Chapitre 15 : je suis une rock star

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Dès le lundi suivant, il m'arrive des trucs bizarres au lycée.

On chuchote derrière mon dos en classe, dans la cour, dans les couloirs, et quand je m'approche, tout le monde se tait comme par magie. Je ne suis pas spécialement parano, mais je me sens un peu visée. J'ai déjà fait remarquer mille fois à ceux qui me prennent en photo sans rien me demander quand je passe qu'en vertu de mon droit à l'image, ils n'ont strictement l'autorisation de rien en faire ni de la diffuser où que ce soit vu que je m'y oppose. Mais rien ne les empêche en réalité de montrer ça à leurs potes, de l'envoyer sur Snapchat et ainsi de suite, la bataille est perdue d'avance.

Des garçons qui ne m'ont jamais regardée jusqu'ici viennent me parler – ou plus téméraires encore, envoient un de leurs potes négocier en leur nom. Certains repartent l'air déçu – sans doute après m'avoir bien regardée en vrai et décidément pas trouvée à la hauteur de mon personnage scénique – et d'autres essaient plus ou moins habilement de m'inviter à sortir. Je décline en douceur en expliquant que je suis déjà prise, ce qui est vrai. Sauf que ça devient fatigant là, dès qu'un garçon part, un autre le remplace. Ils ont fait un concours à qui réussira à me séduire ou quoi ? Ca va vite me fatiguer, d'autant qu'ils découvrent tous mon existence après l'épisode Simone, alors ils peuvent toujours courir.

Plus embêtant, quelqu'un qui avait mon numéro de portable a dû le communiquer, et il a visiblement beaucoup circulé. Je n'arrête pas de recevoir des SMS de toutes sortes et de toutes provenances. Les plus courageux sont signés, mais pas mal sont anonymes. Et je n'ose même pas décrire le genre de photos que certains garçons croient bon d'envoyer pour séduire une fille. Bon sang les mecs, gardez un peu de mystère quoi ! Je bloque les numéros de tous les malotrus, mais si ça continue il va falloir que je change le mien. La rançon de la gloire ?

Chez les filles il y a deux camps, celles qui m'aiment bien et celles qui me détestent.

Je n'avais encore jamais suscité l'intérêt des filles populaires, mais là c'est fait, et ça ne m'apporte pas grand-chose de bon. Depuis samedi je suis étiquetée comme de la concurrence déloyale, la nouvelle fille à abattre sous peine de se faire voler les garçons sous le nez. Je n'en ai rien à faire de leurs mecs adorés, mais ça ne les empêche pas de me lancer des regards meurtriers, et pour les plus franches (ou les plus méchantes), de sales réflexions.

Enfin, de sales réflexions en ligne surtout. Elles postent des commentaires pourris sur mon look d'aguicheuse en scène et le fait que je sois une grosse nulle toute moche qui ne sait pas s'arranger dans la vraie vie. Je ne serais pas surprise de voir une page Facebook « Je déteste Louisa » apparaître d'un jour à l'autre. J'ai déjà mon hashtag #LouisaGrossePute. Vu l'épithète, je ne me sens pas concernée et je me contente de l'ignorer. Facebook est très surfait de toute façon, on peut absolument vivre sans, même à dix-sept ans.

D'autres filles viennent me dire des trucs gentils et ont envie qu'on soit amies. Elles sont épatées que je joue du violon, elles trouvent que je chante bien et me font des compliments sur mon maquillage et ma tenue de scène. Elles sont sûres que je deviendrai bientôt une célébrité planétaire. Elles me demandent des conseils pour séduire les mecs, ce qui me fait bien rire. Je dois leur expliquer que je ne suis sortie qu'avec un seul garçon à ce jour, qu'il ne me connaît qu'en Louisa, et que c'est lui qui est venu me chercher en dépit de ma banalité rare en civil. Elles sont sceptiques en voyant tous ces mecs se bousculer subitement au portillon, mais je tente de leur faire comprendre que ce n'est pas vraiment moi qui les intéresse, seulement l'idée qu'ils se font de moi à cause de mon personnage, et que je ne vais donc pas perdre mon temps à m'intéresser vraiment à eux non plus.

Quant aux amies que je m'étais faites avant, elles sont un peu surprises par l'existence de Simone, avec le groupe, le violon et tout ça, mais pas mécontentes de me découvrir plus intéressante qu'elles ne croyaient. C'est toujours cool de connaître une célébrité ! Un peu de sa gloire vous rejaillit dessus même si on n'y est strictement pour rien, comme la lumière du soleil fait briller la lune. Bon, il y a deux ou trois filles de vexées parce qu'elles croyaient tout savoir de moi et étaient persuadées que ma vie n'avait aucun secret pour elles. Il se trouve qu'en effet, des secrets j'en avais beaucoup. Mea culpa ? Que celui qui n'a aucun secret me jette la première pierre !

Les profs... Alors là, ça dépend vraiment lesquels. Ma prof de français trouve ça génial que j'aie à ma disposition un tel moyen d'expression et me dit que j'ai du talent et de la présence scénique. Elle regrette que je sois en S et ne puisse pas prendre l'option théâtre. Ma prof d'anglais me complimente sur mon accent qui semble-t-il n'est pas trop pourri, et explique à qui veut l'entendre que c'est en pratiquant l'anglais hors du cours qu'on finit par faire de vrais progrès. Le prof de physique qui me regardait bizarrement samedi, j'ai beau aller en cours en tenue passe-partout, sans maquillage et sans rien de visiblement sexy, il continue quand même à me regarder d'un drôle d'air qui ne me donne pas du tout envie de me retrouver seule avec lui. Brr, gros pervers, il pourrait être mon grand-père !

Le prof de maths lui m'a engueulée. Il m'a dit que c'était bien beau de jouer les idoles dionysiaques pour mes camarades, mais que les bons musiciens sont en général bons aussi en maths, et qu'il serait temps que je me réveille pour revenir à un niveau plus décent par rapport à mes capacités honteusement sous-exploitées ces derniers mois. J'en ai retenu avant tout qu'il m'avait trouvée bonne musicienne, et ce n'est pas rien de sa part comme compliment, vu que de mémoire d'élève on ne l'a jamais entendu en faire un à personne qui n'ait pas eu plus de 20 sur 20 à l'épreuve de maths du bac.

Et le pire dans tout ça, c'est que quand je rentre chez moi pour avoir la paix, loin de la foule lycéenne et de ses lubies, ma mère me tanne tous les jours que dieu fait pour savoir si je vais m'inscrire au cours de chant. Qu'est-ce que j'en sais moi ! Je ne veux même pas commencer à y penser, ça serait trop compliqué et j'ai bien d'autres choses en tête là tout de suite. D'ailleurs je suis en retard pour ma répétition avec Death Notes.


La musique de LouisaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant