Bonus: Le Bel Air (fin)

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Résumé: Il était né pour être Alpha. Il était né pour régner. Sa nature l'a désavouée, trahie et son père a senti son honneur se faire bafouer. Soit il n'était pas Alpha mais il ne serait pas un moins que rien. Foi d'Antoine de Beauce.

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Antoine de Beauce. Un nom qui sonnait classe et élégant. Un nom qui sonnait Alpha. Son père était Alpha, son grand-père était Alpha et ses arrières grand-pères avant lui aussi. Une longue, très longue lignée d'Alphas. Un sang noble, fier et fort. La famille de Beauce était dans la noblesse depuis des siècles et à l'apparition du nouveau génome, ils étaient devenus de type Alpha, fierté supplémentaire à ajouter à leur collection.
Philippe de Beauce était grand, musclé, rasé de près, ses cheveux noirs soigneusement peignés en arrière. Il transpirait le luxe à des kilomètres. Il s'était lié à son Oméga quand il eut seize ans et celui-ci quinze, comme il en était de coutume. Il s'était lié à lui, l'avait fait tatoué et changé de nom, comme dans chaque famille traditionnelle.
Angèle de Beauce était d'une beauté raffinée, un teint de porcelaine, des yeux et des cheveux clairs. Il évoluait toujours dans des vêtements fins, des robes aériennes et des talons élégants. Il était Oméga jusqu'au bout des ongles: jambes épilées, corps délicat, longue et soyeuse chevelure, voix suave, manières parfaites. Un Oméga docile, qui obéit à son Alpha, baisse les yeux devant lui, accède à tous ses caprices, envies et désirs. Philippe n'était pas amoureux d'Angèle et l'avait déjà trompé mais il l'appréciait et le respectait. De son coté, Angèle avait depuis longtemps enterré tout sentiments amoureux envers lui. Ils étaient l'un de ces couples unis depuis des lustres, restant ensemble par convention et confort.

Antoine avait toujours été élevé pour être un Alpha. Puisque Angèle avait donné rapidement le très attendu héritier, il avait pu se consacrer à ses frivolités sans avoir à se soucier de coucher à nouveau pour enfanter. Bien sûr il couchait régulièrement avec son mari et passait avec lui ses chaleurs, cependant, il se permettait le luxe de quelques amants. Du moment que c'était discret. Qu'un Alpha couche ailleurs c'était acceptable et accepté, qu'un Oméga trompe ouvertement son Alpha ça passait moins bien. En parlant de ça, Philippe était vraiment stupéfié que le grand homme d'affaires Romulus Vargas, possédant le luxe de plusieurs Omégas de tout âges, les laisse avoir des relations avec des Bêtas. Sans doute était-il un grand homme un peu gaga, son coté excentrique. Il préférait sa femme et leurs enfants à ses Omégas. Ils formaient tout de même une belle collection qui allait sans doute s'agrandir. Oui, Philippe avait élevé son fils pour qu'il soit un Alpha. Fort, indépendant, dominant. Il était intelligent et beau, il irait loin dans la vie. Puis à la puberté, tout tomba à l'eau. Antoine était un Oméga. Sa famille contenait quelques Omégas mais ils n'étaient pas les fils aînés, pas l'héritier. Angèle s'était évanoui devant le résultat du test et une fois éveillé, il n'avait cessé de pleurer et supplier Philippe de le remplir à nouveau, de l'engrosser d'un nouvel enfant qui serait enfin un véritable Alpha cette fois. Il y comptait bien, cette chienne n'avait même pas remplit son unique rôle dans leur relation. Enfin, les Omégas, il ne fallait pas trop leur en demander non plus. Ils voulaient juste un Alpha et des mioches. Rien de plus normal.
- Antoine, il va falloir changer ton éducation.
- Pourquoi?
- Ne réponds pas à un Alpha. Je n'ai pas fini de parler.
Antoine le fixa insolemment de ses grands yeux gris. Ce gosse allait devoir apprendre à baisser les yeux et fermer sa bouche.
- Tu n'es plus mon héritier. Juste un bien à valoriser avant de le donner à quelqu'un d'autre. Comme ta mère.
Il fronça les sourcils en regardant son père. Il n'avait jamais aimé qu'on appelle son père Oméga, sa mère. Il n'était pas une mère, il n'était pas une femme. En fait, Angèle était davantage une jolie poupée souriante et obéissante. Soudain, il comprit. Antoine allait être réduit à ça, à cette poupée aux yeux vides et au sourire artificiel.
- Je suis Oméga, pardonnez-moi Père.
- C'est un bon début. Tu vois que tu peux -
- Mais je ne changerais pas. Je suis et je resterais moi-même. Je n'ai que treize ans mais je ne suis pas stupide. Je ne veux pas être comme Papa.
- Appelle la Mère! Et arrêtes tout de suite. Fini les grandes études de pilotage, fini tout le reste d'ailleurs. Tu auras un précepteur qui va t'enseigner les bonnes manières et tu seras un bon Oméga que je donnerais à un Alpha qui s'occupera de toi.
- Je ne suis pas un chien à dresser pour être vendu!
La gifle fut tellement magistrale que le pauvre adolescent finit sa course au sol, sa lèvre fendue sous l'impact. Angèle était là depuis le début mais n'avait pas bougé. Il avait subit pire qu'une baffe de la part de son propre père dans ses jeunes années. Angèle ne détestait pas son fils, il y portait de l'attention, s'en occupait quand il le réclamait dans son enfance. Mais il ne s'interposerait pas entre lui et son Alpha. Machinalement, sa main se posa sur le tatouage de son cou, près de la morsure réalisée il y avait de cela des années. La lettre grecque de l'Alpha tatouée dans sa chair, un motif somme toute très simple. Avec une date, afin qu'il soit personnalisé, la date où Philippe l'avait acheté. La porte claqua, il s'approcha alors de son fils, passant sa main sur la joue enflée.
- Sois fort, Antoine.
- Tu ne m'aideras pas.
- Ne luttes pas. Fléchir demande plus de force que se rebeller. Tu n'es pas idiot, tu l'as dit toi même.
- Comment tu as pu accepter ça?
Angèle soupira. Il releva son enfant, tapota sa lèvre de son mouchoir immaculé pour enlever le sang.
- Je voulais vivre sans perdre mon confort. Tu n'es pas du même bois que moi, je le sais. Je vais lui donner un autre fils, priant qu'il soit Alpha cette fois.
- Tu me renies.
- Non. Mais je dois accomplir mon devoir, il s'est lié à moi pour ça. Chacun sa part.
- Je ne veux pas finir comme toi.
- Antoine, écoute. Je peux le convaincre de ne pas te vendre avant tes dix-huit ans mais à une seule condition.
- Quoi?
- Prends les leçons, soit excellent comme tu l'as toujours été.
- Pourquoi faire?
- Pour ne pas t'attirer d'ennuis.
- Et ensuite?
- On avisera. Cinq ans, Antoine, tiens juste cinq ans.
Antoine avait toujours pensé que son père Oméga était indifférent et un peu stupide, une poupée parfaite pour son père si fort. Il aimait Angèle, il aimait son odeur et son sourire. Il l'aimait plus que Philippe. Angèle ne fera jamais rien pour lui épargner son sort sous le toit de son mari. En dehors, il en serait peut-être autrement. C'était un mince espoir, très mince. Mais il s'y accrocherait. Il lutterait. En silence mais vaillamment, il lutterait.

Il venait d'avoir dix-huit ans, il n'était plus un enfant. Son précepteur lui avait enseigné toutes les bonnes manières, les us et coutumes d'être un Oméga parmi les Alphas. D'être une proie de choix parmi une meute de loups affamés. Antoine portait désormais de belles robes ouvragées, avait de longs cheveux de jais soigneusement rassemblés en queue de cheval, des boucles d'oreille d'argent, des bracelets de diamants. Il était parfaitement apprêté pour être présenté. Angèle était lourdement enceint, prêt à accoucher d'un jour à l'autre.
- Tu seras officiellement présenté ce soir.
- Vendu ouais.
- Antoine, sois patient.
- J'ai attendu cinq ans. Je veux partir et sans vieux croûton souhaitant fourrer sa queue dans mon trou!
- ...Quelle vulgarité... Enfin, attend que je te présente un certain Monsieur Cornelli.
- C'est qui?
- Personne à part le moyen de te dire de partir. Un taxi t'attendra dehors.
- Pourquoi m'aider Angèle?
- Tu es le petit que j'ai produit. Mon devoir envers toi s'arrêtera au moment où tu franchiras la porte.
- D'accord.
