Chapitre 8 : Le Chaman

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Le soleil apparaissait à l'horizon en perçant difficilement à travers les épais nuages sombres. Ils étaient restés là toute la nuit, appuyés sur la rambarde froide, à observer le paysage qui défilait sous leurs yeux. La conversation n'avait pas cessé un seul instant. La fraîcheur des nuits d'été mordillait leur peau comme les gelés matinales de l'hiver.

– Alphonse était toujours prêt à faire les quatre cents coups. Je me souviens d'une fois où, pour plaire à son frère, il a volé du vin sur le marché ! On se promenait tranquillement au milieu de la foule comme les deux gamins des rues que nous étions, lorsqu'il s'est emparé d'une bouteille sans crier gare. Le marchand, fou de colère, avait lâché son chien de garde sur nous. Un sale clébard baveux et crasseux !

– Comment lui avez-vous échappé ? demanda Elizabeth, la voix pleine d'excitation.

– Eh bien, nous avons couru comme si nous avions la mort à nos trousses ! Nous avons terminé notre course dans les égouts, tremblants et essoufflés. Alphonse était très fier de lui alors que j'étais prêt à lui briser la bouteille sur le crâne. Et puis finalement, nous avons rit jusqu'à avoir des crampes à l'estomac et les larmes aux yeux.

– Ce sont de beaux souvenirs ! souria tendrement Elizabeth.

– Oui, les meilleurs...

  Le silence les enveloppa pour la première fois. Kaylin semblait se perdre dans ses souvenirs et Elizabeth ne trouva rien à redire. Jusqu'à ce qu'une question franchisse ses lèvres.

– Pourquoi est-ce qu'Alphonse est... comme il est ?

– Un peu fou, vous voulez dire ?

– Oui.

  Il poussa un soupire las. La jeune femme cru y déceler une pointe de regret. Kaylin y était-il pour quelque chose ?

– Dorian et Alphonse avaient une petite sœur... Jane. Dorian avait de graves problèmes avec de nombreux nobles de la cour. Il aimait, et aime toujours d'ailleurs, humilier les gens... Sauf que cette fois ci, il s'en était prit à la mauvaise personne. Alphonse et Jane ont eu le malheur de tomber dans un piège destiné à causer du tord à Dorian. Elle fût violée à plusieurs reprises par des mercenaires engagés par un certain Krugg. Alphonse dût regarder la scène encore et encore, pendant des heures. Puis, il a été torturé. Longuement. Les hommes les laissèrent pour morts dans une ruelle sombre. Quand ils réussirent à rejoindre Dorian, celui ci était occupé avec une prostituée... Alphonse délirait et semblait avoir perdu la tête. Jane avait le visage ravagé par les larmes, soutenant Alphonse alors qu'elle tenait à peine debout.

  Kaylin marqua une pause. Il expira toute l'air qui se trouvait dans ses poumons avant de reprendre lentement, en articulant chaque syllabe.

– Jane se découvrit enceinte. Elle pleura des jours durant, au bord d'une falaise. Puis sauta... Alphonse ne s'en remit jamais. C'est pour sauver sa sœur qu'il veut la montre.

  Kaylin leva son regard sur le visage d'Elizabeth. Elle était en plein désarroi. Alphonse avait connu d'horribles événements et désirait le pouvoir d'Edwin pour refermer ses cicatrices. Mais il ne fallait pas jouer avec le temps. On ne pouvait pas modifier le passé. Même pour Jane. Et même pour sa famille...

  C'est alors qu'on les interrompit. Le capitaine du Mary Jane s'approcha et vint se placer entre eux. Il portait une simple chemise blanche, froissée comme s'il l'avait enfilée à l'instant. Ses cheveux étaient ébouriffés et une large cerne noire marquait son unique oeil. Il était épuisé et dépité.

– Alphonse a passé la nuit à chercher l'île... Et il n'a rien trouvé.

  Intérieurement, Elizabeth se réjouissait de cette nouvelle. Elle était bien décidée à empêcher Alphonse de trouver cette montre. Cela pouvait paraître horrible, mais elle était convaincue qu'il ne fallait pas jouer avec des pouvoirs qui les dépassaient.

Dans les rouages du temps (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant