La Guerre des Clans - Le Secret des Rêves

CHAPITRE 7

Un corps sans vie.

Là, sous les branches ronceuses et engivrées de la pouponnière, un corps sans vie. Un corps sans âme, sans sensations, sans émotions. Un corps sourd et aveugle aux cris de panique et de désespoir et aux museaux décomposés qui lui faisaient face.

Un corps. Avec rien d'autre à l'intérieur qu'un cœur inutile n'ayant pas battu bien longtemps.

En effet, tout ce qui était tripes, poumons, foie étaient éparpillés en travers du nid de plumes et de mousse et jonchaient la fourrure des corps vivants partis de leur sommeil à la hâte pour mêler des larmes au sang. Seul le cœur demeurait, vacillant, minuscule.

- PERLE DE LUNE !

Cavalcade sur l'herbe dure. Hoquets prenant de la vitesse. Hoquets entrecoupés de protestations.

- Lâche-moi ! mais lâche-moi !

- Toi, lâche-ça !

- Mais c'est ma patte !

- Lâche ta patte ! Je rigole pas, chérie, lâche la immédiatement !

La guerrière dorée précipita au sol la reine tigrée brun et noir avec suffisamment de violence pour éloigner sa patte droite de son visage. 

- Ah, mais ! tu crois que j'avais envie de perdre une autre sœur, moi ?

- Pardonne-moi, Lune Dorée...

Perle de Lune, toujours à terre, se recroquevilla sur le sol glacé, ses pattes repliées contre sa poitrine convulsée par les sanglots, et rentra les griffes. Pluie d'Étincelles, qui avait quelque chose de coincé dans la gorge qu'il n'arrivait pas à faire passer en déglutissant, contempla son corps fragile fait de grands poils négligés sur de grands os pointus, si recroquevillé sur lui même, avec l'herbe givrée qui se mêlait à son pelage, et son œil droit aveugle et si pâle, barré d'une cicatrice, et fut saisi d'une envie irrésistible de vomir. Mais pas recracher le contenu de son estomac. Non, cracher ce quelque chose obstruant sa gorge, qui entravait sa respiration. Mais qu'était-ce ? Des paroles ? Des actes ?

Lune Dorée conservait sur sa sœur un regard dur et blessé, qui s'adoucissait au fur et à mesure que sa colère se dissipait pour laisser place à la compassion dont s'imprégnait chaque félin présent, et elle allait signifier sa peine en lui touchant l'épaule, quand elle releva brusquement le museau, reconnaissant une odeur familière. Alarmée, elle croisa le regard de son frère qui, bien que saisi de hauts-le-cœur, paraissait tout aussi affolé, et avec un dernier regard tendre et brisé pour Perle de Lune, elle partit au galop jusqu'au tunnel d'ajoncs.

Elle avait senti, et Pluie d'Étincelles aussi, le parfum d'Eclair Blanc, le compagnon de Perle de Lune; Eclair Blanc qui, stressé par la mise bas, n'avait pas remis la patte au camp depuis hier au soir et qui revenait donc maintenant. Comment, comment allaient-ils lui expliquer la situation ? Salut, Eclair Blanc, la mise bas s'est super bien passée, par contre oups, ta fille est morte dans la nuit, on a arraché ses entrailles pour les déposer autour de son cadavre. Sinon, elle était sympa, ta petite balade ?

En fait, ce fut à peu près ce que raconta la guerrière dorée au père de la chatonne décédée. Pluie d'Étincelles se rendit compte immédiatement après y avoir pensé que laisser sa sœur faire preuve de tact n'était pas la meilleure chose à faire pour atténuer le choc de la nouvelle.

*****

Pluie de Feuilles s'était réveillée ce matin-là comme tous les matins, oh, un brin plus joyeuse peut-être, et une certaine apprentie aux yeux bleus n'y était pas pour rien, et comme elle se sentait serviable et que ça arrivait à peu près aussi souvent que l'escalade d'un tilleul par un poisson, elle s'était décidée d'aller prêter patte-forte aux novices. Leur première tâche de la journée était le changeage de litières, et la guerrière calico était chargée de la pouponnière.