Angèle lui prit la main et ils avancèrent jusqu'à la grande salle de réception, étincelante de mille feux, parfumée des mets délicats présentés aux convives. Angèle conduisit docilement son fils jusqu'à leur Alpha et celui-ci s'empara du bras d'Antoine, souriant de toutes ses dents au comité rassemblé devant lui. Les compliments polis concernant la beauté et la grossesse d'Angèle étant passés, on s'attarda sur la grâce immense du rejeton et sur la chance inconsidérée qu'aurait celui de le posséder. Philippe ne battit pas d'un cil quand des hommes ayant le même âge que lui, ou deux décennies de plus, laissèrent traîner leurs mains avides sur les formes délicieuses de son fils. Sa taille svelte, l'arrondi subtil de ses hanches, la rondeur ferme de ses fesses. Antoine n'exprimait rien, ni envie, ni peur. Cela déçu les participants de ce jeu grossier. On entendit une fourchette d'argent tinter contre une flûte de champagne en cristal.
- Le dîner est servit, Messieurs, Mesdames.
Bien sûr qu'il y avait des dames, pour différentes raisons mais les messieurs étaient les vrais invités de la soirée. Antoine se risqua à lancer un regard à Angèle mais celui-ci l'ignora ou ne le vit pas. Il s'assit donc à table, à la gauche de son père, Angèle étant bien sûr à sa droite. Le dîner fut malaisant et déplaisant. Quand il fut temps de se relever, Angèle vint finalement prendre le bras de son fils.
- Permet, Alpha, que j'emmène notre fils voir un ami.
- Qui ça?
- Don Cornelli. Tu te souviens n'est-ce pas? Ce défilé à Milan!
- Oui, oui. Vas y.
En vérité, il ne savait pas mais il ne voulait pas paraître stupide en ignorant une connaissance de son Oméga. Le cœur du jeune homme battait fort contre ses côtes. C'était le moment, il allait partir. Pour de vrai. Ils firent des tours et des détours à travers les invités et les couloirs avant que finalement, Angèle ne laisse son fils dehors, après une porte de service.
- Il y a un taxi là bas. Monte, tout est préparé. Va-t-en!
- Tu m'as aimé?
- Pars avant que je ne change d'avis!
Cette réponse se suffisait en elle-même. Il l'aimait, à sa façon, détournée mais réelle.

Le jeune homme se faufila sur la banquette arrière, portant uniquement sa robe en lamé argenté, ses boucles d'oreille en argent massif et son bracelet de diamants. Le chauffeur se retourna et lui sourit.
- Antoine, hein?
- Oui...
- J'ai une enveloppe pour toi. Attache ta ceinture, la course est déjà payée.
- Allons y alors.
Il prit l'enveloppe, attacha sa ceinture et la voiture démarra tranquillement, presque sans bruit. Il décacheta l'enveloppe, dedans il y avait de l'argent, beaucoup en petites coupures, des faux papiers et une petite carte où il pouvait lire l'écriture ronde et douce d'Angèle.
Porte-toi bien.
Ni plus ni moins. Il saurait aussi qu'il n'aurait plus de nouvelles de son père Oméga et en priant tous les cieux, plus rien de son père Alpha non plus. Il referma soigneusement l'enveloppe puis en regardant dehors, il se rendit compte qu'il ne reconnaissait plus les alentours.
- Où allons-nous exactement?
- Chez un certain Monsieur Guy La Vallière.
Antoine haussa les sourcils. Il connaissait ce nom, une famille ancienne et respectée mais contrairement à la sienne, résolument tournée vers le modernisme et la lutte pour les droits Omégas. Si Angèle l'envoyait là bas, il devait y avoir une raison.
Antoine fut réveillé par le chauffeur de taxi, toujours aussi souriant. Il lui indiqua qu'il avait dormit plus d'une heure et qu'ils étaient arrivés. Le garçon vit par la fenêtre une belle maison de style ancien, avec une barrière et un porche en bois peint en blanc. Le jardin était parsemé d'une multitude de petites lampes, donnant un air féerique à la pelouse couverte de fleurs en tous genres et les grands arbres, devenus moins terrifiants.
- Je peux attendre jusqu'à ce qu'on t'ouvre la porte.
- Vraiment?
- Oui, p'tit gars.
Le chauffeur de taxi n'était pas un mauvais bougre et ce pauvre gosse venait sûrement de fuir la maison. Il pouvait au moins lui accorder ça. Antoine quitta la voiture puis marcha jusqu'à la porte d'entrée, il sonna et les lumières s'allumèrent. On ouvrit la porte, un grand homme blond le fit entrer et fit un signe de la main à la voiture. Le chauffeur de taxi parti alors dans la nuit.

Guy avait posé un plaid chaud sur les épaules dénudées du jeune Oméga et était désormais occupé à préparer une tasse de thé pour qu'il se désaltère et se réchauffe.
- Tu es donc le fils de... Angèle.
- Vous pouvez dire son ancien nom.
