19 : Aelia

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    - Voilà, c'est ici.
Je me retourne pour le remercier mais il n'y a plus personne derrière moi. Je ne dis rien, j'y suis habituée.

Devant moi se trouve une modeste demeure aux murs en torchis et au toit de chaume. Il y a un pré devant, avec un enclos. Une fille tente d'y faire rentrer une vingtaine de moutons noirs. Elle est seulement de dos mais mon cœur se met à battre plus vite. Elle a de longs cheveux brun foncé, comme moi en fait. Elle porte un gilet de berger en fourrure de loup avec des boutons de bois ainsi qu'un pantalon de laine grise, et de minces chaussures de cuir. Dans sa main se trouve un long bâton dont l'extrémité est incurvée.

Je m'avance, les mains déjà moites.
    - Hum...
La fille se retourne, son visage s'éclaire.
    - Arya ! Arya !
Elle court et me sert fort dans ses bras. Puis, sans lâcher mes mains, elle recule pour observer mon visage. Je fais de même. On croirait me voir. Sauf que ses traits sont plus détendus. Ses yeux sont plus calmes. Ils ont l'air sages aussi.
    - Je me nomme Aelia ! Mère m'a tellement parlé de toi ! Dans ses lettres, elle me décrivait une petite guerrière aussi féroce qu'un tigre !
    Voyant mes yeux interrogateurs, elle ne manque pas de préciser :
    - C'est un gros chat rayé vivant dans les forêts de Jade !
    Un silence gêné s'installe entre nous. Aelia le rompt en premier :
    - Elle... elle t'a écrit hein ?
    Oui, une seule fois en neuf ans, je voudrais répondre. Mais non. Fourbe comme je suis, je lui dis :
    - Oui... oui bien sûr. Tous les mois.
Mais au fond de moi, mon cœur se brise. Pourquoi elle ne m'a pas écrit ? Quelle injustice ! Je m'obstine à faire la conversation :
    - Et hum... sinon, tu vis seule ?
    - Oui. Mes grands-parents adoptifs s'occupaient de moi mais ils sont morts quand j'avais douze ans. Depuis, je me débrouille seule.
    J'en déduis qu'elle est très raisonnable.
    - Oh... et... tu as quel âge ?
    - J'ai fêté mes quinze ans il y a trois semaines.
    - Trois semaines ? Mais... moi aussi ! Nous sommes...
    -... Jumelles, oui. Euh... allons à l'intérieur. Il faut... que je te parle.
    Je la suis dans discuter. Nous arrivons dans la petite masure.
Le sol est en terre battue. Des braises reposent tranquillement dans une cheminée. Je balaye la pièce du regard. Mais Aelia l'intercepte. Penaude, elle dit comme pour s'excuser :
    - Ce n'est pas très luxueux...
    - C'est magnifique, tu veux dire !
Nous nous installons à une table en bois non verni. Il y a de drôles de trous creusés.
    - Ça me sert d'assiettes. Je suis trop pauvre pour en faire sculpter des vraies.
    Je me mords la lèvre. Nous sommes bien identiques pourtant, nous vivons dans des conditions parfaitement opposées. Aelia me tend une chaise. Je m'assieds dessus. Elle grince mais apparemment, c'est normal.
    - De quoi voulais-tu me parler ?
    - En fait, tu sais, nous avons été séparées à la naissance. C'est une vielle superstition. D'après elle, si deux filles naissent identiques, c'est que le Mal se cache dans l'une d'elles en prenant son apparence. Bien entendu, c'est complètement l'inverse si ce sont des garçons qui naissent ainsi.
    - Donc, comme moi, tu devrais avoir des dons Élémentaires !
    - Justement, j'y viens. Pendant sa grossesse, notre mère a ingéré une plante étrange, de la draconite rouge pour être plus précise et... à partir de ce moment là, il s'est passé... un truc bizarre. Tu as... comment dirais-je ? Tu as, disons absorbé les pouvoirs que j'aurais normalement dû avoir c'est à dire l'Eau et la Terre alors que toi "seulement" le Feu et l'Air, si je puis dire. Tu vois, nos pouvoirs -et ceux que j'aurais dû avoir- font partie de nos caractères. Toi tu es vive et impulsive comme le Feu et moi réfléchie et stratège comme l'Eau et la Terre.
    Je soupire. Cette fille a décidément la langue bien pendue !
    - Oui... et après...?
    - Ensuite, quand Mère a accouché, elle a pris une grande décision : normalement, on aurait pu vivre ensemble comme une famille normale. Mais... ce n'était plus possible. Comme Père est très superstitieux, elle a préféré nous cacher. Juste après notre naissance, elle m'a confiée aux bons soins des bergers et... elle a... effacé la mémoire de Père.
    - Effacé ?!
    - Effacé. Avec l'aide d'une amie à elle. Une enchanteresse.
    - Mais c'est...
    -... Affreux. Mère n'était pas la meilleure mère qui existait. Père non plus d'ailleurs. Écoute Arya... Parfois... j'ai peur : tous les enfants ayant un rôle à jouer dans l'avenir du monde ont eu des parents comme les nôtres.
    - Tu crois que...
    - Y a t-il une bibliothèque au palais ?
    - Oui mais...
Ses yeux se remplissent d'étoiles :
    - C'est vrai ? Tu pourras me la montrer ?
    Mes yeux font le tour de la maisonnette. Elle aime tant les livres ? Nous sommes bien différentes : je ne leur ai jamais accordé beaucoup d'importance pourtant, c'est un trésor pour Aelia. Je remarque alors un objet long et brillant qui traîne dans la poussière.
    - Tu as... une épée ?!
    - Ah... oui. J'en ai hérité. Elle s'appelle Adurna Rïsa.
    Je traduis :
    - Eaux tumultueuses en ancien langage. Pourquoi ce nom là ?
    - Parce que, quand Mère était petite, elle a remarqué un truc qui brillait dans un torrent. Elle a réussi à le récupérer, même si elle a failli se noyer dans le courant, cela en valait le coup car il s'agissait d'une magnifique épée, bien qu'un peu rouillée. Elle a ensuite demandé à un forgeron réputé de la lui réparer. Une fois son travail achevé, elle a décidé d'appeler son arme comme ça en l'honneur de l'endroit où elle a failli laisser sa peau. Si on faisait un duel ?
    Duel. Ce mot me plait.

La Quête d'Arya [Tome. 1 : Une Vie Bouleversée ] TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant