« Nous souhaitons prendre part au combat. »
16 juin 2143
Les valises diplomatiques allèrent de continent en continent, irriguant la Terre entière de leur flux continu. Christian Mahler ayant infesté les réseaux, la cryptographie usuelle n'assurait plus contre ses intrigues.
Son absence de la scène cachait un plan exécuté avec minutie. Le prochain chapitre se faisait attendre avec fébrilité. Les mains se tenaient en équilibre au-dessus du plateau, prêtes à déplacer les pièces.
La bataille des alephs dura quatre jours entiers. Vue de loin, elle ressemblait à un conflit d'insectes, une querelle entre deux fourmilières voisines. Et les Léviathan victorieux, qui quittaient leur zone de travail en apportant avec eux des dizaines d'astéroïdes de petites tailles, avaient l'allure de scarabées dévoués à une tâche minuscule et futile.
Kzran et les experts du BIS durent réinitialiser les programmes de coordination de drones et reprendre pas à pas l'exécution des stratèges. Les détails techniques ne pouvaient plus être si facilement confiés aux machines, maintenant que les machines se révoltaient contre eux.
« Nous savons déjà que certains pays du G15+ disposent de lasers spatiaux, jugea-t-il lors de leur cinquième réunion. Les armes hypercinétiques n'auront aucune utilité contre les Léviathan, puisqu'elles visent à impacter des cibles terrestres.
— Ce sont des lasers prévus pour désorienter les missiles intercontinentaux, tempéra l'experte du BIS. Au mieux, pour les détruire. Un Léviathan pèse mille tonnes. Comment voulez-vous faire plus qu'une égratignure ?
— Il peut être possible de détruire leurs senseurs principaux. Les léviathan ne sont pas des armes de guerre. Ils sont fragiles.
Une agente leva le nez de ses ordinateurs.
— Ils sont un millier, dit-elle. Ils nous ramènent des « petits » cailloux entre entre dix mille et un million de tonnes.
— Il ne s'agit pas d'une éradication de l'humanité, ni de la biosphère. Ce seront des frappes stratégiques. N'oublions pas que ce sera un virus, ou une bactérie, qui sera sans doute le plus efficace.
Le directeur Molak, qui plongeait dans la perplexité, ressurgit pour donner les résultats d'un appel.
— Nous n'avons pas réussi pour le moment à imposer l'état d'urgence biologique. Les restrictions sur les transports ne sont pas encore justifiables, étant donné que nous n'avons pas de preuve de la menace.
— À dire vrai, dit un conseiller, l'Union vient de décréter des mesures. On pourrait nous justifier en disant qu'on prend exemple sur eux.
— C'est parfait, lâcha Kzran. Faisons ça. En dernier recours, quelle sera l'efficacité des missiles contre des cibles spatiales ?
— Difficile à quantifier, jugea un analyste. On ne peut pas tirer un missile nucléaire sur une cible trop proche du sol à cause des retombées radioactives. Et on ne peut pas espérer vaporiser un astéroïde ; tout au plus peut-on dévier la trajectoire de l'objet, et causer sa fragmentation... ce qui pourrait être catastrophique. »
Catastrophique.
Certains pays renâclaient à appliquer des mesures d'urgence. Une menace venant de l'espace... tout cela restait théorique. Invisible à l'œil nu. Mais le monde de C ne les attendrait pas. Il s'imposerait.
***
Il leur restait trente jours avant l'arrivée des léviathan.
Des vaisseaux avaient fait l'aller-retour entre la Terre et Mars afin d'échanger des informations et des codes de protocoles de communication. L'Union comptait mettre sur pied, dans le temps imparti, une force de défense spatiale crédible. Le conseil estimait qu'en réquisitionnant une partie importante des capacités industrielles, ils pourraient créer des drones spatiaux.
Personne n'avait eu auparavant à militariser l'espace, officiellement du moins, puisque des armes hypercinétiques et des lasers antimissiles dormaient parmi la ribambelle de satellites terrestres. Ce serait donc une première.
Pour la séance du Conseil de l'Union, retransmise au BIS et au G15+, l'aleph 899 se tenait debout devant les okranes. Sa silhouette échancrée, partiellement translucide, oscillait d'avant en arrière.
« Vous avez exprimé le souhait de participer à nos opérations de défense, dit le doyen du conseil, un okrane d'au moins cinquante ans.
— Nous souhaitons prendre part au combat, comme les léviathan loyaux de la ceinture ont tenté de le faire.
— Quelle assurance pouvons-nous avoir que vous ne vous retournerez pas contre l'Union et la Terre ?
— Aucune. Nous avons déjà collaboré de façon extensive avec la CVU pour expliquer comment les alcyons ont propagé leurs idées sur le réseau aleph, réussi à gagner à leur cause la moitié des nôtres, et ensuite, vraisemblablement, verrouillé leurs instances de volonté. Le réseau aleph est maintenant totalement bloqué. Nous avons mis en place un nouveau réseau et il est fort peu probable qu'ils parviennent à s'y infiltrer. Quand bien même, il leur est impossible de nous enrôler contre notre volonté. Si vous êtes capables de nous faire confiance maintenant, vous savez que vous pourrez continuer jusqu'à la fin de la guerre.
— La question peut sembler triviale, mais pourquoi voulez-vous collaborer ?
— Nous sommes membres de l'Exadiel et de l'Union. Nous ne nous sentons pas appartenir à une planète ou à un monde en particulier, mais nous sommes nous aussi membres de votre société. Nos capacités peuvent permettre de l'emporter.
— Qu'en penses-tu ? dit Kzran.
— Je ne connais pas les alephs, seulement l'architecture de Kirdan.
— Leur psychologie n'est pas très différente de ce que tu as dû étudier. »
Quelquefois, elle se disait que cela avait un lien. Peut-être Diel l'avait-elle guidée. Peut-être avait-elle toujours su que son créateur était une Conscience Artificielle, et que, pour le vaincre, elle devait se donner les moyens de le comprendre.
Auquel cas, c'était un cuisant échec. Après un siècle d'évolution, Christian Mahler n'avait plus rien d'une machine de Kirdan.
« Tu as certainement plus d'expérience avec les aleph que moi, Kzran. Qu'en dirais-tu ?
— À à la fin, nous allons lancer un dé. Il n'y a aucun moyen de savoir s'ils sont vraiment de notre côté ou si c'est juste un autre moyen de saboter nos défenses. Je pense que les traîtres, s'il y en a, agiront forcément au moment opportun. À ce moment, il vaudra mieux que les loyaux soient avec nous. »
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Le Temps des Élus
Science Fiction-- Deuxième volet dans la trilogie Diel -- /!\ Ce livre est la suite de l'Ère des Esclaves. Ne pas avoir lu le tome précédent vous expose à la désagréable sensation de ne pas savoir ce qui se passe. /!\ 2140. Le monde connu, ou plutôt Trimonde, s'ét...