Part. 1

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J'étais en retard, bêtement en retard pour un histoire de chaussette égarée. Je passais la porte en la refermant avec la minutie d'un horloger afin qu'elle ne claque pas.

Il était déjà là, comme toujours, les doigts dansant sur le clavier noir et blanc du piano à queue du conservatoire, ces notes, cette façon de jouer tellement unique, telle sortie d'un rêve, oui, c'était bien lui...

Je m'assis en hâte sur une des chaises inconfortables qui se trouvaient dans le couloir glacé. C'est au conservatoire Batori situé Apgudjeong-Dong Séoul que je tue mon mardi soir. Serrant contre mon torse ma sacoche qui contenait mes minables partitions de troisième année, si faciles qu'un enfant de dix ans les auraient peut-être mieux jouées que moi, je me laissais bercer par la mélodie douce qui passait sous la porte de la salle de cours de piano. L'élève qui avait son cours avant moi était un garçon des plus talentueux que je n'ai jamais croisé ; Il jouait merveilleusement bien, et c'est pour cette raison que j'arrivais bien avant mon cours pour assister, du couloir, au sien. Cela pouvait paraître stupide d'assister à un concert aveugle clandestinement, mais cela me faisait aller foutrement mieux. Je ne pourrais dire ce qui me plait le plus entre ce garçon, et sa musique. Alors que sa mélodie, tellement poignante qu'elle me brûlait la poitrine, son regard, lui, brûlait quand il sortait une fois son cours fini, et me poignardait davantage. C'était une drôle de sensation que de le voir passer devant moi et c'est le plaisir tendre de ses mèches brunes qui flottent un instant sous mon nez qui me fait revenir, toujours deux heures avant mon propre cours. Je nourrissais en lui une admiration inconcevable, je le vénérais comme un dieu parfois, et le savoir si proche me rendais follement heureux. Mais je ne le connaissais pas. Au fil du temps, j'ai gagné l'impression de le connaître comme si l'on avait échangé, même rien qu'une fois, pourtant ce n'était pas le cas. Si j'estime le connaître ce n'est pas grâce à ces courts instants où je m'inclinais pour le saluer lorsqu'il sortait, non, mais grâce à sa musique qui m'absorbe, m'intègre comme dans un univers différent, le sien. Oui, ce mec était très spécial pour moi. Je ne lui ai jamais adressé un seul mot et pourtant, je l'aime, oui, c'est dingue n'est-ce pas, d'aimer une personne, d'aimer un homme que l'on ne connaît même pas.

Au moment où j'apportais mes mains à mes lèvres pour y glisser mon souffle chaud, lui, exécutait de ces arpeggio minutieux. Je frissonnai. Aussitôt je rabattis la capuche mon sweat sur mes cheveux. Ah Park Jimin, si un jour tu arrives à faire ça... La porte en verre s'ouvrit alors avec violence, le battant rencontra le mur sans une once de délicatesse, sans doute car le vent qui fouettait les vitres avait joué de sa force. Dire que j'avais fait attention en rentrant...

«Ah monsieur Park, toujours ponctuel...»

Mon professeur de piano inclina la tête, m'étant levé je courbai le dos à son passage. Toquant puis ouvrant la porte de la salle sans retenue, il passa le seuil pour refermer derrière lui. Comme à chaque fois il allait chercher ses partitions dans l'annexe de la pièce. J'aimerais tellement avoir la chance de le voir jouer, alors que lui n'y prête même pas attention.
Le voyage s'acheva et fut remplacé par la voix grave du professeur de Yoongi, un homme d'une cinquantaine d'année, d'apparence bourru mais assez agréable.

« Je ne t'ai pas demandé de caresser le clavier jeune homme, je veux du jeu, de la résonance, du son ! Recommences, une dernière fois, et force les touches, appuies, elles ne vont pas casser ! »

Le silence qui suivit les paroles me parut long mais pourtant, il fut brisé par les premières notes du morceau. Jamais il ne répondait à la voix suave qui crachait ses mots comme un robinet brisé. Jamais donc je n'avais eu la chance d'entendre sa voix. Pas de bonjour, ni d'au revoir, ni de bien monsieur, je réessaie, rien. Était ce comme ça qu'il fallait procéder quand on est aussi plein de talent ? Franchement j'en doutais mais après tout cela faisait partie de sa personnalité, de cette petite facette de lui qui m'est accessible du moins. Le son était plus dense plus rêche, il était évident qu'il faisait de son mieux pour suivre ses conseils. Pourtant je préférais avant, quand il jouait par lui même, j'avais l'impression que de ses doigts, tout sonnait faux quand c'était fait avec respect. Mon téléphone vibra, un message de ma mère, je le lus, retenant un rictus. Le poisson rouge de ma petite sœur était encore mort. Elle me demandait donc d'aller en racheter un avant qu'elle ne rentre de la danse. Il était 17 heures, j'avais encore une heure pour ramener un nouveau "bubulle" à Tae Rin. Ça me fendait le cœur de sacrifier mon concert pour ça mais après tout, elle serait bien triste si je ne le faisais pas. Empoignant mon sac, je me dirigeai vers le centre ville, cherchant déjà sur mon smartphone l'animalerie la plus proche.

It's Been So Long • (YoonMin) Where stories live. Discover now