Chapitre XVIII

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Lorsque j'ouvris les yeux, Cathy se trouvait à mon chevet.

— Salut.

— Salut.

Silence.

— Combien de temps suis-je restée inconsciente ? lui demandai-je.

—  Ça fait deux jours aujourd'hui.

Je regardai autour de moi. Nous nous trouvions dans ma chambre. Celle que j'occupai quand je suis arrivée à Saint-Vincent.

Les récents événements remontèrent à la surface.

— Grégory? fis-je la gorge serrée, bien qu'au fond de moi je connaissais déjà la réponse.

Cathy m'observa avec tristesse, puis secoua la tête doucement.

Je fermai les yeux. Les larmes arrivèrent aisément, comme si elles m'attendaient.

— Je suis désolée..., dit Cathy en prenant ma main droite dans ses deux mains.

Pour la première fois depuis que je la connaissais, elle se montrait sympathique envers moi. Dans d'autres circonstances j'aurais été touchée, mais à ce moment-là toute mes pensées étaient tournées vers la personne extraordinaire que je venais de perdre.

— Comment ont-ils expliqué sa mort?

— Suicide lié au fait qu'il avait enfreint son serment, dit Cathy sans trop y croire elle-même.

— Je vois... 

— Le Père Supérieur a tout raconté à la Mère Supérieur et au conseil pastoral  qui a débarqué à cause de la gravité de l'incident. Mais si ça te peut faire plaisir, j'en ai profité aussi pour...

Cathy se tut un instant, visiblement gênée.

— Quoi?

— Je l'ai dénoncé. Je leur ai tout raconté.

Je dévisageai Cathy avec incrédulité.

— Vraiment? Mais je croyais que tu l'aimais... Qu'est ce qui t'a convaincu de le dénoncer ?

— Toi.

— Moi?

— Oui. Après le décès de Gregory, je suis allée dans la chambre du Père Supérieur comme d'habitude, pensant qu'il serait content de me voir. Mais il m'a rejetée brutalement en me disant que c'était fini entre nous et qu'il allait «se passer de mes services» comme si je ne représentais rien. C'est là que j'ai réalisé que durant tout ce temps, il s'était juste servie de moi. Et je me suis souvenue que tu as été la seule à me mettre en garde.

Elle me sourit d'un air triste.

— Alors, quand il a été entendu par le conseil, j'y suis allée et je leur ai dis ce qu'il m'avait fait. Au début ils n'ont pas voulu m'écouter, mais quand ils se sont rendus compte de la nature de mes accusations, ils n'ont pas eu le choix. 

— Mais pourquoi n'en as-tu pas d'abord parlé à la Mère Supérieure? Ça aurait été plus simple, non ?

— Oh ma pauvre ...dit Cathy en me regardant avec pitié.

— Quoi? fis-je sans comprendre.

— Elle était déjà au courant. Elle le savait depuis le début. Très peu de gens ignoraient les agissements du Père Supérieur. À mon avis, tu étais probablement la seule.

À ce stade, plus rien ne me choquait. J'avais déjà découvert, à mes dépens, que ce lieu que j'avais pris comme un asylum, n'était en fait qu'un repère de démons.

— Je suppose qu'on l'a excommunié?

Cathy devint pale et dut rassembler tout son courage pour me répondre.

— Ils ne m'ont pas cru, dit-elle en sanglotant. Il s'est défendu. Il a prétendu que je disais des mensonges et la Mère Supérieur et plusieurs de ses élèves l'ont soutenu. Et... le conseil les a cru, même s'ils ont quand même décidé de le muter ailleurs... Je suppose que.. que je devrais être contente...

Le reste de ses paroles se perdit dans un torrent de larmes. Je posai ma main sur son épaule alors qu'un rage violente mais silencieuse s'emparait de moi.

*

Le même jour, j'annonçai à la Mère Supérieure que je quittai la vie religieuse pour de bon. Ma décision fut certainement un soulagement pour elle. Un scandale de moins.

Cathy fut la seule à qui je dis adieu. Celle que j'avais considéré comme une ennemie était en fait ma seule amie. Comme quoi, les apparences sont souvent trompeuses.

Mais même à elle, je ne révélai rien de ce que j'avais découvert sur le Père Supérieur. De toute façon comment aurais-je pu le prouver ? S'il avait pu nier sa relation avec Cathy avec autant de facilité, il aurait pu réitérer avec moi.

La seule preuve que j'avais était la parole d'un mort et une clé USB qui était en sa possession. Peut-être même l'avait-il déjà détruite.

Avant de m'en aller définitivement, je fis un tour du côté du lac. La beauté de cet endroit était la seule chose qui allait vraiment me manquer.

Des bribes d'une précédente conversation que j'avais eue avec Gregory resurgirent dans mon esprit. 

— Pourquoi doutez-vous de l'existence de Dieu?

— A cause de tout le mal qu'il y a dans ce monde. J'ai dû mal à concevoir que Dieu, tel qu'il est décrit dans les Saintes Écritures, puisse permettre que certaines choses se produisent, sans intervenir.

Je comprenais enfin ce qu'il avait voulu dire.

Après tout ce qui s'était passé, moi non plus je n'étais plus sûre de rien.

Si Dieu existait vraiment, je me dis qu'il devait sûrement avoir un sens de l'humour très particulier. En tout cas, j'avais définitivement abandonné l'idée selon laquelle il était la réponse à mes problèmes.

Quand je franchis à nouveau les portes du couvent, le soleil était sur le point de se coucher. Le vent soufflait fort mais le temps était plutôt doux.

Je me retournai lentement pour regarder Saint-Vincent une dernière fois...

Puis, je m'en allai, consciente que ma vie ne serait plus jamais la même.

Au nom du Père et du vice Où les histoires vivent. Découvrez maintenant