35. Nuit

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Paz, 2142


« Le BIS a confirmé aujourd'hui l'arrestation d'une hybride. L'individu a été arrêtée alors qu'elle se cachait à Paz. Rappelons que les autorités de la ville se sont décidées au cours de la nuit à donner l'autorisation d'intervenir aux équipes du Bureau, qui se tenaient prêtes depuis déjà plusieurs jours.

Un communiqué du BIS salue une « opération menée avec efficacité et professionnalisme » et remercie notamment les agents ayant pris part à la manœuvre, certains recherchant les hybrides depuis plusieurs mois déjà.

Si certains observateurs supposent que cette arrestation rondement menée devrait améliorer les relations entre le BIS et les autres Cités Libres, d'autres craignent que ce soit le prélude à de nombreuses autres interventions. Le gouverneur d'Aten a réagi ce matin en indiquant que la ville n'autoriserait jamais une ingérence dans ses affaires internes ni sa sécurité intérieure, et a à nouveau fustigé la politique du BIS et l'inactivité de la communauté internationale face à un bras de fer qui dure depuis plus de six mois. »

Une musique quelconque battait dans les oreilles du public et la piste de danse vibrait en rythme. L'encombrement menaçait, mais on trouvait encore de l'espace pour s'asseoir. Aux tables et sur les bords de la pièce, des bavardages et des conversations naissaient et mouraient comme l'écume, préservés par des atténuateurs de bruits.

Le son dans cet endroit était une étrange matière, qui apparaissait et disparaissait par les miracles de la technologie.

« Qu'est-ce que vous voulez ?

— Peut-être juste un jus de fraise.

— Synthétique ou naturel ?

— Synthétique. Je ne roule pas sur l'or. »

Le barman attrapa une bouteille en verre au fond aimanté, la laissa quelques instants en lévitation magnétique au-dessus du comptoir métallisé, puis se décida enfin à l'attraper du mouvement le plus fluide, le plus rapide, en versant le contenu dans un verre qu'il agrémenta ensuite de quelques fioritures.

« On dirait qu'il n'y a pas foule aujourd'hui.

— C'est déjà un miracle qu'il y ait du monde, avec tout ce qui se passe. Les hégs et les tols se battent dans les rues tous les jours, quasiment, jeune fille.

— Si c'était la fin du monde, il y aurait toujours des gens ici en train de faire la fête. »

Aléane agita légèrement le contenu de son verre.

« Assurément. C'est ce qui nous rend humains.

— « Nous », façon de parler. Vous êtes bien loquace pour une IA. »

Le barman n'avait pas le visage siliconé des humanoïdes terriens, ni l'élégance des alephs. Sa face en plastique électrosensible blanchâtre se déformait à la faveur d'expressions pré-enregistrées. Malgré un soin particulier apporté à ses yeux, il était bien en-deçà du seuil de Li Wang pour les robots : les concepteurs assumaient sa nature artificielle. Contrairement à Aléane, conçue pour brouiller la différence entre humains et okranes.

« J'ai été entraîné pour être un vrai barman.

— Vous êtes quoi ? Architecture de Kirdan, je suppose, basée sur quelle logique ? Plutôt réseau conceptuel ou système descriptif ? Une famille polynomiale ou exponentielle ?

— Je vois que mademoiselle est connaisseuse. Vous avez travaillé dans le domaine des IA ?

— Je pourrais dire comment vous fonctionnez rien qu'en discutant un peu plus.

Le Temps des ÉlusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant