Chapitre Un

164 37 63
                                    

     Léa Tardi rentrait chez elle, les mains dans la poche de sa doudoune. Il faisait vraiment froid en ce début de décembre. Malgré les décorations de Noël lumineuses, les vitrines de magasins de jouets et la musique festive dans la rue, Léa se sentait étouffer. Cette sensation ne l'avait plus jamais quittée depuis le jour fatal.

La jeune femme sentit sa gorge se bloquer, signe d'une évidente crise d'angoisse. Habituée, elle enleva son écharpe et entreprit de respirer lentement l'air frais.

Vingt minutes plus tard, enfin calmée, elle reprit sa route en triturant ses clés. Marcher, cela lui faisait du bien.

Léa tourna la clé dans la serrure, et entra dans le petit appartement qui lui servait de toit. Elle se laissa tomber lourdement sur le canapé, attrapa la télécommande et alluma la télévision. Jugeant qu'un feuilleton idiot ferait l'affaire, la jeune femme prit son plaid à carreaux et s'endormit, bercée par le doux grésillement de l'émission.

Au petit matin, réveillée par son téléphone, Léa attrapa son petit appareil bien loin des dernières tendances tout en se questionnant sur son interlocuteur.

­— Allô ? fit-elle d'une voix enrouée.

— Bonjour, est-ce Madame Tardi ? répondit une voix d'homme chaleureuse.

— C'est moi. Que se passe-t-il ? demanda Léa, légèrement paniquée.

— Rien de grave, rassurez-vous. C'est une bonne nouvelle que j'ai à vous annoncer. Je suis Monsieur Grouet, codirecteur de la société de journalisme Rêves d'ailleurs. Je vous informe que votre CV a été très impressionnant. Votre expérience et votre charme feront parfaitement l'affaire. Aussi, j'ai l'honneur de vous dire que vous êtes engagée pour devenir la nouvelle reporter de Rêves d'ailleurs ! Vous allez pouvoir voyager, et écrire de magnifiques articles. J'espère que vous êtes prête ?

Léa ne sut que répondre. Interloquée, elle ne réussit qu'à produire un petit son.

— Oh... Euh... Oui, super.

L'homme, emporté sur sa lancée, continua sans faire attention aux paroles de la jeune femme.

— Vous viendrez nous voir demain, 17 rue du châle, à huit heures pile. Vous obtiendrez toutes les informations importantes qui vous serviront dans votre nouveau travail ainsi que le nom de votre première destination. À très bientôt.

— Au revoir...

Léa reposa son téléphone, abasourdie. Elle ne savait que penser. Voilà 6 mois qu'elle avait déposé son CV. Sans nouvelles depuis, elle avait cessé d'espérer.
Ah, reporter... Elle avait réussi ses examens il y a bien longtemps, avant d'être engagée dans une petite entreprise.

Jusqu'au jour où celle-ci avait fait faillite. Léa, sans emploi, avait lancé tant de recherches de travail qu'elle ne les comptait plus. Son copain de l'époque ne lui facilitait pas la tâche ; il passait ses journées scotché à la télé, à boire des bières devant des programmes idiots. Puis, vint le jour où cet homme la mit enceinte, avant de partir, sans donner de nouvelles.
Léa, déjà dans une situation difficile, entreprit de placer son bébé dans une famille d'accueil, et continua de chercher du travail.

Le jour où ses parents moururent dans un accident d'avion, Léa s'était effondrée. Elle n'avait plus personne. Le peu d'argent que possédaient ses parents lui fut légué. Les temps se firent moins durs pendant quelques mois, mais la réalité reprit vite le dessus.

Depuis deux ans, Léa avait réussi à retrouver un logement, se contentant d'un HLM, enchaînant les petits boulots si mal payés et la nourriture de mauvaise qualité.

Léa devenait fatiguée. Ce n'est pas une vie, se disait-elle, mais c'est la mienne, et il faut faire avec.

Était-elle née sous une mauvaise étoile ? La jeune femme n'en savait rien. De toute façon, elle n'avait pas le temps d'y penser. Elle passait ses journées à travailler, ou plutôt obéir à des ordres, dans une minable brasserie en attendant une offre d'emploi.

La seule chose la faisant tenir était sa fille qu'elle aimait tant, sans même la connaître. Alors, quand ce job inespéré lui fut annoncé, certainement que la jeune femme n'en croyait pas ses yeux.

Encore bouleversée, Léa ne put s'empêcher d'esquisser un petit sourire sur ses lèvres. Elle était devenue une femme faible, certes. Mais elle devait se ressaisir, ce travail était l'occasion de réussir.

Léa soupira. Elle était soulagée.

Peut-être qu'une vie meilleure allait commencer, qui sait ?

La jeune femme prit son manteau et chaussa ses bottines abîmées. Le froid la transperçait mais c'était mieux que rien.

Rassemblant le peu d'économies qu'elle avait, elle sortit. La ville lui paraissait toujours aussi froide, aussi cruelle. Refoulant ses sombres pensées, elle se dirigea vers le fleuriste, puis entra dans le magasin, profitant de la chaleur qui réchauffait peu à peu son corps.

— Bonjour, fit-elle doucement.

Le fleuriste, la reconnaissant, se tourna vers l'arrière-boutique, pour en ressortir avec un bouquet certes petit, mais tellement coloré.

Il la connaissait bien, cette femme. Elle venait, une fois par mois, acheter un maigre bouquet. Pour qui était-il, d'ailleurs ? Et quel âge avait-elle ? Elle paraissait jeune mais en même temps si marquée par les épreuves de la vie...

La jeune femme lui semblait toujours triste et exténuée, même si aujourd'hui, un faible sourire éclairait son visage. À vrai dire, il ne connaissait rien d'elle. Ni son prénom, si son passé. Et pourtant, il ne la jugeait jamais.

Lorsque le fleuriste lui présenta le bouquet, Léa déposa ses pièces sur le comptoir dans un tintement cristallin. Elle partit ensuite vers un endroit qu'elle connaissait bien maintenant.

Le cimetière.

Arrivée à destination, Léa poussa la grille en fer rouillée par les intempéries. Elle s'avança dans les allées, jetant parfois un coup d'œil sur certaines pierres tombales, une larme perlant au coin de son œil.

Soudain, la jeune femme s'arrêta. Devant elle se dressait un simple amas de gravillons dans lequel une croix en bois était plantée. Elle n'avait pu offrir meilleure sépulture à ses parents et s'en voulait tellement...

Elle s'agenouilla dans la neige, et déposa le bouquet. Elle murmura ensuite une prière d'une voix faible mais pleine de sanglots avant d'envoyer un baiser vers la tombe de ses parents.

Puis, elle repartit comme elle était venue. Ses joues inondées de larmes se confondaient maintenant avec la neige qui se mettait à tourbillonner.

Une simple rencontre (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant