Je soupire en plongeant la serpillère dans le seau d'eau. C'est ma dernière classe à faire et je serais enfin libre. Après la terrible bagarre, on m'a emmené dans le bureau du proviseur et j'ai cru qu'on allait me décapiter. D'après eux c'était, je cite, "immature" et "inacceptable" mais je pense qu'ils ont oublié le fait que je voulais juste protéger quelqu'un et que ce n'est pas moi la fautive dans l'histoire… je crois. Je ne vous cache pas qu'en plus de ça, ma mère m'a hurlé dessus et qu'elle me fait la gueule.
Heureusement pour moi, j'ai écopé pour ce crime, le nettoyage complet de toutes les salles de l'école au lieu d'une semaine d'exclusion. Joie intense. Mis à part tout ça, je fus choqué que la personne que j'ai défendue ne vienne pas me remercier. Certes, on ne se connaît pas, mais c'est un bien beau service que je lui ai rendu là. Cinq jours déjà depuis l'incident et rien. Je ne l'ai jamais revu d'ailleurs. Emma est marquée à vie par cet événement et Ben m'a tout de suite soutenue. Inutile d'ajouter que tout le monde me déteste maintenant. J'ai attaqué Mason Mead – l'être idolâtré de tous, le Dieu vivant sur terre- devant tout le monde. Ça n'empêche pas que j'ai éclaté de rire en voyant Mason arriver à l'école avec un bandage sur la surface du nez, et des cernes énormes sous les yeux. Je soupire une seconde fois en rangeant les tables et les chaises puis quitte la classe le seau plein à la main. Je fais un détour dans les locaux, dépose le seau, récupère mon sac puis sors de l'école.
En arrivant à la maison, je claque la porte si fort que j'ai eu l'impression que tout avait sursauté. Ma mère se précipite vers moi, le visage paniqué. Elle me dit tout bas:
-J'ai ma patronne dans le salon, soit présentable s'il te plait. Ah, et il y a son fils avec elle.
Avant même que j'ai pu dire quelque chose elle m'entraine dans le salon où règne un grand calme.
-Me revoilà! Je vous présente ma fille, June. June, voici Hélène Mead.
Je frissonne à l'entente de son nom. Mead. Juste à côté d'elle est assis confortablement un jeune homme avec un pensement sur le nez. Mason. Merde. Je tente de m'enfuir mais ma mère me tient si fort et le choque est si grand que je suis clouée au sol. Il sourit d'un air sadique puis dis en se levant:
-Enchanté de te connaître June.
Il me tend sa main, puis après un moment d'hésitation et une légère secousse de ma mère, je la serre. Sa mère fait de même, un large sourire au visage. On s'assoit tous ensembles dans le salon et je ne dis pas un mot. J'apprends qu'ils sont venu rendre visite à ma mère car elle fait de "l'excellent boulot" et qu'elle voulait faire plus ample connaissance. Pendant qu'elles discutent, je reste assise, les yeux dans le vide et je sens constamment le regard de Mason sur moi. Lorsque je lève les yeux pour confirmer mes certitudes, il fait tellement d'effort pour s'empêcher d'exploser de rire qu'il en est rouge. Le feu me monte aux joues et je baisse les yeux. Alors que la discussion tourne autour du passé de ma mère et de ses notes "exemplaires" à l'école, j'entends la mère de Mason dire:
-Apparemment votre fille est excellente à l'école? Dit-elle les yeux pétillants d'une certaine détermination.
Ce qui est faux. Je suis nulle comme un pied. C'est à peine si je sais additionner deux et un. Ma mère répond, fière:
-Oui, ces temps ci elle se débrouille très bien et je n'ai pas été surprise lorsque j'ai appris qu'elle avait apporté un vingt sur vingt en maths.
Hélène me regarde surprise et contente en même temps.
-C'est merveilleux ! Tu as beaucoup de chance! Mason a du mal en ce moment, June pourrait peut être lui donner des cours particulier?
Mon cœur se met à battre très vite. Je suis consternée de voir à quel point ma mère ment si facilement à sa patronne. Ma mère hésite un instant et je la vois se tortiller dans tout les sens, signe qu'elle stresse. Je m'apprête à prendre la parole pour la première fois depuis le début de la conversation pour dire à Hélène de ne pas compter sur moi, mais ma mère me devance.
-Bien sur! Je suis sur que ça fera plaisir à June, n'est-ce pas? Dit-elle, d'une fausse euphorie, en appuyant bien sur le "n'est-ce pas".
