nous étions encore moins que des novices ! Je n'avais aucune compétence pour l'assassinat, le combat ou même le déguisement pour ne serait-ce qu'atteindre la localisation de la cible.
La cible.
Ce n'était même pas décrit comme une personne, juste un objectif, un objet sans âme, sans sentiments.
Je me levai précipitamment et allai rejeter le repas de ce matin dans les fourrés.
J'entendis un bruissement de feuille et une main chaude me malaxa le haut du dos.

— On va trouver une solution, Machiavel.

Je levai les yeux, m'essuyant les yeux. Le visage de Dante avait changé : ses yeux brûlaient de colère mais son visage reflétait la détermination.
J'ai dégluti et acquiescé faiblement, encore tremblotant.

— Il faut mettre en place un plan, et rapidement. Les autres commencent à sortir de leur stupeur et rien ne dit qu'ils n'ont pas la même mission que nous. Ça va aller ?
— Il le faut, répondis-je d'une voix rauque et abîmée par la bile. Tu envisages quoi ?

Dante observa les alentours et m'incita à aller un peu plus profondément dans les bois, loin des oreilles des indiscrètes.
Je l'ai alors aider à grimper un arbre, nous cachant le plus possible des autres.
Il sembla mal à l'aise, mais il ne fit aucune remarque désobligeante.

— Bien, commença-t-il, une fois à peu près stabilisé sur la branche sur laquelle il était assis à califourchon. Mes parents m'ont beaucoup parlé de ce qu'il advenait des Elfes qui étaient capturés loin de leurs contrées ou à la frontière entre Alfheim et Menheim.
— Je suppose qu'ils les utilisent dans leurs bordel ? demandais-je avec un certain espoir que ça soit faux.
— Oui... À croire qu'ils ont des fantasmes de supériorités assez... Passons. On va s'infiltrer dans la maison close en nous faisons passer pour des esclaves sexuels.

Ma réaction fut inattendue, même pour moi : je lui ai mis mon poing dans la gueule.

— Mais t'es complètement malade ?! me suis-je écrié.

Il se massa la joue, le regard sombre.

— Ça ne me fait pas plus plaisir qu'à toi, mais c'est le seul moyen. Sinon on se fera tuer et tout cela n'aura servi à rien !
— Et comment tu comptes t'y prendre pour infiltrer un bordel ?!
— Il y a des caravanes chargées d'esclaves qui passent régulièrement près de la frontière.

Je l'ai regardé suspicieusement.

— Comment est-ce que tu peux savoir ça ?
— Un soldat avec qui j'ai...  passé du bon temps... me l'a dit. Un type qui surveillait la frontière.
— Bon sang !

Je me suis pris la tête entre les mains, incapable de réfléchir à quoique ce soit.
Dante ne se découragea pas et continua à exposer son plan :

— Je sais aussi que cette caravane fait halte à quelques minutes de la frontière, sur le bord d'un chemin en direction du Nord, pour la nuit. Nous n'aurons qu'à la suivre de loin et se faufiler parmi les autres esclaves.

J'ai ricané, amer.

— Tu te rends compte qu'il y a un nombre conséquent de failles, n'est-ce pas ? Qui te dis que la caravane n'a pas de soldats avec ? Que les prisonniers ne vont pas faire de bruits et ameuter les gardes ? Que le marchand ne va pas se rendre compte qu'il y deux personnes de plus ?
— Je sais qu'il est bancale mais c'est tout ce qu'on a. Sauf si tu préfères retrouver ta vie de misère parmi les lépreux et mourir sans que personne ne n'en est cure après des années et des années de souffrances et de rejet. Dans ce cas, tu connais le chemin pour rentrer.

Pendant de nombreuses minutes, lui et moi nous nous fixâmes dans les yeux, pesant le pour et le contre de ce plan foireux. Nous jugeons aussi les capacité de l'autre et sa détermination.

— Très bien, prononçais-je en même temps que lui.

Il me tendit sa main et je la serrai. Le plan était en marche.

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