Chapitre XVII

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— C'est... c'est arrivé à mes sept ans. Mes parents m'avaient envoyé dans un grand chœur catholique. Au début, j'avoue que j'etais vraiment content. Il y avait plein d'enfants de mon âge. Nous passions de bons moments. Et le prêtre qui officiait dans cette église était très gentil avec nous. N'est ce pas, mon Père ?

Je considérai le Père Supérieur, étonnée. Je pensais qu'il avait toujours été dans ce séminaire... Apparemment ce n'était pas le cas. 

— Il m'offrait des cadeaux, me donnait des bonbons et des chocolats, insistant toujours sur le fait que cela devait rester entre nous. Et un jour...

Gregory marqua une pause, comme s'il avait du mal à raconter la suite.

— Un jour, il m'a emmené chez lui. C'était durant nos heures de répétitions avec la chorale. Il disait qu'il voulait me montrer quelque chose. J'étais très content  comme d'habitude car je pensais qu'il allait sûrement m'offrir un autre cadeau et surtout, je lui faisais confiance... Mais à peine arrivés, nous sommes allés dans sa chambre. Il m'a allongé sur le lit et là il a commencé à... m'embrasser...

Gregory se mit à trembler violemment.

— J'étais complètement paralysé. Je ne m'y attendais pas du tout, je ne savais pas quoi faire. Ce n'est que lorsqu'il m'a pénétré que j'ai réagi à cause de la douleur...

Les larmes inondaient le visage de Gregory. Il ne fit aucun effort pour les retenir.

— Je l'ai supplié d'arrêter, mais il n'écoutait pas. Au contraire, c'était comme si je l'encourageais... Quand il a terminé, il m'a rhabillé en évitant de me regarder dans les yeux. Puis, il m'a dit la même chose qu'il me disait toujours, que cela devait rester notre secret. Il a ajouté que même si j'en parlais, personne ne me croirait car je n'étais qu'un enfant et lui un adulte respecté. Un représentant de Dieu.

Mes yeux étaient embués de larmes. J'avais du mal à imaginer Gregory dans une telle situation, mais je savais qu'il disait vrai.

— Je suppose que maintenant vous vous souvenez, dit Gregory en dévisageant le prêtre.

L'homme d'église demeurait muet. Il avait l'air complètement brisé lui aussi. Difficile de dire si c'était à cause des remords ou à cause de l'arme qui était pointée sur lui. Je penchai plus pour la deuxième option.

— Gregory... Il y a une chose que je ne comprends pas... Pourquoi lui avoir pris cette clé USB? Qu'est-ce qu'elle contient?

— Vous lui dites ou c'est moi qui le fais?

Voyant que le prêtre restait dans son mutisme, il poursuivit:

— Lorsque je suis parti de sa chambre ce jour-là, en arrivant chez moi je me suis souvenu d'un détail. Pendant qu'il... accomplissait sa sale besogne, j'avais les yeux fixés sur un coin de la pièce. C'était une technique d'auto-defense que j'avais développé avec mon père. Il me frappait souvent, tu vois... Alors pour oublier la douleur, je gardais mes yeux fixés sur quelque chose - n'importe quoi - et ainsi j'avais l'impression de me retrouver ailleurs. C'était comme si ce qui se passait à ce moment-là n'avait plus la moindre importance.

Il fit de nouveau une pause, plus longue cette fois.

— La chambre était dans la pénombre car les rideaux étaient tirés. Mais je me souvenais d'une petite lumière rouge.  Au début je ne savais pas trop ce que c'était. Mais quelques temps après, alors que mon esprit me faisait revivre inlassablement ce moment, j'ai fini par comprendre...

J'ouvris de grands yeux.

— Tu veux dire que...

— Oui, confirma Gregory. Cet enflure nous filmait. C'est à cette époque que j'ai commencé à planifier ma vengeance. Mon plan était simple: mettre la main sur la vidéo et m'en servir comme preuve. Malheureusement, quelques temps après, j'ai appris qu'on l'avait envoyé dans un couvent loin de l'endroit où j'habitais. Je n'avais que sept ans à l'époque, je ne pouvais pas me déplacer à ma guise. J'ai donc attendu. Plus tard, j'ai fait mes recherches et j'ai fini par le retrouver. Ce jour où tu m'as vu sortir de son bureau j'étais en train de chercher la vidéo. J'ai fini par la retrouver dans une clé USB qu'il avait planqué dans un tiroir. Mais seulement, il n'y avait pas que moi à l'intérieur... Je n'ai pas eu le temps de tout visionner, mais il a dû faire la même chose à une dizaine, voire une vingtaine d'autres enfants...

— Mon Dieu...

— Ouais..., dit confirma Gregory en secouant la tête. Maintenant tu comprends pourquoi je dois faire ce que je dois faire. Il ne mérite pas de vivre...

Une question, cependant, me taraudait. Si le Père Supérieur était bien celui qui avait abusé de Gregory quelques années auparavant, comment se faisait-il qu'il ne l'avait pas reconnu ?

— La réponse se trouve dans ta question, me répondit Gregory quand je l'interrogeai. Il ne m'a pas tout simplement pas reconnu. Je suppose que quand on a fait du mal à autant d'enfants, tous leurs visages finissent par se ressembler et ils perdent leur importance...Pas vrai, mon Père?

— Je suis désolé...

Après être resté silencieux durant tout ce temps, le Père Supérieur prenait enfin la parole.

— Désolé ? répéta Gregory avec incrédulité. C'est ce que vous dites après toutes les atrocités que vous avez commises ?

— C'est plus fort que moi, répondit le prêtre en sanglotant. Quand ces pensées traversent mon esprit, je deviens comme fou... Croyez moi, j'ai essayé de résister, mais je n'y suis jamais arrivé...

— Vous êtes un prêtre! s'indigna Gregory. Vous êtes censé incarner la morale, la bonté, la sainteté! Comment... Comment...

Le pauvre Gregory semblait à court de mots...

— De toute façon ça ne change rien. Puisque vous n'arrivez pas à contrôler vos pulsons malsaines, je vais faire en sorte que vous ne puissiez plus jamais les assouvir. Adieu, mon Père.

— Non Gregory attends! Je t'en prie, ne fais pas ça...

— Comment peux tu encore le défendre? N'as-tu pas entendu ce qu'il vient de dire ? C'est un monstre! Il ne s'arrêtera jamais.

— La police s'en chargera. Il y a assez de preuves pour qu'il finisse sa vie derrière les barreaux. Je t'en prie, réfléchis... Si tu le tues, tu deviendras un criminel. Ce n'est pas toi Gregory... Ce n'est pas toi...

Mes mots semblaient l'avoir enfin atteint. Je le vis baisser son arme tout doucement.

— Tu as raison, dit-il. Ce n'est pas moi.

Puis il me regarda, un demi-sourire aux lèvres. J'eus soudain un mauvais pressentiment.

— Je bénis le ciel de t'avoir rencontrée...

Il recula de deux pas.

—... mais je ne peux plus continuer ainsi... Je n'y arrive plus...

Au moment où je sus ce qu'il s'apprêtait à faire, il était déjà trop tard.

— Je t'aime..., murmura-t-il.

Le BANG qui résonna ensuite alerta les apprentis prêtres qui étaient restés dehors. Ils se précipitèrent à l'intérieur et découvrirent avec stupeur le corps de Gregory inerte sur le sol.

Avant de perdre connaissance, j'entendis quelqu'un lancer un cri déchirant.

Ce n'est que plus tard que je sus ce que ce quelqu'un c'était moi.

Au nom du Père et du vice Où les histoires vivent. Découvrez maintenant