J'entends Mason gémir et je devine qu'il ne peut presque plus retenir son fou rire. Après un instant qui me semble une éternité, j'accepte. Une demi-heure plus tard, les Mead s'en vont et Mason ne manqua pas de me dire "La vengance est un plat qui se mange chaud" ce qui lui vaut un regard sombre de ma part. Dès qu'ils disparurent de mon champ de vision, je me suis disputée avec ma mère pendant très longtemps sur le fait qu'elle n'avait aucun droit de dire ça. Elle se défendit en disant qu'elle allait être promue et que cela allait être bien pour le reste de la famille.
Le lendemain j'annonce la nouvelle à Emma qui éclate de rire. Nous étions dans le réfectoire, assise à notre table habituelle. Ben allait nous rejoindre d'une minute à l'autre.
-Oh ma pauvre… Je suis désolée, je te soutiens moralement! Dit-elle après avoir cessé de rire.
-C'est vraiment pas drôle, Emma, dis-je en piochant dans ma salade.
Je lève les yeux et voit Ben arriver.
-Voilà Ben, ne dit pas un mot sur cette histoire, compris?
-Bonjour, dit-il en m'embrassant sur la joue.
On discute de tout et de rien. Je finis ma salade tranquillement puis me détache de la conversation pour observer le réfectoire. Tout le monde bavarde et mange. Quelques tables plus loin, je vois Mason et ses potes qui crient et font énormément de bruits. À un moment, nos regards se croisent et je tourne immédiatement les yeux. Beurk, je le déteste. Puis c'est là où je le vois. Il entre dans le réfectoire en ouvrant grand les portes, il semble énervé. Il traverse la salle à grand pas en ignorant les coups d'œil qu'on lui jette et je ne le quitte pas des yeux. Ses prunelles émeraude regardent droit devant lui et il se tient droit. Il finit par atteindre l'autre bout du réfectoire et sort, puis c'est tout. C'est tout. Et ça me met hors de moi. Six jours que je ne l'ai pas vu, six jours que je vis l'enfer en nettoyant les salles de toute l'école, six jours que je subis les moqueries des autres pour lui et c'est tout? Je me lève en faisant tomber ma chaise et en frappant mes poings sur la table. Tout le monde se tourne vers moi. Avant même que quelqu'un dise quelque chose, je cours vers la porte qu'il avait emprunté pour sortir. J'entend quelqu'un dire "elle est folle" puis je sprint pour rejoindre le connard qui me vaut la réputation de folle. Il me reste quelques mètres et je m'apprête à lui crier de m'attendre mais je ne remarque pas mon lacet défait et je me ramasse par terre.
-Outch! M'écriai-je.
Il se tourna et il me vit au sol. Un grand silence règne dans le couloir durant lequel je m'attend à ce qu'il m'aide mais après quelques instant qui me paraissent une éternité, il se retourne et continue son chemin comme si de rien n'était. Je me relève folle de rage. Le couloir étant à l'extérieur et goudronné, des cailloux sont sur ma joue. J'enlève ma chaussure et lui balance à la tête. Ma ballerine tombe dans un bruit sourd et il tressaille sous le choque. Il me regarde l'air de dire "tu te sens bien?" en se frottant là où ma chaussure l'a percuté.
-Ça te gênerait de m'aider à me relever, peut-être?
Il ne dit rien, puis hausse les épaules en évitant mon regard.
-Je rêve! Aucune politesse!
Puis malgré moi, la colère l'emporte et je me mets à lui crier dessus:
-Est-ce que tu te rends comptes de ce que j'endure? Je t'ai sauvé, ce fils de pute allait te frapper devant tout le monde et tu ne me remercies même pas? Ça fait six jours que je joue les concierges à nettoyer ces foutues tables parce que j'ai aidé quelqu'un et aucun signe de ta part? C'est ça ta reconnaissance?
Voyant qu'il ne répondit rien, je soupire de frustration.
-Ça t'arrive de parler aussi?
Soudain, je le sens se raidir comme si il était pétrifié puis pour la première fois il me regarde dans les yeux. Ses grands yeux verts… Comme si ils racontaient une histoire. Pendant un instant je n'entendis plus rien, je ne sentais plus rien, c'était le vide, il n'y avait que ces yeux. Il soupire puis se détourne et continue son chemin. Ce n'est que le lorsque il ne fut plus dans mon champ de vision que je me rendis compte qu'il ne parlait pas. Il était muet.
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The Curfew
ChickLitQuand June s'interpose dans une bagarre entre Mason, le populaire du lycée et un inconnu, tout va changer. Des évènements inattendu vont se produire, qui vont modifier le destin de nombreuses personnes. La témérité de June n'arrange rien et les ennu...