2 | Jambes d'asperges et fumée noire

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Les couleurs du jour se fanent une à une, en même temps que la nuit se met doucement à l'œuvre pour engloutir les rayons du soleil dans l'unique but d'embrasser l'obscurité. Comme si le ciel succombait aux ferveurs de la noirceur.

Face à ce spectacle et derrière ces mèches blondes, s'agite un esprit qui se laisse aller à la rêverie, oubliant le reste du monde et toutes ces mauvaises ondes. Comme hors du temps, elle se laisse porter par ces vagues et ce torrent dans lequel elle plonge avidement, s'enfermant dans une bulle, un lieu d'apaisement. Mais c'est sans compter l'agitation soudaine du perturbateur de tranquillité se trouvant à ses côtés, qui vient déranger l'intériorité de sa vaste méditation.

– Tu peux arrêter de te tortiller comme une fillette ? le réprimande-t-elle.

Voilà déjà une trentaine de minutes que les deux adolescents tentent de cohabiter sur ce bout de toit ; patientant jusqu'à ce que le jour vienne enfin tirer son rideau noir pour laisser place à la nuit et ses pourtours de pois.

– C'est difficile. J'essaye de trouver une position confortable... gémit Nate.

De ses yeux baladeurs, l'auscultant de haut en bas, Judy examine l'ampleur du problème avant que ne surviennent les possibles dégâts.

– Avec des jambes pareilles, ça doit pas être facile, constate-t-elle.

– Je ne te le fais pas dire. Les autres m'appellent l'asperge au lycée.

– Et tu les laisses faire ?

– Bah qu'est-ce que tu veux que je leur dise ?

– Qu'une asperge ça n'a pas de jambes, et que s'ils étaient moins débiles, ils le sauraient.

– Pas faux.

Judy clôt ses paupières, prenant soin de verrouiller durant un instant les fenêtres de son âme et de son étrange univers. Elle ne veut pas être dérangée, mais n'est pas sûre que l'énergumène à sa droite l'ait bien capté.

– Qu'est-ce que tu fais ? la questionne-t-il, après avoir finalement trouvé une alternative pour ses deux membres, extensions de son maigre corps, désormais lâché au-dessus du vide comme deux bâtons rigides.

Elle ouvre un œil, puis deux. Agacée par cette énième interruption profilée par son voisin de bord, à son goût, un peu trop curieux.

– Je réfléchis, crache-t-elle. Du moins, j'essaie...

– Et à quoi ça sert ?

– À faire le vide dans ma tête.

– Oh, je vois. Mais quel est le but et la raison qui te pousse à faire ce vide si soudain ?

– Il n'y en a pas vraiment. C'est simplement une manière pour moi de me couper de ce monde et de tout ce qui me relie à lui. Maintenant, si tu le veux bien, j'aimerais poursuivre cette rupture avec la fausseté et la faiblesse de ce semblant d'univers.

– Tu en veux tant que ça à ce monde pour vouloir lui claquer la porte au nez ?

– Tu sais, parfois il est nécessaire de garder sa porte fermée. Maintenant, chut.

Il époussette son vêtement, véritable attrape poils de chat et aimant à poussière par ce temps. Nate ne sait pas quoi faire de ses deux mains, tandis que Judy semble l'avoir presque oublié emmitouflée dans sa veste couleur jasmin. Alors, il la toise du regard, sans se préoccuper de savoir si sa tête ressemble à celle d'un poisson hagard.

– C'est étrange, souffle-t-il soudain, comme pris d'une illumination.

– Quoi encore ? soupire Judy.

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