10 | Ils sont "relous" nos parents

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- Tu m'as dit avoir l'habitude de venir ici. J'aimerais savoir, pourquoi ce lieu et pas un autre ? lui demande Nate, tout en étirant ses membres trop longtemps restés statiques.

Judy n'avait pas lâché des yeux la profondeur du vide, ou plutôt, ses jambes se balançant dans son ampleur au rythme du vent. Elle entrouvre ses lèvres et laisse un léger souffle d'air s'en échapper, une vapeur oxygénée s'en allant rejoindre l'atmosphère glacée.

- Parce qu'on a la meilleure vue de tout le quartier ! lui répondit-elle, en mimant l'enthousiasme.

- Et c'est tout ?

Son regard se pose sur Judy avec insistance. Il sait que derrière ce voile de rêverie, se cache une vérité bien moins onirique et sans une pointe d'insouciance. Car il cherche à creuser sa carapace d'acier, sans trop savoir ce qu'il va trouver. Il ne saurait dire s'il en a peur, il souhaite seulement que Judy lui ouvre son coeur.

La jeune adolescente avait cessé d'agiter ses jambes au bord du vide. Nate crut alors qu'elle ne lui répondrait pas, qu'elle avait fait le choix de se taire et de laisser sa présence ici n'être qu'un mystère. Mais, c'est alors qu'elle se redresse, et pivote vers lui avant de déployer ses mots qui semblent avoir perdu toute finesse.

- Parce que je viens là depuis mes treize ans. Depuis que mes parents se sont violemment séparés... souffle-t-elle, sentant la pression s'envoler par dessus-bord dû à la difficulté de l'aveu.

- Ah.. je suis désolé, je ne savais pas que c'était aussi... grave. lui dit-il en choisissant soigneusement ses mots, comme s'il avait peur de la blesser.

Elle leva les yeux, non par vers lui, mais vers l'horizon qui s'étendait infiniment dans l'espace noirci d'un monde endormi.

- Ne t'excuse pas. Ce sont des choses qui arrivent... Certaines personnes finissent par ne plus s'aimer, et on y peut rien. Il suffit juste d'accepter que l'amour se fâne en meme temps que les gens et les mentalités changent. Alors tu vois, pour moi, venir sur ce toit, c'est un moyen comme un autre d'oublier que ma propre famille s'est disloquée et a implosée du jour au lendemain. J'ai trouvé refuge au plus près des étoiles, parce que chaque instant passé ici est magique, et qu'ils me permettent de réfléchir à l'abri du jugement des autres.

- Je comprends... Enfin, je crois... Moi mes parents ne sont pas séparés, mais je reste l'unique problème de la famille. Ils veulent toujours tout contrôlé. Alors de ne pas pouvoir avoir la main mise sur moi, ça les frustre énormément.

- Fils unique, c'est ça ?

- Eh oui...

- J'imagine que ça ne doit pas être facile d'avoir ses parents tout le temps sur son dos.

- Je ne te le fais pas dire.

- Mais au moins, cela montre qu'ils se soucient de toi.

Nate se gratte l'arrière du crâne tout en prenant en considération les paroles de Judy.

- Ils auraient pu trouver une autre manière de me le montrer alors...

- Les parents sont des créatures parfois incompréhensibles.

- C'est parce qu'ils viennent d'une autre galaxie tu penses ?

- Je crois bien, oui, et leur devise est la suivante : « C'est pour ton bien que nous faisons ça. »

Elle avait prononcé cette citation en prenant un air grave et une voix autoritaire, caricaturant les faits et gestes de leurs mères et pères. Nate lâcha un gloussement, impressionné par la prestation théâtrale de Judy.

- C'est pas faux tout ça, affirme-t-il tout en soutenant son sourire.

- C'est même ridicule, s'empresse-t-elle de préciser.

- Et consternant aussi, dit-il à sa suite.

- Autre chose à ajouter ?

- Oui, je crois qu'au fond, même s'ils peuvent être très relous, c'est grâce à eux qu'ont a l'occasion de côtoyer ce monde. Et Judy, si tu n'étais pas née, j'aurais été très déçu.

- Tu aurais sûrement rencontré une variante de ma personne, le rassure-t-elle.

- J'en doute fort, car tu es unique, comme chacune des ces étoiles miroitant dans les abysses du ciel, dit-il en levant les bras en l'air, se donnant corps et âme à l'univers tout entier.

- Tu deviens poète toi maintenant ! s'exclame-t-elle en riant.

- Je suis très loin de te surpasser dans ce domaine.

Elle pose sa main sur son coeur, faisant mine d'être touchée. Mais à cet instant, les deux adolescents, aussi fille et fils d'hommes et de femmes qui avant eux ont tout vécu, se sentent élevé par la lumière que produisent les étoiles. Et à deux, ils réalisent que la famille ne doit pas être un fardeau ni une prison, mais un cocon de securité, un pilier qui nous maintient les pieds ancrés sur terre.

- Parce qu'au moins si un jour le ciel nous tombe sur la tête, on aura toujours nos parents pour nous protéger. Qu'ils soient unis ou séparés, ils n'abandonnent jamais complètement la chair de leur chair, finit par déclarer Judy.

Musique en média : Sleeping at last - Mars

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Musique en média : Sleeping at last - Mars.

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