- Non, je lui ai promit. Quel âge tu as, déjà?
- Tout juste dix-huit ans.
- Vu ta tenue, je suppose qu'on voulait te lier.
- Me vendre plus que me lier.
Guy lui sourit avec indulgence et compassion, lui tendant une tasse de thé pomme-cannelle. Antoine préférait le café mais l'accepta malgré tout.
- J'ai connu Angèle du temps où nous étions des enfants et pas des types génétiques. Il s'en est plutôt bien sorti.
- Vous êtes cousin avec une très grande famille traditionnelle, non?
- Oui, Lukwos est connu mais je suis lié à Andarta, de façon plus pragmatique si on peut dire. Enfin bref, laissons ma généalogie de coté, je ne suis qu'un Bêta après tout.
Un Bêta. Il ne sera pas tenté de le violer, en théorie. Les chaleurs étaient douloureuses car son père les lui faisaient subir sans l'aide des injections. Il ne voulait pas revivre ça de sitôt et encore moins avec un inconnu à coté. Après le thé et une bonne douche, Guy lui prêta un pyjama et lui indiqua la chambre d'amis, le laissant se reposer à son aise. Les draps sentaient la lessive et l'adoucissant, et plus loin, en arrière plan, l'odeur de thé et de plantes qui flottait autour du blond en permanence. Bêtement rassuré, et exténué, Antoine s'endormit du sommeil du juste.
Il se réveilla vers 10h le lendemain, il prit une bonne douche et s'habilla avec les vêtements de Guy. Il descendit à la cuisine et le blond l'accueillit d'un sourire.
- Thé, café, chocolat?
- Café, noir. Et une tartine?
- Aucun souci. Mes vêtements sont un peu grands pour toi, on va aller faire des courses.
- Des courses?
- Oui, après le petit déjeuner.
Antoine hocha simplement la tête puis profita de son petit déjeuner, Guy chantonnant tout en balayant dans la maison pendant ce temps là. Cette maison était chaleureuse, agréable. Il se sentait bien ici, serein et en sécurité. La petite clio verte de Guy sentait les plantes, sûrement à cause du diffuseur aromatique accroché aux ventilateurs à l'avant. Elle était propre elle aussi, à part quelques tracts et pub traînant sur le tableau de bord. Sans hésiter, il le conduisit jusqu'au centre ville et ils entrèrent dans une boutique de prêt à porter. Antoine s'illumina à la vue des jeans, tirant un léger rire de son accompagnateur. Ils sortirent de la boutique avec plusieurs sacs contenant cinq jeans, dix tee-shirts, quatre pulls et deux chemises. Tout ça offert par Guy, il y tenait. Alors avec l'argent de son père, Antoine s'offrit des bottes noires, montantes jusqu'au genoux avec des semelles épaisses et des boucles argentées. Il trouva ensuite une veste de style aviateur et eut le coup de foudre. Il fut bientôt l'heure de manger et Guy lui demanda si il voulait manger quelque chose en particulier.
- Il y a un fastfood dans le coin?
- Oui, au coin de la rue.
- Je veux y aller. Je n'y ai pas mit les pieds depuis des plombes.
- Et ton régime?
- Au diable! Ça fait trop longtemps que je mange des légumes vapeurs, je veux du gras!
Et effectivement, il s'engouffra son double cheeseburger, sa grande frite, son soda et sa maxi glace supplément noix de pécan sans broncher. Guy s'était contenté d'un wrap au poulet et d'une salade avec un jus d'orange.

Ayant passé le reste de la journée dans sa chambre avec l'ordinateur de Guy sur les genoux, Antoine fut très surprit de trouver un gamin à table quand il descendit pour le dîner. C'était un gosse avec des cheveux châtains, courts hormis une longue mèche qui couvrait presque l'un de ses yeux bleu de lin.
- Ah Antoine! Je te présente mon fils, Lucas. Il vient d'entrer au collège.
Douze ans donc, bientôt l'heure de la révélation. Cependant, le gosse ne devait pas être inquiet, après tout, son père ne l'abandonnerait jamais, quel que soit son type.
- Bonjour Lucas.
- Bonjour...
- Il est timide, désolé. Installe toi, je vais vous servir.
Un fils mais pas de femme. Et bien évidemment, pas d'Oméga non plus. Il était curieux de cette famille. Le repas se passa bien, ils discutèrent de choses et d'autres, c'était léger, agréable. Une fois le petit monté à l'étage, ils restèrent seuls dans la cuisine. Antoine était curieux mais n'osait pas demander, Guy l'y encouragea.
- Demande moi ce que tu veux.
- Où est la mère de Lucas?
Le grand blond prit son mug préféré, celui multicolore, y fit infuser un sachet de thé et s'assit en face du jeune adulte.
- Hélène est décédée dans un accident de voiture. Lucas avait quatre ans.
- Je suis désolé...
- Ça va. Je ne suis pas le père biologique de Lucas mais j'ai épousé Hélène quand il avait deux ans et je l'ai reconnu comme étant mien.
- Je suppose que Lucas va bientôt passer le test. Et que tu ne le rejetteras pas.
- Tu supposes bien.
- Il en a de la chance. Qui es-tu vraiment? Quel est ton âge, ton métier?
- J'ai trente-huit ans et je suis pilote de carrière. J'étais dans l'armée de l'air mais depuis que j'ai Lucas à plein temps, je suis instructeur de vol et pilote touristique.
- Je voulais être pilote, apprends moi.
- Un Oméga ne peut pas avoir de licence.
- Alors fais moi voler.
Guy reconnaissait la passion là où il la voyait et celle-ci était étincelante. Il emmènerait Antoine Destampes, d'après sa nouvelle identité, voler.

Antoine resta deux mois chez Guy puis il revendit ses boucles d'oreilles en argent pur et en tira un excellent prix avec lequel il s'acheta son premier appartement et décida de passer le permis moto, cependant, il fallait la supervision d'un Alpha. Guy n'en étant pas un, il demanda à l'un de ses amis de le faire, expliquant la situation du jeune homme. Henri Cohen, commissaire et ami de longue date, accepta de signer le papier pour que Antoine puisse avoir son permis. Ravi de cela, Antoine fut un élève assidu et il obtint du premier coup son code de la route, sa conduite avec l'auto école se passa bien, malgré quelques remarques désobligeantes, que Antoine s'empressait de balayer d'un regard hautain, et une fois son quota d'heures atteint et ayant eut une disponibilité, il passa enfin son permis moto. Et l'obtint haut la main! Avec le reste de l'argent venu de la vente, il s'acheta sa première moto, un modèle simple et pas trop gourmand pour commencer. Il fallait aller de petit à grand, pas à pas comme on dit. Pour fêter sa réussite dans ce début de vie indépendante, il voulu aller faire un tour en boîte. Jeune, beau et Oméga, il fut courtisé de tous cotés. Antoine s'en sentit flatté mais aussi terriblement angoissé. Deux hommes le pressaient pour qu'il vienne boire avec eux mais il refusait, cependant, ils le bloquaient.
- Oh tu es là, je te cherchais!
Antoine aperçut un grand homme brun et aux yeux clairs, du moins lui semblait-il. Celui-ci se fraya un chemin et enlaça tendrement Antoine par la taille. Celui-ci se lova contre lui pour faire plus réaliste et les deux autres finirent par partir en pestant. Soulagé, Antoine soupira et s'éloigna un peu.
- Merci.
- De rien jolie fleur.
- Une fleur?
- Tu embaumes le jasmin et un petit quelque chose en plus, je dirais...
Il se pencha pour inspirer un peu plus la fragrance du jeune homme et sourit.
- De la menthe.
Antoine esquissa un sourire, le garçon était sympa. Il finit par lui tendre la main en lui disant son prénom, l'autre la lui serra en se présentant à son tour, disant s'appeler André. Ils allèrent vers un autre coin de la boîte, dansant en bord de piste plutôt qu'au milieu. Le feeling passa bien entre eux, dansant et causant, se rapprochant. Peut-être que Antoine aurait dû fuir quand l'autre se pencha mais il ne le fit pas. L'odeur de l'autre envahit ses narines, une odeur de miel, un miel fleuri, une fragrance spéciale... Du miel d'acacia sans doute. Leurs lèvres se touchèrent, s'embrassant voluptueusement. Ils s'enlacèrent, le petit brun se retrouvant coincé entre le mur froid de la boîte et le corps chaud en face de lui. C'était si bon d'être ainsi embrassé et choyé. André lui proposa d'aller ailleurs et il comprit ce que ça signifiait, pourtant, il accepta.
Le jeune homme tomba sur le lit et l'autre s'allongea contre lui, s'embrassant à nouveau, ses mains passant dans les boucles chocolat, son regard d'argent se perdant dans les prunelles vert de gris au dessus de lui. André avait des yeux extraordinaire, se parant à la fois de vert, de bleu et de gris selon la lumière. Dieu lui-même avait du les lui donner et dessiner ses traits tant il était beau. Et il embrassait divinement bien. Antoine ne s'inquiéta pas d'être nu contre un autre homme, pas plus que le fait qu'ils allaient coucher ensemble. C'était juste parfait à ce moment précis. Au fin fond de son esprit il savait qu'il devrait se poser une question, une question importante. Alors que l'autre dévorait son cou tout en étalant en arabesques compliquées le propre lubrifiant d'Antoine sur ses cuisses, ce dernier eut l'illumination.
- De quel... Oh.. type tu es?
- Aucune importance...
- Si... Je ne ah! Ne veux pas... être lié...
- Ça n'arrivera pas...
Il savait qu'il ne devrait pas prendre ça pour argent comptant mais il le fit quand même. Toutes questions finirent par quitter sa tête, celle-ci s'emplissant de plaisir et de désir. Il s'était toujours demandé en quoi le sexe semblait si extraordinaire, maintenant qu'il le vivait, il trouvait les racontars en dessous de la vérité. Ou alors André était un amant exceptionnel. Un peu plus de deux heures après, André se redressa dans sa glorieuse nudité pour aller prendre son paquet de cigarettes, il s'assit près de son amant du soir et alluma une clope. Une odeur mentholée se fit sentir, attisant la curiosité du plus jeune.
- C'est une blonde mentholée. Tu veux goûter?
Antoine se redressa, depuis qu'on l'avait détecté Oméga, on l'avait astreint à un régime très strict qui respectait la balance diététique au gramme près. Ce qui incluait forcément zéro alcool et cigarette. Il se pencha et André approcha la cigarette de ses lèvres, celles-ci frôlant la peau de ses doigts. Antoine inspira et sans surprises, il se mit à tousser ce qui fit glousser André.
- Ça pique toujours au début!
Antoine toussotait toujours. André lui présenta à nouveau la clope et son compagnon temporaire tira dessus une nouvelle fois. Ça le démangeait toujours mais il ne toussa pas cette fois. André caressa machinalement les longs cheveux noirs soyeux, clopant doucement.
- André, de quel type es-tu?
- Comme toi.
Il ouvrit de grands yeux et se redressa, étonné.
- Tu es un Oméga?
- Ouaip. Je suis même lié si tu veux savoir. Vérifie si tu veux.
Antoine releva la chevelure couleur chocolat et découvrit effectivement la marque parfaite d'une morsure, pile sur la première vertèbre.
- Tu as vraiment un Alpha.
- Pas exactement.
- Comment ça...?
- J'ai une Alpha.
Une femme Alpha. Elles étaient rares et Antoine n'en avait jamais rencontré de sa vie. André était donc bel et bien un Oméga lié.
- Elle me laisse coucher avec des Omégas uniquement même si j'ai aucun souci à me faire baiser par elle. C'est toujours le pied de me faire baiser par ma femme.
Antoine préféra s'abstenir de demander de quelle façon, si elle le chevauchait fougueusement ou si elle le prenait sauvagement par le cul avec un gode ceinture. Non vraiment, sans façons.
- Laisse moi deviner pour toi. Tu viens d'une famille riche et traditionnelle, ton papa Oméga a été acheté aux enchères par ton papa Alpha, il a été arbitrairement tatoué et son nom changé. Probablement par un nom de nana d'ailleurs. Mais toi, mon cher Antoine, tu as préféré t'enfuir que de finir de la même façon.
- Quelle excellente analyse.
- Je viens du même genre d'endroit. Mais j'ai été bel et bien acheté par un Alpha donc mes parents ont bien été obligé de laisser couler.
- Même si c'était une femme?
- Elle reste Alpha et riche. Affaire classée. Mais comme tu constates je ne suis pas tatoué et mon nom n'a pas changé.
- Tu as de la chance. J'ignore quoi faire à présent, j'ai été élevé pour être un Alpha. Je voulais être pilote d'avion, pas une poupée jolie et faite pour pondre des enfants.
- Tu es libre maintenant. A toi de voir ce que tu veux devenir.
Antoine se serra davantage dans les draps, sa joue posée sur la cuisse d'André. Celui-ci lui caressa les cheveux et il s'endormit.

Ayant désormais un logis et le permis, Antoine se décida à trouver du travail. Il devint caissier dans un supermarché du coin et même si ça ne payait pas de mine, il ne se plaignait pas. Il rendait souvent visite à Guy et un jour, il finit par revoir l'Alpha qui avait signé l'autorisation de son permis, Henri Cohen. Il était toujours aussi grand, ses cheveux noirs coupés très courts, ses yeux étant toujours aussi impressionnants par cet effet unique de camaïeu de gris et de bleu.
- Ah, bonjour Antoine!
- Bonjour Henri.
- Je suis venu rendre visite à Guy, j'ai une personne importante à lui présenter.
- Je ne veux pas déranger.
- Au contraire, je serais content de te la présenter également.
Antoine rejoignit donc Guy dans la cuisine, celle-ci étant toujours autant encombrée de carillons, de bibelots et de boîtes à thé. Pas de traces de Lucas dans les parages mais c'était normal, à cette heure-ci, il était à son club de tir à l'arc. Antoine s'assit et Guy prépara deux tasses de café, les deux bruns préférant ce breuvage à ses infusions.
- Tu sais qui Henri ramène?
- Sûrement son compagnon de vie, enfin je l'espère.
Henri franchit la porte quelques secondes après, sa main liée à celle d'un autre homme, il était plus petit, avec de longs cheveux châtain doré et des yeux d'un vert d'eau à en tomber par terre.
- Les gars, je vous présente Charlie. Il est mon compagnon.
- Bonjour, je suis enchanté de rencontrer les amis de mon Alpha.
Il avait une voix douce, un sourire timide mais son regard pétillait de joie. Guy offrit une accolade chaleureuse au petit couple alors qu'Antoine se contenta de serrer la main de chacun. Il leur souhaitait grand bonheur. Charlie venait d'un orphelinat et une fois sa majorité atteinte, il était devenu jardinier. Henri ayant le même âge que Guy, il était âgé de dix ans de plus que son partenaire. Charlie était considéré comme vieux pour un Oméga car à presque trente ans, il n'avait pas enfanté une seule fois. Cependant, il avait pour projet de donner naissance aux petits de son policier préféré. Charlie et Antoine discutèrent beaucoup et le plus jeune fut impressionné de savoir que le jardinier était son propre patron, dirigeant une petite boîte qui s'occupait de l'entretien des jardins des particuliers ou des entreprises, lui-même étant toujours sur le terrain.
- J'aimerais tenir ma propre boîte aussi.
- Je suis sûr que tu peux y arriver. Quel domaine voudrais-tu?
- Je ne sais pas. Je voulais être pilote avant mais les Omégas ne peuvent pas obtenir de licence.
- C'est vrai... Peut-être que tu devrais essayer de faire plusieurs boulots pour trouver ta voie.
- Je pense que tu as raison. Merci Charlie, et encore félicitations.
Le désigné rougit légèrement, sa main droite frottant doucement l'anneau d'or à son annulaire gauche. Après deux ans à se fréquenter assidûment, Henri avait tenu sa promesse et lui avait passé la bague au doigt. Il était désormais lié et marié à un homme qui l'aimait profondément, il avait une situation stable, non vraiment, il avait tout pour être heureux. Il allait fonder une famille sur la base de l'amour, que demander de plus?

Antoine fêtait ses vingt-cinq ans et pour cette occasion, il avait vendu l'un des diamants composant le bracelet avec lequel il s'était enfuit. Le fruit de cette vente lui permis d'acheter un fond de commerce et de payer les travaux nécessaires. Il était en train de construire son rêve, sa vie, pierre par pierre. Guy, Lucas, Henri et Charlie étaient là pour le fêter avec lui et ils avaient commandé un cadeau spécial pour lui. Ils étaient en train de trinquer à sa santé quand on sonna à la porte de Guy, la fête se faisant chez lui. On envoya Antoine ouvrir la porte et il découvrit deux magnifiques spécimens. Le premier, une sublime cylindrée rutilante d'un argent brillant absolument superbe, le deuxième étant un grand garçon à l'allure dégingandée, ses cheveux châtains en bataille et ses yeux d'un bleu translucide.
- Je cherche un certain Antoine Destampes, je m'appelle Armand et je tiens une boutique de véhicules de luxe. Cette Ducati Sport est pour lui.
Une voix rauque mais qui sonnait comme une musique à ses oreilles. Il avait la gorge sèche mais il se sentait humide ailleurs. Et merde. Il tendit la main par automatisme.
- Je suis Antoine.
- Ah mon chanceux client! Laissez moi donc vous présenter ce bijou.
Ils discutèrent longuement de la Ducati et Antoine était autant fasciné par le vendeur que par le véhicule. Ce n'était pas dans ses habitudes de craquer sur le premier venu. Avant de repartir, le dénommé Armand lui donna sa carte professionnelle au cas où il y aurait un souci avec le bijou mécanique ou pour tout autre question. Armand Léhéry.
