Chapitre 21 : La montre

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Elizabeth grimpait lentement les marches de pierres. Sa tête était douloureuse et elle avait toujours ce goût métallique dans la bouche. Tous les membres de son corps la faisaient souffrir. Elle du même s'accorder une longue pause à mi-hauteur pour reprendre son souffle.

  Et lorsqu'elle eu atteint le sommet, elle déboucha dans une sorte de jardin. Une rivière coulait le long d'un chemin de cailloux blancs, bordé d'arbres en fleurs. Elle suivit le sentier en perdant la notion du temps. Un pâle soleil se levait à travers les branchages, un oiseau chantait au loin. Elizabeth avait l'impression d'être au paradis. Elle en oubliait presque la raison de sa venue ici. Elle n'avait plus qu'une envie, celle de s'installer dans l'herbe fraîche pour se laisser sombrer dans un profond sommeil. Toute sa volonté s'était envolé.

– Non, Eli ! Tu dois continuer, se motiva t-elle. Ne t'arrête surtout pas de marcher.

  Aussi, elle reprit sa marche d'un bon pas, bien décidée à avancer. Au bout du sentier, une volée de larges marches de marbres s'offraient à elle, qui la guidèrent à un kiosque suspendu dans les airs. Les colonnes blanches étaient recouvertes de végétations et de lianes sauvages. Elizabeth avança droit vers cette bâtisse, sûre d'elle. Lorsqu'elle entra, son cœur manqua un battement.

  La montre était là, protégée par une cloche de cristale, reposant sur un piédestal de marbre au centre du kiosque. C'était une montre à gousset banale, elle n'avait rien d'exceptionnel. Un papillon incrusté de pierres turquoises et vertes se dessinait à l'intérieur du cadran. L'aiguille des secondes tréssautait sans cesse mais n'avançait pas.

  Elizabeth s'approcha et souleva la cloche, qu'elle posa délicatement au sol. Elle prit un profonde inspiration en essayant ses mains sales sur son pantalon. Puis elle s'en saisit.

  Une étrange chaleur se nicha au creux de son estomac, lui donnant l'impression d'être enfin compléte et d'avoir retrouvé une vieille amie.

– Quel secret caches-tu ?

  Elle la leva bien haut, prête à la fracasser sur le piédestal. Un puissant bruit de détonation résonna, la faisant sursauter. Une balle vint s'écraser sur une des colonnes en provoquant un nuage de poussières. Elizabeth se retourna pour faire face à une vision d'horreur.

  Dorian et H se tenaient en bas des marches, un prisonnier à genoux devant eux. C'était Kaylin. Il avait un énorme coquard enflé au niveau de l'œil droit et H le maintenait au sol avec le prolongement noir et visqueux de son bras.

– Mes hommages, ma dame. Nous allons prendre ceci! cria H en pointant la montre du bout de son pistolet.

  La tension était palpable. Le cœur d'Elizabeth se crispa dans sa poitrine, la vision de Kaylin ainsi soumis était difficile à supporter.

– Ne lui donne pas, Eli ! hurla Kaylin.

– Tu devrais te taire ! aboya Dorian. Ou tu finiras comme Alphonse ! Veux-tu voir, Elizabeth, ce qui est arrivé à mon cher frère ?

  Sans attendre de réponse, il lança un objet en direction de la jeune femme. Elle ne mit pas longtemps avant de deviner de quoi il s'agissait. Le saphir qui remplissait l'orbite creuse d'Alphonse glissa à ses pieds. La pierre précieuse était tâchée de sang séché. Ils s'étaient débarrassés de lui. Un étrange poids pesa soudainement dans sa poitrine. Cette triste nouvelle la peinait énormément. Plus qu'elle ne l'aurait cru.

– Très bien, vous pouvez la prendre ! répondit Elizabeth en comprenant qu'elle n'avait pas d'échappatoire.

  Elle refusait de prendre le risque de perdre Kaylin. Avec son pistolet, H lui fit signe de s'approcher lentement. Et c'est ce qu'elle fit. Elle descendit les marches de l'escalier, un pas après l'autre. Elle réfléchissait le plus rapidement possible, son esprit bouillonnait mais aucune idée ne lui vint. Utiliser ses pouvoirs ne lui apporterait rien. Si elle détruisait la montre, ils les tueraient tous les deux.

  Elle s'arrêta à trois pas d'eux et Dorian tendit sa main libre vers elle.

– Libère le, ordonna t-elle.

– La montre d'abord, répliqua t-il d'un ton tranchant.

  Elizabeth ne fit aucun mouvement, alors H resserra son étreinte autour du cou de Kaylin. Il tenta de se libérer de cette emprise mais le moindre de ses gestes provoquait son propre étranglement. H posa alors le canon de son arme sur la tempe de Kaylin.

– Arrête ça !

– La montre, répéta Dorian, la main toujours tendue.

  Elizabeth obtempéra et s'approcha pour lui remettre la relique. Mais alors que sa main allait rencontrer celle de son ennemi, elle ralenti le temps. Dorian et H ne comprenaient pas ce qu'ils virent lorsqu'Elizabeth, d'un geste rapide et précis, joua avec les molettes de la montre et enclencha le mécanisme.

  En un instant, le jardin et le kiosque immaculé disparurent. Tout devint noir autour d'eux et plus aucun son ne leur parvenait. Ils étaient coupés du monde. Une seconde plus tard, des pavés couvrirent le sol, de vieilles habitations bourgeoises s'élevèrent vers le plafond de verre. Ils étaient de retour dans la Bulle. Bien que le soucis n'était pas de savoir où, mais plutôt quand ?

  Dorian et H regardaient partout autour d'eux, en pleine confusion. Sans attendre qu'ils retrouvent leurs esprits, Elizabeth attrapa la main de Kaylin et ils s'enfuirent dans une des ruelles parallèles à la grande avenue. Ils arrivèrent à un croisement et Elizabeth tourna à gauche sans hésiter. Kaylin lui demanda :

– Est-ce que c'est réel ? On est où, là ?

– Bienvenu chez moi... répondit-elle, à bout de souffle.

  Rapidement, ils atteignirent le manoir des Buckett's. Il était toujours là, avec ses hautes grilles de fers forgés noires, majestueux dans le silence de la Bulle. Elizabeth prit un instant pour se retourner et observer les parois de verre et le constat lui causa un choc : elles étaient intactes.

– Entrons, ordonna t-elle. Ici, on est sur mon territoire.

  Elizabeth poussa les portes de sa demeure et elle fut aussitôt saisie par un sentiment de nostalgie. Le hall d'entrée était désert mais on entendait distinctement le bruit de tasses de thé dans le salon, sur la droite. La mère d'Elizabeth était sûrement là, en train de partager les derniers potins avec ses amies. Son cœur se serra. En remarquant son moment d'absence, Kaylin lui attrapa doucement la main.

– Tu devrais peut-être aller la voir ?

  Elle n'eut pas la force de répondre et secoua simplement la tête pour refuser.

– Je... Non, on a une tâche plus urgente, réussit-elle à bredouiller.

  Elle se précipita dans les escaliers pour gagner le bureau de son père, au premier étage. Tout était en ordre, chaque chose à sa place. Hervé avait toujours été très organisé. Les livres étaient soigneusement rangés dans la bibliothèque et pas un grain de poussière ne couvrait les meubles en chêne massif. Au dessus de la cheminée était suspendue une épée dont la poignée d'or étincelait. Elle l'arracha d'un geste sec à son socle de bois noir puis la tendit à Kaylin.

– Je me sens mieux, lui souria t-il.

– Ils ne vont pas tarder à nous trouver. Accueillons-les comme il se doit.

Dans les rouages du temps (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant