Léa patientait au centre depuis maintenant plusieurs heures. Couchée sur le lit, les jambes posées contre le mur, elle observait le plafond en répétant à voix haute les réponses types de l'entretien d'embauche. De toute façon, elle n'avait rien d'autre à faire, et il fallait absolument qu'elle soit prête le jour J. Il était hors de question de tout rater.
L'esprit un peu ailleurs, elle s'évada un peu de son exercice de répétition et laissa ses pensées vagabonder un peu. Cela lui faisait du bien de se laisser aller et de se poser pour réfléchir.
Elle pensa à Mélissa, sa plus belle rencontre, son miracle de Noël. Que faisait-elle en ce moment-même ? Se noyait-elle sous les papiers qui s'accumulaient sur son bureau ? Etait-elle revenue chez elle pour s'occuper de ses jumeaux ? Tout à coup, la jeune femme se sentit mal. Elle culpabilisait de prendre tout le temps de l'assistante sociale. C'était vrai ; elle était sans cesse là pour elle et ne parlait jamais des autres gens qu'elle aidait. Elle aurait pu laisser Léa se débrouiller un peu toute seule, pour une fois, pourtant, elle devait sans doute faire son maximum.
Si elle agissait comme à son habitude avec tout le monde, elle devrait être débordée, pensa Léa.
La jeune femme se promit intérieurement de s'intéresser un peu plus à la santé de sa bienfaitrice et d'essayer d'alléger ses tâches.
- La prochaine fois, souffla-t-elle.
Elle se laissa distraire encore quelques minutes par le crépi beige des murs, légèrement déprimant à son goût, puis décida de se lever. Elle s'ennuyait, certes, mais surtout, elle commençait à s'inquiéter. Il devait être vingt et une heure et Mélissa n'avait donné aucun signe de vie depuis ce matin. Léa descendit donc à la cafétéria du centre dans l'espoir de trouver quelque chose à manger, quelque part où aller ou quelqu'un avec qui discuter. Elle avait besoin de s'occuper avant de commencer à imaginer le pire.
En chemin, elle croisa la femme qu'elle avait aidée l'autre jour. Cette fois, il n'y avait aucune poussette à l'horizon ; le bébé dormait dans les bras de sa maman. Elle lui adressa un sourire sincère et continua son chemin.
Arrivée en bas, elle fut quelque peu surprise par le vacarme ambiant. Certes, il y avait toujours de l'animation dans cette grande salle, mais ce soir, il y avait plus de monde que d'habitude. Des dizaines de personnes se pressaient devant l'entrée pour récolter la chaleur du bâtiment tandis que les agents sociaux et les employés du centre filtraient tant bien que mal les nouveaux arrivants. Des femmes, des hommes, des enfants, des personnes âgées, des gens en fauteuil, en béquilles, avec une canne, une poussette, des nourrissons, des costauds, des maigrelets, des femmes enceintes, des hommes à barbe, des femmes perchées sur des talons. Certains boitaient, d'autres couraient.
Qui sont tous ces gens ? se demanda Léa.
Elle eut bien vite une réponse : le directeur du centre était arrivé entre temps et remettait de l'ordre dans toute cette pagaille en deux temps trois mouvements.
- Nous sommes conscients de la vague de froid qui arrive, annonça-t-il d'une voix tonitruante. Les temps s'avèrent difficiles, et nous allons tenter de tous vous loger. Notre but est et restera toujours celui de l'entraide, mais nous n'aurons pas assez de place pour tout le monde. Nous allons donc procéder à de rapides enquêtes pour déterminer si nous pouvons valider votre dossier d'hébergement. S'il y a une quelconque vague, votre cas ne pourra pas être pris en compte, est-ce assez clair ?
Tout le monde s'était calmé. Le discours du directeur avait fait son effet, et les cinquante personnes qui attendaient dans le froid se rangèrent sans discuter dans un murmure collectif. Puis, personne après personne, famille après famille, les dossiers furent validés dans la quasi-totalité. Le centre était grand, c'était le seul à des kilomètres à la ronde et les employés étaient habitués à ce genre d'évènements.
Tout était à nouveau en ordre, le centre était juste plein à craquer. C'était la folie, et elle le voyait de ses propres yeux. Elle qui pensait que tout le monde passait du bon temps sauf elle, elle se voyait désormais rassurée. Elle remonta dans sa chambre, encore étourdie par le remue-ménage qui venait de se dérouler sous ses yeux.
Il était très tard lorsque Mélissa frappa à la porte de sa chambre. Encore éveillée, Léa s'empressa d'ouvrir.
- Je peux m'asseoir ? demanda l'assistante sociale en désignant le lit.
Elle avait l'air exténuée.
- Bien sûr ! Alors, dites-moi tout ? questionna-t-elle.
- Eh bien, à vrai dire, j'ai réussi de justesse. Je vous ai trouvé un logement disponible mais sans ma collègue sur qui je peux définitivement compter, je n'aurais rien pu faire de plus. Quel coup de chance ! affirma-t-elle.
Elle avait l'air nettement plus détendue que le matin même. Ses cernes, en revanche, étaient nettement plus visibles que d'ordinaire.
- Vous devriez aller vous reposer, on pourra en parler demain si vous voulez, proposa Léa, soucieuse.
- Non, non, déclara Mélissa. Je vais vous expliquer, c'est plus important que quelques heures de sommeil. Et puis, c'est mon travail.
- Comme vous voulez, répondit la jeune femme.
Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable lorsque l'assistante sociale commença à parler. Il fallait qu'elle aille dormir, elle avait l'air d'être au bout du rouleau. En plus de ça, elle avait deux enfants qui l'attendaient certainement depuis des heures et avaient dû s'endormir sans leur mère à leurs côtés, encore une fois.
- Je vous le dis Léa, c'était la folie aujourd'hui. Vous avez vu les infos ? Une vague de froid est prévue, et si elle commence déjà à se faire ressentir, elle affole tout le monde, expliqua Mélissa en frictionnant ses bras. Bref, c'était un bazar sans nom aujourd'hui, mais je suis contente d'avoir mené à bien ma mission. Ouf ! J'ai cru que ça n'en finirait pas.
Léa acquiesça, un peu honteuse de s'être accaparé toute l'énergie de sa bienfaitrice, mais aussi tout son temps. Elle avait conscience qu'elle demandait une attention particulière et un travail acharné à l'assistante sociale sans rien donner en retour. Elle ne s'était pas vraiment tuée à la tâche et s'était plutôt reposée sur Mélissa. Il fallait qu'elle l'aide, tout ne pouvait pas reposer sur ses épaules !
- S'il vous plait, commença Léa, il faudrait que vous vous repos...
- Ne t'en fais pas pour moi, je t'en prie, la coupa sa bienfaitrice. C'est mon métier. Il faut faire des sacrifices personnels parfois, mais quand je vous vois, je me dis que ça vaut le coup.
A ces mots, Léa se figea. Mélissa plaçait beaucoup trop d'espoirs en elle. C'était sûr, tout ce qu'elle allait faire, c'était la décevoir.
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Une simple rencontre (en pause)
General FictionHier, Léa a appris quelque chose. Hier, Léa a fermé les yeux. Lorsqu'elle les a rouverts, il faisait nuit. La ville était devenue sombre. Tout comme son cœur. Deux ans après la mort de ses parents, Léa fait de son mieux pour continuer à vivre. La v...