Au bout du blanc chemin : Partie 1

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     Je m'appelle Raphaël. Comme l'archange. Avec ma chevelure de jais sur ma peau blanche, mes yeux d'un bleu presque gris et mes traits fins, j'en aurais la beauté selon certains. Un prénom prédestiné pour ma mère. Même donné au hasard, elle a toujours pensé qu'il existe une relation étroite entre un prénom et le caractère de celui qui le porte. Apparemment, elle n'a pas voulu prendre de risque avec moi. Raphaël faisant partie des archanges qui ont refusé de suivre Lucifer, il allait de soi que je grandirais en sagesse, sans jamais m'écarter du droit chemin.

     Mon père n'a pas eu voix au chapitre. C'est pourtant de lui que je tiens mon physique et mon tempérament renfermé. À l'extérieur, je sais qu'il passe pour quelqu'un de chaleureux, mais cette tournure d'esprit se fane invariablement devant ma mère. Je ne peux pas dire que mon enfance ait été malheureuse. J'aurais simplement préféré un prénom plus à la mode. Moins bourgeois. Plus neutre. En tout cas, incidence ou pas, c'est vrai que mes parents n'ont jamais eu à se plaindre de moi.

     Mais ça, c'était hier. Avant qu'un vent de colère furieuse ne se saisisse de ma famille. Ou plutôt, de ma mère. Étonnamment, mon père a conservé son calme. J'aurais pourtant parié que ce serait lui qui partirait en vrille. Il ne m'a pas soutenu non plus. Il a laissé faire. De toute ma vie, je ne l'avais encore jamais vu aussi silencieux. Ma mère a largement vitupéré pour deux.

     C'est de ma faute aussi. On ne cache pas ce genre de courrier sous son matelas quand on sait qu'une maniaque du ménage partage votre existence. Mais détruire les lettres de Ludo m'était impossible. Les dissimuler loin de moi également. Lire et relire ; froisser le papier que l'autre a manipulé ; respirer la feuille écrite à la recherche d'une odeur diffuse ; caresser l'encre empâtée par la trace d'un doigt; et ne jamais se lasser de réciter des phrases à double sens apprisses par cœur.

     Ludo n'a jamais voulu que nous correspondions sur le net. Encore moins par le biais du téléphone. Trop compromettant si un de nos parents passait devant l'ordinateur figé sur un message affiché. Encore plus gênant si un copain tombait sur une de nos conversations en décryptant un de nos SMS. Alors il a décidé que nous communiquerions à l'ancienne. Ce serait un excellent exercice pour bosser les acquis de notre Terminale littéraire d'après lui. En fait, je crois que Ludo est un grand romantique qui s'ignore.

     Ma mère a considéré les choses autrement. Brandissant mon paquet de lettres à la main, elle m'a intimé de choisir. Mon amour pour Ludo, ou la maison. Naturellement, j'ai choisi Ludo. Histoire de la voir monter d'un cran dans l'hystérie. Elle m'a carrément flanqué dehors. Sans sommation. Sans même m'autoriser à passer par la case sac à dos et objets de première nécessité à emporter.

     Le plus drôle, c'est qu'il n'y avait pas de choix à faire. Pas de ce genre en tout cas. Je suis gay, mais Ludo et moi on n'est plus ensemble. On ne l'a jamais vraiment été d'ailleurs. Enfin, pas au sens propre du terme. C'est compliqué. Et c'est fini. En théorie. Parce que j'ai fichtrement du mal à tirer un trait sur notre relation. Même si aux yeux des puristes ce n'en était pas vraiment une.

     Un premier amour, ça marque. Et un premier échec, ça égratigne également. Drôlement. Mais pour moi, impossible de savoir encore lequel des deux prévaudra dans ma mémoire. Tout ce que je peux dire, c'est que je tiens toujours à Ludo. Il me manque. Je passe la journée à penser à lui et j'en rêve la nuit. Pathétique. Voilà le mot qui résume ma vie.

Tendres garçonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant