Dans cette classe maussade et inactive, Mallory décrit un arc de cercle depuis sa place pour se retrouver face à moi. Je dois sembler mal en point car elle détaille mon visage, sourcils froncés puis scrute intensément mes prunelles de fer. Elle articule un "Ça va ?" muet auquel je réponds en agitant ma tête de façon étudiée pour lui signifier mon mal passager.
Après avoir obtenu l'autorisation du professeur, elle m'accompagne dans l'espace dédié aux commodités appelé "toilettes" par les "Humains".
Je commence alors à lui faire part de mon malaise quand je la vois s'approcher de moi avec une nonchalance étrange et perturbante. Plus elle avance, plus je me sens oppressée. Je lui demande alors de bien vouloir cesser de me serrer de la sorte. Quand elle relève sa tête, rejetant en arrière ses boucles brunes aux reflets enflammés, je suis prise d'une secousse douloureuse à la vue de son regard embrasé qui se plante dans le mien.
Un bûcher ardent brûle dans ces yeux rougeoyants et plus elle me fixe de ses prunelles flambantes, torches fiévreuses dans son visage devenu noir, plus elle me fait penser à un Sang-d'Ebène. Frappée d'une fougue brûlante, elle m'avale toute entière dans l'âtre de ses pupilles.
Torturée par les vapeurs âpres de ce brasier, je m'enfuie au dehors, dans les champs de Bédélia, près de la charmante source Isil qui éclot dans un écrin de verdure, au détour d'un éclat de roc des Monts de Jade.
Mais, là la place de l'apaisant cours d'eau je me retrouve face au monstre véhément de la guerre. Les sortilèges, les traits, les tirs, tout fuse autour de moi, la panique générale s'insuffle dans mes veines qui pulsent une cadence véloce, que l'adrénaline ne cesse d'augmenter. Je me fraie un passage dans la foule affolée qui se débat dans son angoisse.
Je cours. Je ne plus m'arrêter. Je veux aller loin. Loin. Là où il n'y a ni bruit ni feu. Rien. Juste moi. Laissez moi ! Je veux fuir ! Je pars. A l'aide !
Je cours. Je trébuche. Je me relève. Je cours. Je chute. Je repars. Je cours. Je tombe. Je redémarre. Je cours. Je m'étale. Je recommence. Je cours.
Je m'écroule. Et puis je me sens aspirée par des bras qui me traînent sur le sol caillouteux de la campagne.C'est Elros qui me tire par les chevilles, il est happé par la terre qui s'est ouverte en une bouche béante. Il va couler dans le néant. Il m'emmène avec lui dans sa détresse et ses larmes de môme éploré. Je me dégage. Je veux le retenir. Le retenir. Mais il sombre et le creux se referme... Le retenir.
Mon effarement et mon effroi passés, je repars. Un désespoir opaque me brouille la vue. Je marche. Une terre sèche et rocailleuse. Je marche. Loin de l'enfer. Loin. Loin.Loin.
Fatiguée par ma promenade nocturne, je veux me reposer. Alors, je m'assieds sur une chaise.
Face à moi, deux elfes portant des toges pourpre et auburn, coiffés de tresses et de perles, tiennent Aslinn par les bras et lui hurlent, faisant trembler ses oreilles :
"Dis nous où elle est. Où est Eilowny ?"
Et Aslinn pleure, pleure, pleure tellement qu'une flaque se forme à ses pieds. Voilà Maman. Elle vient chercher Aslinn. Je veux qu'elle m'emmène moi aussi mais je suis ligotée à cette chaise.
Je me mets à gigoter sur la chaise pour me délier. Je gesticule tellement que le siège bascule en arrière et tombe. Tombe. Je n'arrête pas de tomber. Je ne sais pas vraiment depuis combien de temps je tombe. Je ne tombe pas vraiment en fait... Tout est vide et noir autour de moi, je ne sais pas si je tombe où je flotte, ni dans quel sens je suis.
Finalement, je suis allongé sur un sol plat. Je me relève et je vois une forme absurde et immonde qui fonce sur les chapeaux de roues sur ma toute petite personne. Car je suis toute minuscule face à cet immense créature, couleur acide de citron sur fond de ténèbres. Le taxi ne peut plus s'arrêter, il va m'écraser, moi la naine, l'insecte, le microbe.
Je me réfugie alors dans une oreille abandonnée sur le pavé. Une oreille ronde. Parfaitement lisse. Soyeuse et courbe dans une forme de volute, je pénètre dans le coquillage nacré. Il y fait bon à l'intérieur, chaud, agréable, une moiteur envoûtante, une tiédeur languissante dans l'ombre de ce pavillon opalin.
L'appareil auditif se met en marche. Je suis transportée, bousculée, malmenée par les mouvements décalés et incohérents de l'oreille. Puis elle s'ébranle dans un grincement et s'immobilise. Je veux sortir. Découvrir où elle m'a amenée.
Je sors. Je me retrouve dans un croisement de feu. Deux lignées parallèles d'elfes des Bois se tirent absurdement dessus dans une synchronisation parfaite, une chorégraphie macabre. Je traverse le champs de bataille. Des milliers de flèches me frôlent, m'effleurent mais m'évitent toujours. Leur lame d'argent reflète mon regard de métal.
J'ai de plus en plus de mal à marcher. Je me baisse plus que je n'avance. Je me liquéfie en un liquide brun. Du chocolat s'écoule de mes membres, de ma chair, de mes lèvres, de mes cheveux... Je ne suis bientôt qu'une mare informe qui s'écoule sur la terre nue.
Je pleure le liquide de bistre, je pleure des larmes acajous et j'appelle :
"Maman ! Maman !"
"Maman ! Maman ! "sanglotais-je dans les draps.
Dans l'obscurité de la chambre, Mallory me secouait doucement pour me sortir de mes étranges visions et me murmura :
"Faut vraiment que tu rentre chez toi ma vieille. "
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Voilà une partie un peu étrange de notre roman, mais on ne savait pas vraiment comment faire avancer les choses et on a pensé qu'un songe malgré son aspect irréel ferait prendre conscience de certaines choses.
Bonne nuit les pitchouns !
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DEHORS [projet inachevé]
FantasíaUne Guerre. Puis une fuite. Je savais que je quittais ma maison. Mon village. Mon pays natal. Mais ce dont j'étais loin de savoir, c'est que je quittais mon monde tout entier, pour m'aventurer... DEHORS...