Part. 3

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J'étais tout bouleversé. Yoongi me passa, avec un regard dont le sens me restait confus, et sortit. Comme si rien ne s'était passé. Je n'avais rien imaginé pourtant ça n'avait pas marqué le temps, pas marqué la scène. Tout était fixe rien n'avait bougé. Oui, c'était comme si rien ne s'était passé. J'inspirai un bon coup.

Cette chanson, était-elle connue ? Serait ce un hasard qu'il la connaisse à cause de sa popularité ? Non.. J'avais cherché une bonne après midi sur internet sans succès.
Là, mon cerveau en vint à une conclusion complètement folle. Et si Yoongi était ce fameux chanteur de rue ? L'idée était absurde. J'eus honte d'avoir pu penser cela à un moment. Non, ce n'était pas possible. Le Yoongi que je connais a l'air riche, s'habille bien, multiplie scènes et concerts caché derrière son piano, l'air doux, discret, mais passionné. À aucun moment il est possible qu'il s'installe guitare en main, à cracher sur le monde dans une rue paumée dans Séoul.
Non.
Pourtant il avait continué mes mots, avec la bonne voix, le même ton, le timbre identique. Et je m'obstinais à nier la chose à moi même.

Le cours se déroula comme plus rapidement que d'habitude, ne me laissant pas une seconde pour réfléchir davantage à cela. En rentrant, je pris simplement un paquet de chips et sortis, abandonnant toutes les révisions que j'avais planifiées pour retourner dans cette rue, sous ce préau. Mais il n'était pas là, évidemment. Je continuais à descendre la rue, les écouteurs vissés aux oreilles, pour arriver plus loin dans le quartier. Il y avait un petit parc pour enfant, le genre d'endroit où je n'amènerai jamais Tae Rin sans prendre le risque de devoir faire de la balançoire ou du toboggan à ses côtés. Appuyé sur l'une des petites barrières qui entourent l'espace de jeux, je scrutais le terrain aléatoirement, complètement ailleurs. Tout était vide. Que penser ?

***

On était le Week-end, le samedi pour être plus exact. Je venais de recevoir ma note pour ces révisions omises et je n'en étais pas très fier. Il fallait que je m'y mette sérieusement. À huit heures j'étais donc levé et je tournais en rond entre la cuisine et le salon, dans une main mes cours que je lisais à voix haute, dans l'autre une énorme tasse de café. Pas question de mettre de la musique cette fois ci, il fallait que je reste concentré au plus haut point.

Ainsi, à dix heures, je pouvais parler de l'économie coréenne comme si ça avait été ma passion depuis toujours. Cette fois, pas question de récolter de mauvais résultats. Je rangeai vite fait ce qui trainait, fis un peu le ménage, et préparai quelques fiches de cours, au cas où. J'avais l'impression d'être plus organisé que jamais. N'ayant pas la tête à faire la cuisine, je me rendis dans un fast food pour le midi. Malgré le fait qu'on appelle ça fast food, j'avais l'impression que je mangeais deux fois plus lentement que d'habitude, mais j'avais le temps de toute façon. En sortant, je fus tenté par un magasin de vêtements qui avait l'air vraiment pas mal, et, cédant à la tentation, j'entrai.
L'intérieur était vraiment génial, il y avait plein de choses, bien disposées qui plus est. Je finis par acheter un manteau et un bon dixième jean, troué, parce qu'il était vraiment beau.

En sortant, sac de shopping à la main, je me rendis compte qu'il y avait de l'animation sur la place, une foule de personnes était réunie quasiment au centre et par curiosité, j'avançais y jeter un coup d'oeil. L'ambiance était créée par la musique bien rythmée qui émanait du centre de l'attroupement.

C'était ce gars, qui s'était installé au synthé cette fois, avec à côté sa guitare. C'était ce musicien. C'était toujours lui. C'était Yoongi. Noyé dans la foule, je l'observais faire, jouer, concentré sur son instrument plus que sur le monde autour de lui. Je ne saurai dire si j'avais raison ou faux sur toute la ligne.

