Chapitre 19 : Le sixième couché de soleil de l'automne

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Les deux jours suivants s'écoulèrent sans encombre, avec pour unique paysage une étendue d'eau sans fin. Depuis que le Mary Jane avait quitté le canal du Morigor, ils n'avaient pas croisé un seul morceau de terre. Ils étaient très proche des coordonnées du point Némo.

– Nous y sommes, murmura Elizabeth alors qu'elle brossait ses cheveux de feu dans sa chambre.

  Elle le sentait au plus profond de son être. Une impression comparable à un tsunami la ravagea de l'intérieur, la poussant à quitter la pièce en courant. Les membres de l'équipage étaient dispersés sur le pont du navire. Certains jouaient une partie de cartes bien animés, d'autres tiraient sur les cordages. Elizabeth les dépassa pour rejoindre le pont supérieur, où Kaylin discutait avec Joris.

– Il faut couper le moteur, dit-elle en lui coupant la parole.

– Que se passe t-il ?

– Nous avons atteint notre destination.

  Ses yeux se mirent à briller alors qu'un léger sourire se dessina sur son visage. D'un mouvement du menton, il fit comprendre à Joris d'obéir et de couper toutes les machines.

– Tu en es certaine ? C'est le bon endroit ? demanda t-il en se rapprochant d'elle.

  Elle acquiesça.

– Mais Alphonse... reprit-il en supprimant son sourire. Viens.

  Kaylin lui présenta son bras, qu'elle saisit avec une douceur infinie. Elle savait que l'état de son ami l'inquiétait beaucoup. Et malgré une nette amélioration de sa respiration, il restait endormi. Kaylin conduisit donc Elizabeth dans la chambre d'Alphonse où une forte odeur de transpiration flottait dans l'air.

– Kaylin, écoute moi, je t'en prie. L'état de santé d'Alphonse est... Comment dire ?

  Elle marqua une courte pause le temps de trouver le mot le plus approprié et surtout le moins douloureux.

– Incertain. J'ignore pourquoi il ne se réveille pas alors qu'il n'a plus de symptômes graves. Son cœur est régulier, sa fièvre est tombée et pourtant...

  Il l'écoutait sans ciller, le regard perdu dans le vide, prenant conscience de la gravité de la situation. Le silence s'étira pendant un long moment.

– Et donc, que devons-nous faire ? L'île apparaîtra ce soir, Eli. Alphonse nous a conduit jusqu'ici !

– Lorsqu'elle surgira, j'irai chercher la montre. Seule, expliqua t-elle fermement.

  Kaylin ne put retenir un franc sourire, malgré la situation. Le courage farouche de sa bien-aimée l'attendrissait.

– Eli, commença t-il en lui attrapant tendrement les mains. Après tout ce que nous avons traversé, je ne te lâcherai pas comme ça. Tu es arrivée sur ce navire tremblante de peur et de froid. Et aujourd'hui, tu me demandes de te laisser seule sur cette île en ignorant tout des dangers qui t'attendent. Tu es une femme incroyable, tu sais ? C'est pour cela que je ne veux pas prendre le risque de te perdre.

  Les lèvres de la jeune femme se relevèrent, réhaussant ses pommettes couvertes de tâches de rousseurs. Elle aurait voulu que cet instant dure pour toujours. Elle se sentait si bien, près de lui, à échanger de douces paroles. C'était la première fois qu'Elizabeth se sentait enfin elle-même, elle qui n'avait jamais pu trouver sa place dans la Bulle. Elle savoura ce moment, ce contact avec Kaylin, avant de prendre son courage à deux mains.

– Non, tu ne comprends pas. Je suis une gardienne, Kaylin. Je suis dotée d'un certain pouvoir.

– Mais il ne fonctionne pas toujours ! protesta t-il vivement. Tu...

– Ecoute moi, le coupa t-elle fermement. Je le sens au plus profond de moi. J'étais destinée à venir ici. Qu'importe les épreuves, je sais que je les relèverai toutes. Parce que c'était écrit.

***

  Le soleil baissait rapidement et lorsqu'il atteint l'horizon, l'équipage se rassembla en silence sur le pont du navire. Tous les regards se tournaient vers l'astre enflammé qui avait prit une teinte rouge. Les hommes retenaient leur souffle dans l'attente de voir apparaître l'île de tout les fantasmes. Elizabeth semblait en paix avec elle-même, presque sereine. Ce qui n'était pas le cas de Kaylin. Il jouait nerveusement avec un morceau de bandage qui pendait d'entre ses doigts moites. Il ignorait à quoi il devait s'attendre.

  C'est lorsqu'un quart du soleil fut couché, comme l'avait annoncé Elric, que cela se produisit. Tout d'abord, un vent violent se mit à souffler, dispersant tout les nuages qui se trouvaient dans le ciel rose du crépuscule. Les cheveux bouclés d'Elizabeth volaient dans tout les sens. Puis de façon presque surnaturelle, le calme retomba et la mer cessa de s'agiter pour devenir aussi lisse qu'un miroir. L'étendue d'eau semblait avoir disparu pour laisser place à un étrange paysage parfaitement symétrique, dont le silence était tout aussi troublant.

  Ils attendirent des longues minutes, mais plus rien ne se passa. Le soleil s'était couché pour céder la place à une énorme lune ambrée. La nervosité de Kaylin prit le dessus et il brisa le silence en questionnant Elizabeth :

– Où est l'île ?

  La jeune femme continuait de fixer l'horizon, ne sachant quoi lui répondre. Alors qu'elle s'apprêtait à lui proposer une hypothèse grotesque, une pierre de la taille d'un poing traversa la surface miroitante de la mer pour s'élever dans les airs. Elle gagna rapidement de la hauteur, puis s'arrêta. Un second caillou, d'une taille bien plus conséquente, vint rejoindre la première. C'est alors que, devant les regards incrédules des pirates, des dizaines de rochers toujours plus gros, atteignirent les cieux. Les morceaux de rocs lévitèrent dans une sorte de ronde dont le centre restait vide. Jusqu'à ce qu'une île entière émergea de l'océan pour venir se placer au milieu du cercle.

  Lorsque cet étrange spectacle prit fin, la nuit était tombée. Le souffle court, Kaylin posa son regard sur Elizabeth.

– Tu avais raison. Elle est là, lui murmura t-il.

– Aurais-tu douté de moi ? plaisanta t-elle sans une once d'ironie dans sa voix.

  Il ne se donna pas la peine de répondre à sa question. Bien sûr qu'il avait douté. Personne sur ce navire, n'y avait vraiment cru. Comment aurait-il pu ?

– Messieurs, s'écria t-il dans le noir, voici le but de notre voyage ! Nous sommes arrivés ici grâce à vous et à votre détermination sans faille ! Il est tant de mettre la main sur notre récompense !

  Une effusion de joie et de cris retentir en réponse à ce discours. Elizabeth s'avança à son tour pour prendre la parole. Elle patienta un instant, le temps que le calme retombe sur le Mary Jane.

– Oui, nous y sommes arrivé. Cependant, le voyage n'est pas tout à fait terminé. N'oublions pas que nous sommes ici pour débusquer la montre de Ledge et de tirer profit de ses immenses pouvoirs.

  Malgré la surprise générale de voir Elizabeth faire une telle allocution, les hommes l'écoutèrent attentivement.

– Vous devez me laisser poser pied à terre seule.

  Une rumeur de protestation s'éleva dans les rangs. Et elle le comprenait parfaitement. La clameur prit une ampleur trop importante et Kaylin du intervenir :

– Il est important, commença t-il en poussant sur sa voix pour couvrir les cris de l'équipage, que nous laissions Elizabeth y aller seule. Elle est capable d'utiliser les pouvoirs des gardiens. Ce qui lui donne une chance de réussir face aux épreuves de Ledge. N'ayez pas la naïveté de croire que la montre nous attend sur un plateau d'argent.

Dans les rouages du temps (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant