Au bout du blanc chemin: partie 2

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     Ludo et moi, on s'est rencontrés au lycée. Même classe de seconde, et même effroi face à l'immensité du bahut où nous avions atterri. Moi, suite à un déménagement. Je connaissais déjà les gros établissements scolaires des grandes villes, mais devoir recommencer toutes les présentations d'usage me glaçait. Je ne me suis jamais beaucoup lié aux autres. Pas envie, et absence d'élocution flagrante lorsqu'il s'agit de parler à des inconnus. Pas de regrets non plus. À vrai dire, j'apprécie qu'on me foute la paix. Encore plus depuis que je suis censé m'extasier devant le tour de poitrine d'une fille.

     Peut-être parce que j'ai toujours su qu'une part de moi risquait d'en indisposer quelques-uns. Crainte de me prendre un revers de notre société pas assez tolérante à travers le nez. Par pusillanimité. Ça, c'est un mot que Ludo aime bien. Je dirais plus préservation. Ou instinct de survie.

     Ludo arrivait d'une de ces zones-dortoirs issues de la champignonnière périphérique de la ville. Du petit collège où tout le monde parle à tout le monde, il passait à l'immense volière sans âme véritable. Tous ceux qu'ils connaissaient se trouvaient dans des classes différentes. Pas de bol. Je le revois. L'air paumé, et pourtant terriblement calme et observateur. Je ne me suis pas vraiment forcé pour aller vers lui. Il m'intéressait. Du premier jour où je l'ai aperçu, je crois que j'ai flashé sur lui.

     Il m'a très vite accepté dans sa bulle. On est devenus amis. Inséparables même. Et mes sentiments ont rapidement basculé vers autre chose. Ça faisait déjà un moment que je savais que j'étais attiré par les garçons. Mais aucun ne m'avait encore inspiré une telle envie de me dévoiler pour le séduire. Un jour, je lui ai avoué tout de go ma préférence. Il ne l'a pas mal pris. Il n'a pas non plus mordu à l'hameçon. Il a tout de suite compris que j'étais amoureux de lui. Et il a mis les jalons. Gentiment. Par contre, il n'a rien fait pour m'éloigner. Ce qui m'a laissé espérer.

     Avec sa belle gueule et son charme caustique, il scotche les filles comme la lumière les papillons de nuit. Il ne m'a pourtant jamais donné l'occasion d'être jaloux. Mais dire que je ne l'ai pas été serait faux. Après un temps d'adaptation, il s'est très vite rendu populaire. Il parle bien, et il a un charisme qui l'a propulsé vers des groupes qui ne m'ont accepté que parce qu'il m'imposait. Des relations dont je me serais bien passé tant je détestais le partager. Heureusement, j'ai rapidement remarqué que je demeurais son préféré.

     À certains moments, quand ses yeux bruns se posaient sur moi, je lisais une telle complicité dans son regard qu'il me semblait que tout devenait possible. Alors j'ai persévéré. Sans le harceler. Mais sans lui mentir non plus sur ce que je ressentais pour lui. C'est là que nous avons commencé à correspondre. Exprimer par écrit ce que nous éprouvions nous paraissait plus facile. Prendre le temps de réfléchir, de s'interroger, d'essayer de comprendre l'autre, de trouver le mot juste. Nous avons souvent philosophé sur le sujet. Et aussi frôlé la correspondance amoureuse.

     Il ne s'est jamais engagé. Mis à part pour me renouveler l'assurance d'une amitié sincère. Mais il lui arrivait de le faire de façon si ambiguë que je pense qu'il s'imposait des limites. Comme la fois où il m'a avoué que je lui plaisais, et que cette évidence le gênait parce que j'étais un garçon. Sans m'en dire davantage. Ou bien, quand il m'a exposé sa réticence à partager des sentiments avec une personne de son sexe, en évacuant totalement le fait que je l'aimais de cette manière.

     Je crois qu'il est bi. L'ennui, c'est qu'il n'en a même pas conscience. Alors, je me suis résolu à lui proposer un test. Avec ma franchise habituelle, je l'ai mis au défi d'essayer au moins une fois d'embrasser un autre garçon. Pour voir. Façon scientifique. Et pour le décomplexer, je me suis offert comme candidat. Histoire qu'il soit sûr que sa tentative n'irait pas s'ébruiter aux quatre vents. Sauf qu'il se doutait bien que j'aurais du mal à faire table rase de mes émotions.

     S'il existait une ligne rouge à ne pas franchir, je l'ai dépassée ce jour-là. Non seulement il n'a pas donné suite, mais il a décidé de mettre un terme à notre relation. Juste avant les vacances de Noël.

     « Pouce, m'a-t-il dit. J'ai énormément d'affection pour toi, mais tu te fais des films. Je pensais qu'en en parlant on évacuerait le problème. Au contraire, j'ai l'impression que ça ne sert qu'à renforcer les sentiments que tu as pour moi. Je refuse de te faire du mal, mais là, on va droit dans le mur. Le mieux est sans doute qu'on prenne un peu de distance. »

     Depuis, il n'a pas téléphoné. Il s'est également déconnecté de tous les réseaux sociaux où nous pourrions nous croiser. Je crois que le message est clair. Mais je suis incapable de l'oublier.

Tendres garçonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant