3 | Impossible n'est pas

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Le soleil se couche à l'heure où les hommes viennent flirter avec les étoiles et l'instant magique où le temps d'une nuit, plongé dans le noir, tout semble permis. On peut se perdre, ou bien se trouver. On peut choisir de laisser nos démons entrer, ou on peut décider de les contrôler. On peut côtoyer le danger ou s'en méfier. En une nuit, tout peut changer. Parfois, il suffit juste d'un mot, d'un vœu soufflé jusqu'aux oreilles des étoiles dorées. Puisque la vie ne tient qu'à un fil, dansons avec elle jusqu'à temps qu'elle se défile.

Et voilà qu'un voile noir crépite peu à peu dans l'étendue qui survole leur silhouette, la nuit ne s'attarde pas et se dépose par minces filets de peinture sur cette nature loin d'être morte ; tandis que l'astre lumineux, que l'univers dans ses bras porte, s'écarte doucement du tableau dans une spectaculaire pirouette.

Une heure s'est déjà écoulée depuis leurs premiers mots échangés. La conversation avance sans outrance, ils tâtent le terrain de chacun, tour à tour ils se laissent emporter par les maux de leur cœur et le flot de paroles déversé par leurs lèvres et leur douceur. Choisir de se confier à un inconnu, c'est comme accepter que son livre soit lu. Une fois que cela est fait, il n'y a pas de retour en arrière, aucune possibilité de redresser les barrières. Choisir de s'ouvrir à quelqu'un, c'est accepter de paraître faible, étrange ou hors du commun. Et cela, Judy l'a bien compris, elle qui n'a pas peur de s'exprimer librement, maintenant que l'obscurité s'est emparée de leurs coeurs.

– Tu sais ce que j'ai envie de faire, là, tout de suite ? lui demande Judy, sous l'éblouissant coucher de soleil.

Nate fait mine de réfléchir, puis hausse les épaules dans un soupir.

– Je n'en ai pas la moindre idée.

– J'ai envie de me laisser tomber du haut de ce toit pour sentir le vent chatouiller mon corps en même temps que celui-ci rejoint la gravité.

Nate pivote dans un mouvement de tête vers Judy, qui n'a pas daigné détacher son regard du ciel pourpre et uni. Il fronce grossièrement les sourcils, surpris par les mots de la blondinette assise à ses côtés ; elle lui paraît soudain si fragile, mais en même temps si forte à travers ce qu'elle renvoie dans son propre reflet. Elle n'a pas peur de dire le fond de sa pensée, tant pis, si elle paraît aliénée, suicidaire, étrange ou désespérée. Cela fait longtemps que Judy ne se préoccupe plus de ce que les autres pensent, elle espère seulement que Nate n'y voit pas d'importance.

– T'es en train de me dire que tu veux sauter ? s'étonne-t-il.

– Oui, mais c'est moins beau dit comme ça.

– T'es bizarre, conclut-il.

– Toi aussi.

– Mais t'es différente.

– On l'est tous, affirme-t-elle. Je ne suis pas plus différente que toi ou un autre.

– C'est faux. Moi, je suis banal, sans goût, sans saveur, sans originalité, sans volonté, sans envie... Je suis vide. Vide de tout.

Judy ose enfin le regarder. Elle comprend le sentiment qu'il ressent, elle sait ce que ça fait d'avoir beau se chercher sans se trouver. Mais elle sait aussi qu'il est encore temps pour lui d'aller de l'avant. Son existence n'est pas vaine, quoi qu'il advienne ; Judy sait qu'il est quelqu'un de bien, même si elle le connaît à peine.

– Alors, trouve un moyen de remplir ce vide, lui suggère-t-elle comme une évidence.

– Oui... Mais comment ? J'ai l'impression qu'il remplit toute la place dans ma poitrine, comme s'il grossissait de jour en jour pour pourrir mon existence... Et c'est comme si je n'avais plus les moyens de pouvoir...

– Respirer, termine Judy. Je connais ça. Parfois je rêverais que cette sensation n'existe pas... Mais elle est bien là, à l'intérieur. Cette douleur, elle fait partie de toi Nate.

– Comment tu fais pour vivre avec ça ?

Tout en prononçant cette interrogation qui le turlupine, il ramène une main et tapote sa poitrine.

– Je fais avec.

– Mais comment ?

– Tu peux commencer par accepter qui tu es. Ça t'aidera à faire face au reste, lui conseille-t-elle.

– Comment accepter l'inacceptable ? C'est impossible.

– Rien n'est impossible.

– Et c'est toi qui dis ça ?

– C'est parce que ça ne s'applique pas à moi. Tout est possible quand on le veut, mais pas pour moi, lui explique Judy.

– Pourquoi ?

– Parce que tout chez moi n'est que fatalité.

– C'est faux.

– Tu vas continuer à me contredire encore longtemps ?

– Autant qu'il le faudra.

Média : Sleeping at last - Artic

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