28. Nous ne vivons pas dans un monde...

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« Le monde avait bien changé, en dix minutes. »

Budapest, Bureaux du BIS, 2141


« Votre travail ici a été exemplaire. Vous retournez dans les unités de terrain ?

— Affirmatif, agent Varga.

— Je ferai un rapport élogieux sur vous au Bureau.

Eszter remit en ordre les icônes des documents dispersés sur tout l'écran mural.

— Je regrette que notre enquête se termine prématurément. J'espère que vous ne repartirez pas d'ici frustré.

— Pour tout vous dire, répondit Reza, je suis content que ça se termine comme ça. Avoir revu cette vieille vidéo m'a rappelé les années de la Libération. À l'époque, je n'ai vu cette gamine que dix minutes, mais son souvenir m'a tellement marqué... je suis heureux d'avoir su ce qu'elle était devenue, finalement. Et heureux aussi de ne pas avoir eu à la mettre dans une cellule. »

Il y eut un bruit derrière eux. À l'extérieur, Lysen avait écarté le store et collé l'écran de son dépliable contre la vitre du bureau.

« Séquençage de génome effectué. Voici le code génétique d'Aléane. »

Choquée, Eszter ne sut comment réagir. L'enquête prenait fin. Le Bureau aurait eu de multiples occasions de se procurer la racine d'un cheveu, une trace de salive sur un verre ou de cellules de peau morte sur des empreintes digitales. Mais plus maintenant.

Malgré la phrase de circonstances qu'elle venait de sortir à Reza, elle voyait d'un bon œil la fermeture de ce dossier. Rien de bon ne pouvait en sortir, rien qu'une énième chasse aux sorcières – ou chasse aux monstres.

Non content de trahir sa confiance, Lysen allait maintenant les obliger à s'enfoncer dans un chemin sans retour. Fulminante, elle rassembla l'équipe autour de l'okrane.

« Le laboratoire nous a fait la courtoisie de rendre les résultats assez explicatifs. D'ordinaire, pour identifier un ADN humain ou okrane, ou utilise trente-cinq marqueurs génétiques. Des séquences caractéristiques. Nous avons vous et moi le même nombre de chromosomes, 98 % de code en commun, mais des séquences facilement identifiables. Il se dit même que le créateur initial des okranes a encodé son nom et prénom dans une séquence non codante.

Tout était résumé sur une seule image.

— Les marqueurs bleus identifient un humain, les marqueurs rouges identifient un okrane. Pour chaque marqueur, la probabilité d'erreur sur les tests effectués est de dix pour cent.

Reza passa la main dans ses cheveux courts.

— Je ne l'aurais jamais cru, dit-il.

— On va avoir besoin de résultats complémentaires, continua Lysen.

— Vous avez eu un contact avec elle, tempêta Eszter.

— Cet échantillon a été obtenu... par hasard. Un cheveu retrouvé sous mon bureau, que je me suis amusé à faire séquencer. Je n'aurais jamais sciemment enfreint mes ordres...

La guerre de regards dura presque une demi-minute. Reza, Anthony Strykes et Keito Niwa comprenaient parfaitement la situation.

— Même s'ils arrivent un peu tard, nous ne pouvons pas ignorer ces résultats, abdiqua la cheffe de la cellule. Nous allons faire remonter tout ça. Je ne sais pas ce que le Bureau en fera. »

Le Temps des ÉlusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant