11 | Levé de rideau

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– Le soleil se lève.

Au loin, les premiers rayons du soleil viennent percer le ciel, qui bientôt quittera ses couleurs sombres, avant de tomber entre les pinceaux d'un artiste dont les choix de couleurs s'essayeront dans des tons orangés pour finalement atteindre les finissions d'une toiture bleutée. On dit que le ciel est le plafond du monde, ou bien le toit, c'est au choix.

Les deux compères assistent à ce spectacle avec un sentiment d'apaisement. Ils ont passé la nuit à bavarder, rire et pleurer, et voilà que maintenant le jour pointe le bout de son nez venant mettre un terme à leur moment de complicité. Au fond de leur coeur, ils auraient aimé que cela dure encore quelques heures, mais ils savent que l'on ne peut ni contrôler le temps, ni l'instant fatidique où le soleil se réveille pour accomplir la tâche qui l'attend. Éclairer le monde et les âmes qui y vagabondent. Donner un rythme au va et vient de l'humanité. Apporter de la chaleur et un peu de réconfort dans les coeurs.

– Je suppose que cela signifie qu'il est temps pour nous de se quitter. soupire Judy.

– J'imagine que oui, toutes belles choses ont une fin.

– Je ne t'oublierais pas, Nate. Mais tu sais bien que si je veux entretenir ma réputation de fille "asociale", eh bien, nous ne devons en aucun cas traîner ensemble au lycée, c'est compris ?

– Je ne t'oublierais pas non plus Judy... souffle le jeune homme. Si je ne te connaissais pas, j'aurais été outrée par une telle directive... mais c'est d'accord, j'accepte tes termes. Dis-moi au moins, tu reviens demain soir?

– Peut-être.

– C'es un « peut-être » plus proche du oui ou du non ?

– Ça dépend de ce que tu auras à me raconter demain. lui lance Judy en hissant ses bras vers le ciel pour s'étirer.

Le jeune homme lui sourit, malgré ses cernes et sa mine éreintée, il parvient à rester radieux sous ce lever de soleil qui annonce le début d'une nouvelle journée bousculée par la frénésie de la vie. Le réveil sonne, les couvertures se soulèvent, les bouches bailles, les bras s'étirent, les volets remontent et les fenêtres s'ouvrent. La lumière entre avec parcimonie, chatouillant les corps et les visages aigris, prêts à s'araser d'une bonne tasse de café bien noir pour tenter de s'arracher à cette mine de désespoir. Déjà, la ville se réveille doucement, bientôt prête à accueillir l'animosité des passants, leurs va-et-vient incessants et les bruits ambiants. Les klaxons, les jurons, le bruit des pas sur le bitume froid, celui des moteurs ronronnant, les passants qui parlent fort au téléphone, ceux qui marchent vite et restent cloîtrés dans leur silence, les enfants qui traînent des pieds pour aller à l'école, et les ados qui courent parce qu'ils sont en retard.

Il est d'ailleurs temps pour les deux adolescents d'aller rejoindre l'effervescence urbaine qui les attend quelques mètres plus bas.

Leurs regards se déversent l'un dans l'autre une toute dernière fois. Un énième échange entre leurs yeux, lui gris, elle bleus, avant qu'ils ne se quittent pour cette fois.

– Alors à demain Judy.

– Au revoir, Nathaniel.

Celui-ci disparaît par l'unique sortie de secours menant sur une déferlante cascade de marche vers les bas-fonds du monde qu'il avait pris l'habitude de scruter vu d'en haut. Il titube un peu, ne marche pas droit et manque même de se prendre un mur. Il faut dire qu'après une telle nuit blanche, il irait bien rejoindre son lit. Pourquoi ne pas sécher les cours aujourd'hui ? Mais ses parents le réprimanderaient, c'est sûr. Au diable ses parents, il n'a qu'une vie, c'est la sienne et pas la leur. Aujourd'hui, au côté de Judy, il a appris et compris sa véritable valeur. Et c'est en se dirigeant vers les quatre murs de sa chambre et en sentant les doux draps de son lit l'appeler, que son corps se laissa tomber à la renverse, arborant des yeux clôt et un visage rêveur.

Tandis que Judy, pendant ce temps, n'ayant pas bougé du toit, restait assise en tailleur au bord du gouffre, contemplant une dernière fois l'horizon, sans un mot, sans plus personne avec qui rêver tout haut. Enfin, elle était seule, mais était-ce désormais ce qu'elle souhaitait vraiment ? Vivre dans la solitude, la fuite constante des autres par peur d'être déçue, de décevoir, de s'attacher, puis de les perdre, pour toujours.

Elle s'était fait un nouvel ami, ici, sur ce toit, elle qui se suffisait à sa simple compagnie se sentait soudainement comblée par l'arrivée d'un nouvel être dans sa vie. Elle aurait seulement voulu l'avoir rencontré plus tôt. La vie ne met personne sur votre chemin sans raison, elle le sait, mais parfois cette rencontre fortuite arrive trop tard. Si seulement, elle l'avait rencontré plus tôt...

Musique : Un nouveau soleil - M83

Sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant