chapitre 4 : il était une fois Chloé

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Il était 20 heures. Je venais de raccrocher avec mon père après une longue discussion parce que l'infirmière était venu me prévenir que le repas allait être servi. C'était la première fois que je descendais manger dans la salle. Je restais toujours dans ma chambre, sois à lire une quelconque revue, soit à faire perdurer un appel mais je ne descendais jamais pour une seule raison : tout le monde me détestait. Vous avez dans les écoles, quand une personne arrive et que pour je ne sais quelle raison cette personne se fait huer du matin au soir. Ne vous faites pas d'illusion, en hôpital, c'est pareil. Les gens ne sont pas plus indulgents ; au contraire ils peuvent te juger encore plus, sur un sujet presque tabou : ton intimité et tes problèmes. Car, c'est connu, dans un hôpital tout le monde connait les problèmes de tout le monde. Je décidais de mettre toutes les chances de mon coté et me forçais a sourire devant mon miroir pour en reprendre l'habitude. Parce que si il y avait bien une chose que j'ai perdu ici, autre ma dignité, c'est mon sourire. Il était devenu absent. Absent oui, c'était le mot juste. Mon sourire ne ressemblais plus qu'à une courbe blanchâtre sur le bas de mon visage. Du matin au soir, il m'arrivait de passer devant mon miroir. C'était le désastre. Je rentrais dans une sorte de spirale qui me ramenait dans tous les moments douloureux qui m'avaient fait perdre toute joie. Alors je traçai ma route et retournai me coucher, trop déprimée pour continuer la journée. Mais je voulais que ca change. Je voulais avoir cette chance de côtoyer des adolescents et de ne plus voir ce lieu comme une simple prison. Je prenais les escaliers, persuadée que dans l'ascenseur avec ma chance je ne me retrouve avec une peste et, avec ma fragilité me mette à pleurer. Par chance, Prune était dans les escaliers. Prune était d'une timidité maladive et je savais qu'elle n'allait pas au self. C'était impossible. Cependant, je me forçai à établir un contact.

- Coucou prune

Elle mit quelques temps à tourner la tête dans ma direction puis esquissa un sourire légèrement perdu mais moqueur.

- euh, bonjour.

- tu me reconnais ?

- pour te reconnaître, il faudrait que je te connaisse.

- tu ne t'appelles pas prune ?

- non, moi c'est Carla.

Je me sentais idiote. Je l'avais pris pour une fille qu'elle n'était pas. Je voulais juste établir un contact et voila que j'allais devenir une cruche aux yeux d'une fille qui voulait simplement prendre les escaliers et se nourrir, sereinement.

- oh pardon, je suis un peu étourdie, je t'ai pris pour une ancienne copine. Je suis idiote, désolée.

- mais non, t'inquiète, ça arrive à tout le monde !

Je la regardais d'un air de chien battu, comme si j'étais prête à ce qu'elle déverse sa colère sur moi. Avec Perrine, c'était ce que j'avais appris à faire.

- merci. Moi c'est Lucie.

- tu vas au réfectoire ?

- oui je vais manger au self ce soir.

- c'est drôle, je ne t'ai jamais vu !

- c'est parce que je n'y suis jamais !

- ahah, oui ca doit être ca.

- au fait, c'est bien toi la "Lucie" dont tout le monde parle ?

- ah ? euh, je ne savais pas que j'étais devenue la rumeur de l'hôpital mais peut être.

- oh, désolée.

- c'est rien, j'ai l'habitude qu'on se moque de moi.

- mais ...

- non vraiment t'inquiète !

- non c'est que la rumeur est que tu es vraiment une fille forte d'avoir sauvé Perrine la dernière fois quand elle est tombée dans les escaliers.

- ah alors ce n'est pas moi.

- pourquoi ?

- parce que je la déteste. Ca doit être Lucie Guillaud.

- oui c'est ça ! tu la connais ?

- vaguement.

Ce que je ne disais pas, c'est que nous avions été meilleures amies au primaire et que lors de mon accident, incapable de m'aider elle avait nié notre amitié jusqu'à ce qu'elle soit effacée de la mémoire de tous.

- elle a l'air gentille

- ouais super sympa apparemment. menteuse. Bon je vais manger, à plus !

- attends Lucie, demain tu fais pilâtes à 11h ?

- oui normalement mais je devrais quitter le cours avant la fin parce que j'aurais thérapie de groupe a 11:20.

- eh bien j'y serai aussi. A la thérapie je veux dire. Enfin aux pilâtes aussi !

- oh !

- bon alors demain tu m'attends devant la salle de pilâtes a 10:50 ok ?

- pas de problème ! Tu veux qu'on mange ensemble ?

- désolée, mes amies m'attendent. Viens si tu veux !

- nan ca va merci. A demain !

Aïe. j'avais oublié que les autres n'étaient pas associables. Ils avaient des amis, eux.


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