Chapitre 10

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Assise sur le rebord de sa fenêtre, Harleen avait les yeux rivés sur son téléphone, l'attention retenue par les mêmes réseaux sociaux qui faisaient perdre son temps de révisions. Même si, toute son « attention » n'était malheureusement pas convoquée.

Elle maudissait cette nouvelle obsession, et se demandait bien pourquoi le cerveau n'était pas programmable : elle aurait pu effacer ce rire qui lui brisait l'esprit même lorsqu'elle n'y pensait pas. Elle claqua sa langue sur son palais avec impatience, et afficha la page Google.

« Jerome Valeska Gotham City », « Jerome Valeska video », « Jerome Valeska return », « Jerome Valeska wanted by the GCPD ». Elle regarda plusieurs fois les vidéos, avant et après sa mort, alors qu'il avait encore son visage, et la dernière qui datait seulement de quelques semaines.

- Espèce de grand malade, commenta-t-elle en regardant son écran.

- You're all prisoners. What you call sanity, it's just a prison in your minds that stops you from seeing that you're just tiny little cogs in a giant absurd machine.

Cette vidéo datait de deux ans auparavant, lors de la première vague de terreur qu'avait répandu Jerome sur Gotham.

- Wake up! Why be a cog? Be free like us. Just reme [...]

Harleen coupa là la vidéo pour le faire taire.

- Ouais, ouais, on connait la chanson, grogna-t-elle.

Elle regarda les autres résultats de recherches : des extraits de ses vidéos, des avertissements du département de police de la ville, les interventions médiatiques de James Gordon.

- In the darkness there are no rules. So tonight , do what you want. Kill who you want. And when morning comes, you too will be reborn.

Extrait de la dernière vidéo en date qui avait fait trembler Gotham. Et le pire dans tout ça, dans cette façade qu'Harleen s'efforçait de tenir debout, c'est que c'était cohérent. Ce que disait ce garçon, deux ans plus tôt et maintenant, était réfléchi, pensé, et tout à fait justifiable. Ses yeux restaient fixés sur l'image en pause du film de mauvaise qualité, provocant toutes ces réflexions perturbantes, qui furent violemment coupées par les vibrations de son téléphone.

Elle décrocha pour répondre à sa mère, mais n'arriva pas à sortir un mot de sa bouche.

- Allô ? Harleen ?... Harleen ? T'es là ?

Elle avala grossièrement sa salive et se racla la gorge.

- Oui, oui, excuse moi je... lisais un truc pour... le stage.

- Ah ! D'ailleurs je voulais te demander comment ça se passait, tu avais pas l'air séduite la dernière fois.

« Séduite », hein, répéta Harleen dans sa tête. Elle ferma les yeux rapidement.

- Non, mais ça va mieux, je suis avec une psychiatre maintenant. Je peux assister aux rendez-vous, c'est très intéressant.

- Je m'en fais pas pour ça, tu es brillante, sourit sa mère derrière l'appareil.

Harleen répondit dans un souffle reconnaissant.

- Tu as rappelé ce garçon ? enchaîna-t-elle ensuite voyant qu'Harleen ne répondait pas.

- Curtis ?

Sa mère confirma.

- Non, il... enfin je sais pas, il m'ennuie et...

- Harleen... soupira-t-elle.

- Je sais, je suis désolée...

C'était LA grosse conversation, pourtant sa mère attendait généralement un peu plus longtemps avant de la commencer. Harleen savait très bien que sa mère ne la jugeait pas, du moins pas comme on avait l'habitude de le faire, mais elle savait aussi qu'elle ne la comprenait pas. Pourquoi elle se faisait du mal dans le seul objectif de savoir, pourquoi elle refusait d'aimer les autres, ainsi que toutes ces choses qui faisaient qu'elle était Harleen Quinzel, et qu'elle avait cette discussion avec sa mère.

- Tu peux pas rester seule comme ça. Gotham n'est pas sûre, j'étais contre ton départ. Et maintenant, tu restes seule, sans personne, dans ces rues... Je m'inquiète Harleen. Pourquoi il ne t'intéresse pas ? Il avait l'air gentil, et il était dans la même promo que toi, il réussissait...

- Et il était ennuyant à mourir, aussi, tu oublies ça, coupa Harleen en se levant de sa fenêtre.

- Alors trouve quelqu'un qui ne t'ennuie pas ! Tu vas avoir plus de vingt ans !

Elle ne répondit pas. Et si elle lui disait, si elle lui en parlait, pour essayer de comprendre ? Peut-être que ça aiderait ? Parce que si elle pensait à Jerome alors que sa mère lui disait tout cela, c'est qu'il y avait sûrement une raison.

- Harleen ? Qu'est-ce que tu as ?

- Je crois que j'ai fait une connerie, lâcha-t-elle sans réfléchir.

- Comment ça ? s'inquiéta sa mère.

- J'en sais rien, il y a ce... gars...

- Qui ? s'étonna-t-elle.

- Je peux pas te dire, c'est trop compliqué. Mais je comprends pas comment c'est possible...

Elle passa une main sur son front et le reste de son visage.

- J'arrive pas à t'en parler plus, reconnut-elle en se laissant tomber dans son petit canapé qui craqua sous son poids.

- Tu es amoureuse de ce garçon ?

- Je pense pas... c'est... pas possible. C'est réellement impossible, je veux dire de façon rationnelle, presque scientifique...

- Tu sais, des fois il faut un peu de folie pour faire les choses.

Harleen ferma les yeux. C'était justement de ça, dont il était question.

- Il faut que tu apprennes à abandonner toutes ces choses « scientifiques », et que tu te laisses aller, un peu, rassura sa mère sur un ton plus doux.

- Mais si, justement, il ne fallait surtout pas que je le fasse ?

- Il n'y a rien de mal à laisser tomber la raison parfois, Harleen, je t'assure.

La blonde ne répondit rien, alors que le rire de Jerome lui envahissait l'esprit sans qu'elle ne l'ait demandé.

- Qui c'est ? hasarda sa mère comme si elle avait entendu les ricanements du rouquin.

Un rictus s'empara des lèvres d'Harleen.

- L'incarnation de la folie, je crois, avoua-t-elle.

- C'est peut-être ce qu'il te faut. Ce dont tu as besoin. L'amour, ça s'explique pas, Harleen.

- C'est une réaction chimique qui... enchaîna la jeune femme par habitude avant de s'arrêter. Ouais, tu dois sûrement avoir raison. Tu me conseillerais d'essayer alors ?

- Oui, bien sûr.

C'est à ce moment qu'Harleen se dit qu'elle aurait du communiquer toutes les informations, et même délivrer le nom de Jerome Valeska à sa mère. Mais elle n'en fit rien, se disant qu'il n'était pas nécessaire de l'inquiéter plus.

- D'accord. Merci maman. Je t'aime, termina-t-elle.

Sa mère en fut surprise. Il n'était pas dans ses habitudes de terminer une conversation de cette manière.

- Moi aussi je t'aime, Harleen.

Il y eut un moment de rien, avant que les deux ne raccrochent. Lorsque l'écran qui affichait l'appel disparut, elle retomba sur la vidéo en pause de Jerome. C'était un mélange de fascination, d'admiration, d'un sentiment absolument désagréable qui lui pesait. La sensation qu'il était attirant, l'une de ces choses inconnues que l'on veut absolument découvrir, mais qu'il était aussi cette ombre nocturne qu'on cherche à fuir, par tous les moyens. Et ce paradoxe semblait justifier qu'Harleen devait tenter la chose.

La chose, elle ne savait pas vraiment quoi exactement. Stupide esprit qui donnait des mots sans les justifier.

This Freakin' Girl (Jerome Valeska X Harley Quinn) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant