III - Envolée Nocturne

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"Tu vois ma chérie, sur les barreaux de la grille ? Se sont des pointes de lances. Elles sont là pour nous défendre. Et si tu regardes à la base, il y a de joli rinceaux, des petites feuilles. Ne t'inquiètes pas ma petite Lisa, papa fera tout pour vous mettre en sécurité toutes les trois."

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La grille est imposante, elle nous protégeait de l'extérieur. Je peine à enfiler mes gants, ils sont tellement abîmés qu'ils ressemblent plus à des mitaines. Une multitude de filaments s'échappent de partout... Je réajuste mon sac sur mon épaule squelettique et me voilà partie dans un combat acharné avec cette lourde porte rouillée. Le fait qu'elle soit rongée par la rouille ne m'aide absolument pas. Ce sont les gonds les plus touchés, il faut donc que j'arrive à exercer assez de pression pour les faire céder. Mon père avait lui aussi du mal quand il partait en ville, cependant je ne dois pas perdre espoir ! Je continue de m'acharner, je ne la laisserai pas gagner ! Je tire de toutes mes forces pour finalement entendre un crissement horrible. À ma plus grande joie, elle est ouverte... J'aurais aimé un son plus mélodieux pour fêter cette victoire pourtant je saurai m'en contenter.

Je dépasse la grille puis me retourne. Faut-il que je la ferme ? Personne ne viendra de toute façon... Je vais la fermer pour ne pas perturber la quiétude de mon ancien chez moi, je ne veux pas que quelqu'un importune ce havre de paix et de passé. Je tire un coup sec sur la grille et pousse sur le loquet de toutes mes forces afin d'en venir à bout. Elle est fermée. J'avance donc de quelques pas. Mais un pincement me prend au coeur. Je me retourne alors pleine de nostalgie.

"Maman, Papa, Aline. Je ne vous oublierai jamais."

Je marche dans l'herbe à côté de la route. Cette dernière est recouverte d'une fine couche de neige. Elle est d'ailleurs suffisante pour faire briller le bout de mes bottes. Je n'ai jamais été aussi contente d'avoir ces vieilles bottes noires. Elles ont beaux être usées, l'humidité de cette poudre blanche ne vient pas rencontrer mes chaussettes. J'ai pris soin de glisser mon pantalon à l'intérieur du caoutchouc, et je ne regrette pas du tout ce mauvais goût. J'ai pris la décision de manger seulement quand la nuit tombe, et en marchant. Je ne veux pas mourir de froid pendant cette dernière. À chaque pas, j'entends le froissement des partitions dans mon sac. Je les ai fourrées précipitamment, j'aurai dû prendre soin de les ranger soigneusement. Et si je m'en servais pour me protéger du froid ? Décidée, je pose alors mon sac sur le bitume, l'ouvre, et en extirpe quelques partitions. Je referme le sac puis le lance sur mon dos. Je sers les dents, il faut que j'ouvre mon manteaux, ce qui implique de laisser le froid pénétrer à l'intérieur. Une fois fait je prends soin de  placer délicatement chaque partitions contre moi. Au moins, elles m'aideront à lutter contre la rigueur de l'hiver.

Je repris mon périple. Quand je repense à tout le mal que mes parents s'étaient donnés pour m'emmener devant le jury le jour de la sélection... Autant d'efforts inutiles. Mon père avait dû travailler pendant une semaine afin de pouvoir payer les frais d'inscriptions. Quant à ma mère, elle avait prit soin de faire du miel et des confitures en quantité, dans le but de les revendre une misère. Je l'avais accompagnée une fois à l'un des marchés où elle se rendait pour les distribuer. Une vielle dame avait eu pitié en nous regardant. Elle les avait payé le double, elle disait qu'il fallait que j'aie une chance dans la vie. Que cet argent ne lui serait pas utile et qu'elle préférait se régaler avec la délicieuse confiture de ma maman. Moi aussi d'ailleurs, j'aurai aimé en manger... Mais cela faisait déjà bien longtemps qu'il fallait que l'on vende cette production. Mes parents espéraient que je gagne le concours, afin d'acheter de quoi transporter un piano. Cet achat nous auraient permis d'organiser à ces fameux marchés des évènements pendant lesquels j'aurai joué pour le plaisir des gens. Ils auraient pu contribuer s'ils le voulaient, au financement du projet utopique de mes parents. 

Amasser assez d'argent pour que je puisse rentrer dans l'un des plus grands conservatoires recrutant sur concours. Où mon « talent » aurait enfin été reconnu.

Mes parents nous aimaient, ils auraient tout fait pour nous. Ils mangeaient peu mais à leur faim. Nous laissant toujours à moi et ma soeur la chance de manger copieusement. On n'avait aucun luxe, mais on était heureux grâce à ces petits moments où je devenais leur espoir.

L'espoir d'une vie meilleure.

Le soleil va bientôt se coucher, je vais enfin pouvoir récompenser mon estomac qui gronde. J'allais saisir la hanse de mon sac quand l'une des partitions a décidé de remontée jusqu'à mon cou. Provoquant une démangeaisons insupportable. Excédée j'entreprends de la faire descendre puis prise de curiosité la sort de mon manteau.

La partition favorite de mes parents.

Une bourrasque de vent m'arrache la partition des mains ainsi qu'un cri de terreur.

"Non !" hurlais-je.

Je me jette à présent à sa poursuite désespérée.L'idée de la perdre m'est insupportable. Je ne peux pas la perdre. Je ne fais plus attention où mes pieds se posent, mes yeux sont rivés sur le papier. Il est emporté vers les bois. Je ne réfléchis même pas et m'y enfonce.Je manque de tomber à cause de grosses racines dissimulées par la neige. Cette action fit tomber mon sac. Peu importe. Ne perdant pas plus de temps, je ne prends même pas la peine d'écarter les branches se présentant sur mon chemin. Ces dernières lacèrent mon visage, me donnant à présent l'impression que mes joues prennent feu. Je poursuis toujours le papier qui lui ne peine pas à se frayer un passage à travers cet amas de lames tranchantes. La feuille virevolte au-dessus de moi, c'est ma chance ! Je prends de l'élan et la saisi en plein vol, mais je ne réalise que trop tard qu'en dessous de moi il s'agit d'un lac gelé.

Mon corps tombe lourdement sur la glace forçant l'air à quitter mes poumons. Une nouvelle bourrasque m'arrache la partition. Mon regard n'a pas le temps de s'éterniser dessus qu'un nouveau mal me guette. La glace s'est fissurée. En-dessous de moi se propage une multitude de zébrures. Je tente alors de me déplacer sur ces dernières. Un craquement raisonne, je stoppe alors ma progression.

Mon poids finit par faire céder la glace. La partition reprend son envol, me laissant seule face à la mort. Je m'efforce de remonter à la surface mais rien y fait, mes muscles s'engourdissent. Ces derniers ne parviennent pas à lutter contre les températures négatives de l'eau. Il ne reste que ma main hors de cette dernière cherchant un soutien qui ne viendra surement jamais.

Je m'enfonce dans les profondeurs glacées.

Je peux apercevoir des bulles d'air coincées sous la glace, elles ondulent. Elles veulent échapper de leur captivité. Mon air me quitte une nouvelle fois. Ce dernier se mêle aux captivent, le paysage que m'offre cette danse de sphère est magique. Je sens que l'on me tire, ma main aurait-elle trouvait un soutien ?

La lumière se fait aveuglante. Mes dernières forces me quittent, c'est fini.

Adieu.

Ballade NocturneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant