Part. 10

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La première heure de cours était loin d'être la pire, pourtant je ne me sentais pas d'écouter. Avec le silence de la salle, l'atmosphère formait l'un des rares moments de calme dans ma vie depuis un bon quarante huit heures et je ne comptais pas laisser cela s'écouler sans rien faire. Quitte à ne rien glander, autant faire un point sur ma vie et les événements récents qui me concernaient, et pour ce, je n'avais pas à remonter plus tôt que ce matin.

Dans le fond, je réalisais qu'après tant d'années, je commençais à m'impatienter et encore quelques jours avant je me serais bien imaginé finir par aimer quelqu'un s'il me venait, beaucoup plus proche que mon pianiste lointain. Mais tout avait basculé peu à peu. Une série de rencontres enchaînées, opportunes. Est-ce donc ce genre de choses qui sont guidées par le destin ou dans le fond, était-ce moi même qui m'étais conduit à tout ça ? Je soupirai en m'affalant sur ma table, attirant quelques regards curieux qui s'éclipsèrent bien vite en constatant que ce n'était que ce pauvre JiMin qui n'écoutait pas.

Je me sentais mal. Je n'avais pas l'impression d'avoir mérité tout cela mais, après tout, qui d'autre serait plus digne que moi ? Je n'osais même pas me poser la question. Mais YoonGi était si proche désormais que cette proximité lui faisait perdre la valeur que j'avais construite autour de sa personne. Il ne brillait plus autant. Il m'était plus accessible. Je saisis mes cheveux entre mes doigts et les tirai légèrement, exerçant une légère pression sur mon crâne.

« Park Jimin, je dois vous faire sortir ?

Je réalisais que presque la moitié de mon corps était allongé sur mon bureau dans une position à la limite de la décence et que, pire que les furtifs regards de tout à l'heure, c'était tout l'amphi qui était suspendu à mes lèvres, attendant une réponse épique de ma part, comme à mon habitude.

— Mhhnon.»

Personne ne releva et ils me laissèrent continuer à mourir depuis le fond de salle. Finalement, ce n'était pas mon amour pour lui qu'il fallait remettre en cause mais plutôt mon expérience antérieure. Oui, je dois avoir peur de l'aimer.

La sonnerie finit par retentir, me faisant sortir rapidement par réflexe tout en grommelant après avoir croisé mon reflet dans la porte vitrée ; J'étais plus décoiffé qu'au réveil. Je filai dans le hall, pour me terrer dans un de ses coins avant tout le monde, écouteurs vissés aux oreilles. La vie est tellement plus intéressante quand on n'est pas coincé entre quatre murs, pourquoi faut-il que les études soient ainsi ?

***

« Le conservatoire, c'est plus rapide de s'y rendre en voiture qu'à pied, monsieur Park.

Je sortais tout juste de mon dernier cours de sciences. Je venais à peine de faire cent mètres après avoir passé la grille, d'avoir bravé les nuages blancs de nicotine, que j'entendis une voiture arriver, ralentir et s'arrêter à quelques pas de ma personne. J'avoue que les mises en gardes maternelles avaient, à la longue, créé une sorte de crainte naturelle de ce genre de situation et je mis quand même un moment à oser regarder le conducteur.

Non, sans blague ?
  Mauvaise journée ? demanda narquoisement le brun.
  Pas plus que d'habitude.»

Je claquai la portière avec une agréable impression de déjà vu puis basculai en arrière pour venir heurter le repose-tête.

Pourquoi t'es venu me chercher ?
  Je passais par là, pourquoi tu veux que ce ne soit pas un hasard ?
  Je crois pas à ce genre de trucs.
  T'es plutôt karma alors ?
  Je suis plutôt réaliste, ouais.

Il pouffa.

Bon j'avoue, je m'en voulais pour ce matin alors j'ai trouvé que c'était une bonne idée ?
  Tu t'en voulais ?
  Oui, de t'avoir laissé partir avec mes fringues.

Je jetai un coup d'oeil à ma tenue, j'avais bien mis mon T-shirt propre, par contre, je portais encore son jogging, en effet.

Quoi, t'avais pas remarqué ?
  T'abuses, tu aurais pu me le dire.

Je lui fis une pichenette au niveau de la tempe qu'il me rendit au double de sa main libre

Arrête de faire l'enfant, c'était drôle et je suis sûr que dans le fond, ça t'arrange de me revoir, avança t-il.
  T'es un bon chauffeur c'est vrai.

Il toussota, préparant sûrement une réplique cinglante à laquelle je m'efforçai de me préparer même si je savais que j'allais me mordre les doigts d'avance de lui avoir adressé un compliment.

Ah ? Je suis bon ?
  Peut être, je sais pas.
  Pas encore.
  Ta gueule, on est arrivés.»

Je pinçai les lèvres en sortant, sentant déjà mon sang faire le marathon jusque mes pommettes. J'ai envie de mourir plus que de jubiler de ses sous entendus.

«Hyung.
  Pardon ?
  Si tu m'insultes, rajoute la particule au moins, sinon je vais me vexer.
  C'est nouveau ?
  Non, ça fait 23 ans que je suis ton aîné.
  Ta gueule, Hyung.»

Il sourit, ayant visiblement fait abstraction de mes rougeurs pour rejoindre gaiement l'entrée du conservatoire, moi à sa suite. Je me demandais quand nous allions avoir une conversation décente qui ne cesserait pas au bout d'une minute, j'en mourrais d'envie à vrai dire, d'apprendre à le connaître, lui parler de moi aussi, pourtant, c'est comme si le moment devait se présenter très particulièrement. Pour cela, il fallait que quand l'occasion se présente, je ne la laisse pas filer, c'est à dire, plus ou moins le garder à portée, n'est-ce pas ?

Il s'installa au clavier, c'était dans une salle où je n'avais jamais été, vide et pourtant légèrement oppressante, avec un petit piano couleur bois, visiblement loin d'être récent. Il y avait aussi une odeur poussiéreuse qui chatouille les narines mais qui ne fait pas mal au cœur, une sorte de chaleur nostalgique aussi, quelque chose d'indescriptible qui ne me fit même pas me poser la question du pourquoi il ne venait pas jouer dans la salle de cours habituelle. Cette pièce était plus inspirante que tout ce que j'ai pu vivre dans ma vie et cela me noua la gorge immédiatement, je pénétrais dans un endroit que je ne connaissais pas mais dont YoonGi avait décelé les secrets certainement bien longtemps avant moi, j'étais épris d'un douce jalousie, d'envie aussi. Je nous voyais déjà construire notre routine ici, ensemble, et que cela dégagerait quelque chose. L'ambition, l'espoir me gagnait, et je pourrais le retranscrire en toutes les langues et en tous mots, je pourrais le jouer aussi.
Je m'assis à ces côtés. J'attendis d'entendre sa respiration, lente, qui sonna pour moi comme une invitation, le mouvement de début pour lui montrer, ô combien je me sens bien, assis là, et à quel point je l'admire au delà de tout. Lui dire combien de temps j'ai attendu, combien de temps je l'ai attendu. Je n'arrivais même plus à respirer, comme si je débitais un discours interminable, une longue déclaration mais sans parole, non, sans mot. Il la comprit bien vite.

Sa main frôla la mienne, il m'accompagnait, comme si c'était naturel, comme si il savait d'avance ce que j'avais à dire, à faire, à vivre et à mourir. Mon cœur sembla lâcher.

구원하다

It's Been So Long • (YoonMin) Where stories live. Discover now