Je me sentais incroyablement à l'aise, en tant qu'inconnu parmi des inconnus ; certains partaient, d'autres s'éloignaient pour parler, d'autres, comme moi, restaient là, suspendus à ses lèvres, à ses mains, à sa musique, oubliant le temps, oubliant l'endroit, la situation plutôt cocasse pour un concert. Tout le monde s'en fichait, personne ne se souviendrait de la musique du gars de la place, Yoongi lui même ne retiendra pas un visage parmi son public, c'était comme ça, mais je ne le voulais pas. Je désirais moi aussi être au centre de l'attention, ressentir la même chose que lui, la sensation qui l'avait poussée à revenir chanter dans la rue. Mais je voulais retenir toutes ces personnes, graver leur visage en ma mémoire pour pouvoir les gratifier toute ma vie.

Inconsciemment, j'avais été poussé par la foule et me trouvais désormais derrière Yoongi, qui s'était de plus tourné, m'empêchant de suivre les mots de sa bouche. Accord de fin, la musique se conclut. Tout le monde applaudit. Il se leva, se recoiffant légèrement, et empoigna sa guitare. Dès le premier accord, je la reconnus, sa chanson, cette chanson que j'avais réécrite, et qui, je le pensais, m'appartenait rien qu'un peu du fait que je l'ai cherchée, recomposée, chantée à tue-tête pendant des jours.

Poussé par je-ne-sais-quel élan d'adrénaline, je m'installais alors en hâte au piano, pour l'accompagner. Dès le moment où j'effleurai ces touches qu'il venait de quitter pour des cordes, je commençais à regretter. Sans un regard pour moi, qui m'étais incrusté un peu subitement, il continua comme si tout était normal, comme si je n'étais pas là. Il ne m'en voulait pas, mais n'allait pas m'en gratifier pour autant. Ça lui était égal à première vue. Au fond ça me blessait, ça me faisait mal, je n'attendais que son regard posé sur moi.

Je savais que cela n'arriverait pas, pas tant qu'il jouerait, alors je relevai les yeux vers la foule, le public, mon coeur s'accéléra, se mouvant avec des battements horriblement irréguliers. Bordel, c'était quoi ça ? Mes mains se mirent à trembler, je défaillissais, crevé par ces cris, ces mains qui ne frappent pas toujours en rythme. Je m'étais perdu. Je comprenais maintenant à quel point c'était dur, je comprenais pourquoi ses pupilles ne quittaient pas ses doigts.

Le regard fuyant, je trouvais finalement le sien. Ses yeux étaient plissés par son léger sourire, un sourire compréhensif, je pense qu'il avait compris. J'étais un peu plus apaisé. Il m'avait invité à nouveau dans la bulle qui nous enfermait, et que les cris avait percée, me déroutant en moins d'une seconde auparavant. J'étais fier à ce moment de connaître le morceau assez bien pour ne pas m'être fait ridiculisé par mes mains nerveuses, devant la foule, et pire, devant Yoongi.

Je passais un bon trois minutes quasiment figé dans le temps, les secondes s'étaient alourdies comme jamais. Je n'avais même pas à penser, je faisais, c'était tout. Je jouais, il chantait, ils applaudissaient. J'étais tellement concentré sur tout, que c'était comme si je me voyais en train de jouer dans les yeux de tous, la situation me dépassait clairement. J'étais juste heureux. Très heureux. Tellement heureux que lorsque je voyais approcher les notes de fin, les larmes me montèrent aux yeux avec un picotement brûlant.

Lors du dernier accord, je levai les yeux, contemplant le ciel pâli d'un bleu de presque-nuit et ravalant les larmes que je ne voulais pas pleurer. J'avais autant envie de sourire que de laisser se déverser un torrent de gouttes salées le long de mes joues, l'un de ces sentiments contradictoires que l'on ressent lorsque quelque chose d'unique se passe. Posant sa main lourdement sur mon épaule, il me poussa à me tourner vers lui, rien que pour l'entendre dire :

«Bien joué, JiMin. »

Ce n'était plus le même sourire compatissant qui creusait le bord de ses lèvres à ce moment, mais un sourire reconnaissant, plein de gentillesse, d'admiration peut être et un petit quelque chose d'autre que je ne saurais discerner. Je lui rendis, puis fit mine de reprendre normalement ma place de spectateur. Sauf que je partis, loin, quelque part où il n'y avait pas cette foule effrayante, et me mis à pleurer les larmes chaudes de joie, de bonheur, de nostalgie naissante, et celles froides aussi, de déception, et de regret, que je retenais depuis le début. Je ne savais pas trop pourquoi je le faisais, mais j'en ressentais comme le besoin, de laisser tout sortir. Pourtant, je savais que les souvenirs, eux, resteront bien à l'intérieur.

It's Been So Long • (YoonMin) Where stories live. Discover now