Chapitre VI

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Le lendemain de mon escapade avec Gregory, je me réveillai le coeur lourd. Mes yeux étaient gonflés et bouffis suite à toutes les larmes que j'avais versées.

Pour la première fois depuis que j'étais dans cet endroit, je voulais m'en aller. En effet, n'avais-je pas transgressé une des lois fondamentales de mon engagement religieux?

Comment pouvais-je encore me regarder dans la glace après ça? Comment pouvais-je affronter les regards des autres religieuses, de la Mère Supérieur, de Gregory...?

Après avoir enfilé ma tenue, consistant en une tunique attachée autour de la taille avec une ceinture de cuir, je me rendis aux cuisines pour me rendre utile.

Croyant y trouver mes deux soeurs d'armes, je fus surprise de constater que la salle était vide. Soit elles dormaient encore, soit elles étaient occupées à autre chose. Quoi qu'il en fut, je n'allais pas les attendre. L'évier était plein d'assiettes et de verres sales. Je retroussai mes manches et me mis à la tâche.

Alors que je faisais la vaisselle, plongée dans un abîme de réflexion, j'entendis quelqu'un marcher derrière moi. J'eus à peine le temps de me retourner que le visage de Gregory était déjà à quelques centimètres du mien.

J'étais hypnotisée.

Nous nous dévisageâmes pendant plusieurs secondes sans rien dire. Enfin, il brisa le silence:

— Bonjour, chuchota-t-il.

Je déglutis. Sa voix était à la fois douce et rauque. Que pouvais-je bien faire face à un tel charme ?

Pourtant, je choisis de lutter. Je détournai mon regard.

— Je ne peux pas..., dis-je dans un murmure. Nous ne pouvons pas...

Gregory me considéra pendant un moment. Je crus qu'il allait m'embrasser malgré tout, mais j'avais tort. Il recula de deux pas:

— Je sais, dit-il avec un air triste. Je voulais juste...Je suis désolé. Je ne vous ennuierai plus...

Sans me laisser le temps de réagir, il rebroussa chemin et s'en alla.

Je restai là, adossée au lavabo, complètement perdue. Je savais que je venais de faire ce qui était juste, mais pourquoi me sentais-je si mal?

Quelques temps après, Cathy et Anne me rejoignirent, la première étant un mur de glace comme d'habitude.

Je n'eus plus beaucoup d'occasion de penser à Grégory vu tout le travail que nous devions abattre. Après nous être occupées de la cuisine, le Prêtre en chef nous conduisit dans la petite église qui se trouvait à l'arrière du bâtiment pour la nettoyer. Une fois par semaine, nous nous y réunissions pour la messe.

Quand ce fut fait, nous nous rendîmes au réfectoire pour le traditionnel repas de la journée. Durant tout ce temps, je parlai peu, malgré les efforts que fournissait Anne pour me faire participer aux conversations. Même Cathy, qui en temps normal ne se souciait pas de moi, m'observait avec inquiétude.

—Ne vous inquiétez pas, leur dis-je après qu'elles m'aient demandé ce qui n'allait pas. Je suis juste un peu fatiguée.

Elles n'insistèrent pas.

Alors que les autres semblaient se régaler, moi j'avais du mal à avaler quoi que ce soit. Je ne cessai de lancer des coups d'œils furtifs vers la porte, désirant et appréhendant en même temps l'arrivée de Grégory.

J'attendis en vain.

Il ne se montra ni pour le déjeuner ni pour le dîner.

J'aurais dû être soulagée, mais...

*

Le reste de la journée passa comme une page qu'on tourne. Rapidement.

Très vite, je me retrouvai dans ma chambre, à une heure avancée de la nuit. Je venais de faire mes prières, et je me tortillai maintenant sur mon lit pour trouver le sommeil.

Près d'une heure après, j'étais toujours éveillée. Prise d'une soudaine envie d'aller au petit coin, je sortis de ma chambre et bifurquai aussitôt vers la gauche.

Une fois terminé, je m'apprêtai à regagner mes appartements quand des bruits de pas me firent aussitôt m'arrêter.

Craignant d'être vue dehors à une heure pareille, je me dissimulai derrière l'une des colonnes.

Les pas se rapprochèrent. Quelques secondes plus tard, je vis à qui ils appartenaient.

C'était Cathy.

Elle marchait à pas de velours, regardant sans cesse derrière elle, comme si elle voulait s'assurer qu'elle n'était pas suivie. Curieuse et intriguée, je me mis à sa suite en prenant bien soin de ne pas me faire repérer.

Finalement, elle s'arrêta devant une porte. Elle cogna trois fois.

La porte s'ouvrit.

— Tu es en retard.

Le Père Supérieur se tenait debout, l'air majestueux, son crâné brillant à lumière de la lampe qu'il tenait dans sa main droite. Il observait Cathy d'un œil sévère.

— Pardonnez moi mon père, répondit Cathy d'un ton que je ne lui connaissais pas. On aurait dit une enfant qui venait de se faire prendre la main dans le sac. Je devais m'assurer qu'il n'y avait personne dans les environs, ajouta-t-elle.

— Ce n'est pas une excuse, dit le Prêtre toujours avec cet air sévère. Bon, ça va pour cette fois. Entre.

Juste avant qu'elle n'accède à sa chambre, la main gauche du Père Supérieur vint s'appesantir sur le postérieur de Cathy qu'il appuya avec fermeté.

Un sourire en coin se dessina sur le visage du prêtre. Cathy ne tressaillit même pas.
Puis la porte se referma dans un bruit sourd.

Je restai plusieurs minutes bouche bée, cachée derrière un mur de pierre. Mon cerveau repassait en boucle ce dont je venais d'être témoin.

Non, c'est un cauchemar, me dis-je. Je vais surement bientôt me réveiller...

Et pourtant, au bout de quelques minutes supplémentaires, je dus bien me faire à l'idée que ce que j'avais vu relevait bien de la réalité...

Au nom du Père et du vice Où les histoires vivent. Découvrez maintenant