Après trois mois de travaux, Antoine pu enfin ouvrir son commerce, un café rétro qu'il avait nommé Le Bel Air, la décoration était inspirée de l'aviation des années vingt à cinquante. Il avait même d'authentiques objets disséminés ça et là sous vitrines à travers la salle. Il avait pour le moment deux employées, Borna, une allemande joyeuse et pleine d'entrain pour servir en salle et Caroline, une petite blonde venue de la campagne pour faire la cuisine. Ce n'était pas de la grande cuisine, surtout des sandwichs et des plats simples mais ça suffisait. Antoine gérait la partie direction tout en aidant en salle et en cuisine parfois si il le fallait. Le café avait tout pour fonctionner et en effet, il fonctionna. Situé dans un quartier proche des universités, les jeunes aimaient s'y rendre pour son ambiance particulière. Et le WiFi gratuit. Antoine touchait la réussite du bout des doigts et il s'en sentait fier. Il n'avait plus de famille, plus de nom mais il avait trouver des amis et un avenir, par lui-même, pour lui-même.

C'était un dimanche matin tranquille, le vent d'automne soufflait fort dehors, faisant tourbillonner les feuilles mortes avant qu'elles ne tombent sur le trottoir. Antoine nettoyait son bar, Borna servait les quelques clients. Ils ne faisaient pas de cuisine le dimanche alors Caroline ne travaillait pas et ils étaient fermés le lundi. Soudain la porte s'ouvrit et un client la referma précipitamment, retenant avec difficultés sa vieille écharpe de laine.
- Wow quel vent!
Antoine reconnu cette voix et il se redressa derrière son bar, esquissant un sourire en coin.
- Eh bien, Monsieur Léhéry dans mon bar.
L'appelé se retourna et sourit à son tour, se dirigeant vite à l'aide de ses longues jambes vers le jeune homme.
- Ah, Antoine! Comment allez-vous? Et la Ducati?
- Je vais bien et ma bécane ronronne à merveille.
- C'est fantastique. Un café s'il vous plaît, bien noir.
Antoine le lui servit donc, pendant ce temps, Armand admirait la décoration. C'était vraiment un bel endroit, classe, sophistiqué, à l'image de son propriétaire. Armand n'avait jamais pu oublier Antoine, sa beauté, sa fragrance... Il avait fait une forte impression sur lui. Il lui sourit quand la tasse de café apparu sous son nez.
- Je suis content de vous revoir.
- On peut se tutoyer.
- Tant mieux alors. Tu m'as fait forte impression, je l'avoue.
Antoine s'accouda à son bar, son sourire se faisant plus félin.
- Dis en plus.
- Ça dépend, est-ce que je peux avoir un rendez-vous avec toi?
Le brun ne répondit pas de suite. Il savait que Armand était un Alpha, il le sentait. Une odeur de menthe poivrée et de chocolat amer. Une odeur alléchante. Il savait que la première impression était très importante pour une relation Alpha/Oméga, que l'odeur était décisive, que la sensation de la peau de l'autre l'était tout autant. Ils étaient attirés par l'autre mais Antoine se retenait, il avait fait attention à ne coucher qu'avec des Bêtas ou d'autres Omégas, surtout pas d'Alphas, il s'était préservé d'eux. L'image d'Angèle flottait bien trop dans sa mémoire. Mais pourtant...
- Je ne travaille pas le lundi.
- Je finis vers 18h, disons alors 19h? Comme ça nous pourrons aller dîner.
- Tu n'as pas mon adresse, imbécile.
- C'est vrai, donne la moi alors.
Antoine roula des yeux puis la nota sur son bloc-notes et lui tendit le morceau de papier. Leurs regards s'aimantèrent le temps de donner la feuille, plus aucuns bruits autre que leurs cœurs battant contre leurs côtes, plus aucunes odeurs autre que leurs parfums respectifs et il s'en serait fallu de peu pour qu'ils se sautent dessus. La magie fut brisée par Borna qui commanda deux bières et un cappuccino supplément chantilly. Armand bu son café, suivant Antoine des yeux avant de finalement laisser l'argent sur le comptoir avant de partir. Il avait retrouvé cet Oméga qui obsédait ses pensées et il comptait bien ne plus le lâcher. La vie n'avait pas été tendre avec lui, il voulait maintenant pouvoir la savourer.

De rencarts en discussions, de baisers légers en caresses, l'amour remplaça peu à peu cette amitié étrange. Armand était un Apha compréhensif et il ne forçait pas Antoine à vivre avec lui ni même à se lier. Il se contentait de l'espérer et d'attendre que son hirondelle sauvage accepte un jour de se poser sur sa main pour y gazouiller à l'aise.  

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