Part. 5

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L'après midi avait été longue. J'insérai la clé dans la serrure et rentrai dans l'appartement en hâte, non sans un soupir de soulagement. J'avais eu le temps de préparer mon travail personnel pendant le temps du midi, me laissant ce début de soirée tranquille et je comptais bien en profiter.
Non, je n'allais clairement pas m'installer devant la télé. C'était même l'inverse d'ailleurs.

Je rentrai dans la salle de gym qui était à 5 minutes de l'appartement. J'y allais souvent avant, et les souvenirs me revenaient un par un, minute par minute. Ma main vint ordonner mes cheveux blonds puis poussa la porte de la salle qui était loin d'être vide. Aucun banc de traction n'était libre, tous occupés par un gars musclé, le visage rougi, ou un rondouillet, suant à grosses gouttes, ou encore un ancien, les muscles détendus par le temps. C'est un endroit où l'on peut rencontrer tout le monde et surtout n'importe qui, ce qui va à l'encontre du préjugés "y'a que les bg qui vont à la salle". Pour couronner le tout, il n'y avait aucune fille.

J'avançai de quelques pas, pour obtenir un visuel sur la salle annexe avec les poids. Je n'eus même pas le temps de poser mes pupilles sur l'endroit que nos pupilles se rencontrèrent, brillantes de dédain.

Ces souvenirs qui émanaient peu à peu de ma mémoire se firent plus douloureux, plus brûlants. Mais après tout, il vient ici tellement souvent qu'il était presque systématique que l'on se tombe dessus. Je rendis alors à son regard noir, un sourire suintant de fausseté. Le frôlant de près volontairement, je vins choisir mon matériel, adoptant ces petites mimiques de défi insupportables. Il ne le supporta pas déjà pas.

«J'savais pas que les tapettes venaient ici. 

Y'en a plus d'une ici.»

JungKook feignit ne pas comprendre mon sous entendu mais son faciès affichait clairement le contraire. Non sans avoir inspecté ce qu'il portait, je pris les mêmes poids, rajoutant dix kilos à cette même charge sans le quitter du regard. Sa jalousie m'aurait presque transpercée à ce moment là. Ses lèvres ne se mouvèrent que pour laisser apparaître le genre de sourire qui signifie "Ah tu veux jouer à ça ? Très bien. Mais je suis meilleur que toi ne t'en fais pas." Oui tout cela en un sourire. Il faut dire que je les connais bien, ses attitudes.

Dire que nous y allions ensembles avant, que nous y passions même du bon temps, dans une ambiance agréable. Ça me dégoûtait désormais. Jamais plus ça ne se passera comme ça maintenant. Il vint pousser mes mains des piles d'acier et caressa narquoisement d'autres poids qu'il vint se rajouter. 20 kilos de plus. Et dans un jeu enfantin qui cachait des envies de revanches bien moins puériles, nous débutions un combat sans même s'affronter directement.

Mes muscles gonflaient sous le poids des charges de plus en plus lourdes, ses veines ressortaient peu à peu, sillonnant sa peau rougissante, au niveau des avants bras et du cou. Nous étions encore loin de ce que nous pouvons porter au maximum, et le temps s'écoulant, notre but se rapprochait peu à peu. À ma connaissance du passé, je pouvais porter de plus lourdes masses, mais j'osais espérer que ses heures passées ici sans ma personne avaient pu accroître ses capacités. Cela faisait déjà deux ans.
La rancune était toujours présente après tout ce temps.

Entre temps, des autres garçons s'étaient installés à nos côtés et essayaient eux aussi d'accroître peu à peu le nombre de poids à leur matériel, si bien qu'il ne resta plus que les poids de 100 kilos chacun, nous empêchant de continuer notre petit challenge. Je serai curieux de savoir qui aurait abandonné en premier si il n'y avait pas eu ce "petit soucis matériel".

Il pesta en laissant s'écrouler sa barre par terre, faisant retentir violemment son mécontentement, mais ne fit aucune remarque pour autant. Il rangea ses poids en me tournant le dos et sortit en m'ignorant totalement. Et c'était bien ainsi. Après une bonne demi heure dans la salle d'haltérophilie, je me décidai à rejoindre le gymnase principal, qu'il avait déjà quitté. Je passais encore une heure à me dépenser avant de prendre une douche, me changer, et quitter l'endroit, content de moi.

Comme je l'avais prévu, il faisait déjà sombre dans les rues où l'on croisait désormais les rares fonctionnaires retenus une ou deux heures de plus à leur travail. Je fis un crochet très rapide à l'appartement pour récupérer ce dont j'avais besoin et entamais ma route vers le conservatoire. Tous les commerces ayant fermé, il n'y avait plus personne du tout, même le parking d'en face, toujours complet en journée, n'était occupé que par une paire de voiture qui appartenaient certainement aux habitants des immeubles du bout de la rue. Je ne pouvais pas rêver mieux.

Je m'accroupis lentement, les genoux au sol et commençai à déballer le contenu de mon sac, le nez presque collé au mur du parking comme pour mieux visualiser ce que je voulais faire. J'agitai une à une mes bouteilles de peinture, appréciant ce petit cliquetis familier et sortis finalement mes feuilles avec les quelques motifs qui m'étaient venus en plein cours dans la journée et que j'avais griffonnés rapidement dans l'optique de les peindre au plus vite.

Je commençais à attaquer la base qui était blanche, estimant un bon cinq mètres de longueur rien que pour la première partie du tag, ce qui représentait au moins un quart du mur qui s'offrait à moi. Un voiture passa, m'arrachant un sursaut dont je ris nerveusement. La lumière des phares avait déjà mis en valeur l'énorme tâche éclatante qui ornait le mur et je n'en étais pas que peu fier.

Tout sourire, j'agitai ma bombe noire et commençai le dessin, m'éloignant un peu de l'idée que j'avais retranscrite sur papier pour créer davantage selon mon feeling du moment et le rendu ne faisait que me plaire de plus en plus. Prenant peu à peu confiance, en ce que je faisais, je mis mes écouteurs, histoire que l'ennui ne vienne pas interférer avec mon inspiration.

La première couche apparaissait, contraste total avec la base. J'étais complètement absorbé dans mes pensées et la musique, je ne faisais même plus attention aux voitures qui venaient m'éblouir à intervalles irréguliers dans un vrombissement que je n'entendais qu'à peine. Pourtant un petit claquement vint me faire tourner la tête mais évidemment, rien n'éclairait quoi que ce soit autour de moi alors je n'y fis pas attention au premier abord. Un autre claquement, le bruit d'une de mes bouteilles qui tombe sur le gravier me poussa à arracher mes écouteurs et allumer la lampe torche de mon téléphone, pour finalement constater qu'à mes pieds, rien ne s'était cassé la gueule. À ce moment, le cliquetis puis le crachottis d'une bouteille neuve à ma droite orienta presque brutalement la source lumineuse sur la direction d'où provenait le bruit. Dans un réflexe, le tagueur vint amener son avant bras à son visage, la bombe de peinture encore en main, ce qui dissipa mon stress naissant. Ce n'étaient pas les flics au moins. Je pestais.

«Putain tu m'as fait flipper là. 

— Et toi tu m'as rendu aveugle.
  Excuse.
  Jolie chansonnette au passage.»

J'entendis l'inconnu souffler des narines, devinant un sourire sur son visage assombri du fait que j'ai braqué ma lumière sur le sol. Je ne m'étais même pas rendu compte que je m'étais mis à chanter mais qu'importe, ce n'est pas le genre de chose que je referai inconsciemment maintenant que sa présence m'a interrompue. Que je ne referai pas tout court d'ailleurs.
J'étais vexé aussi, il aurait pu complimenter mon graffiti plutôt que ma voix.

Des minutes silencieuses passent alors que nous peignons tous deux de notre côté du mur. Une curiosité naissante en moi voulait jeter un œil à ce qu'il faisait mais je m'y refusais. J'avais envie d'engager une discussion afin de pouvoir lui demander au moins de regarder car je sais que moi même que c'est très désagréable d'être interrompu pour ce genre de chose. Et de plus, observer une œuvre inachevée dérange parfois son créateur. Enfin j'avais toute les raisons de demander la permission avant. Comment je pouvais commencer ? Avec un "Ça va ?" banal ? Certainement. Je m'apprêtais à prononcer ces deux mots, mais il me devança.

«Je suis gay. Toi aussi n'est ce pas ?»

It's Been So Long • (YoonMin) Where stories live. Discover now