Le baiser du papillon : Partie 6

38 14 1
                                    


     Le lendemain, je me présentai fidèlement à mon rendez-vous au temple. Ma joie se brouillait néanmoins sous un voile d'incertitudes. Le baiser d'Émilie soulevait en moi une foule de questions sur lesquelles j'osais à peine m'appesantir. L'une d'entre elles me déconcertait particulièrement. Pourquoi avais-je évoqué le visage de Takuya pour essayer de vaincre mon blocage ?

     Naturellement, mon ami s'aperçut immédiatement de ma distraction.

     — Te voilà bien silencieux, remarqua-t-il en m'adressant ce doux sourire qui m'ébranlait à chaque fois.

     — Émilie m'a demandé de l'embrasser, répondis-je en optant pour la franchise.

      Plusieurs fois déjà, je lui avais parlé du caractère peu conventionnel de ma cousine et de son obsession à mon encontre. Généralement, mes anecdotes l'amusaient. Il connaissait mes réticences liées à notre lien de parenté. Il me conseillait la patience et une indifférence axée sur la courtoisie.

     — Et tu la fais ?

     — Oui, avouai-je en redoutant son jugement.

     — Oh, gloussa-t-il avec un petit rire moqueur.

     Sa façon de prendre bien les choses m'étonnait.

     — Cela ne te choque pas ?

     — Pourquoi devrais-je être choqué ?

     — C'est ma cousine.

     — Bien qu'ils soient rares, les mariages entre germains sont autorisés au Japon. Et chez toi aussi. Je pense que ce qui t'ennuie se situe ailleurs, acheva-t-il fort judicieusement.

     Gêné, je baissais le nez.

     — Pourquoi fais-tu cette tête ? Est-ce parce que tu as aimé ?

     — Non ! m'exclamai-je en relevant les yeux.

     — Où est le problème alors ?

     — En fait, j'ai l'impression que j'ai trouvé ça vraiment trop déplaisant, lui confiai-je en rougissant. Comme si... faire ça avec une fille ne m'intéressait pas.

     J'attendais son verdict sans cacher ma confusion.

     — Parce que c'est ta cousine. Tu auras une réponse plus définitive le jour où tu le feras avec quelqu'un d'autre.

     Ce n'était pas vraiment le genre d'encouragement que j'espérais et je répliquai d'un ton désabusé :

     — Une autre fille. Encore faudrait-il la trouver.

     — Tu pourrais aussi essayer avec un garçon, me suggéra-t-il, en plongeant ses mains dans l'eau claire pour les nettoyer.

     Un peu interloqué, je le regardai s'essuyer les doigts sans oser m'avancer sur ce terrain miné. La gorge sèche, je me demandais comment la conversation avait pu dévier de cette manière. Se doutait-il de quelque chose ? Depuis quand étais-je devenu si transparent ?

     — Tu sais, il existe des personnes qui hésitent en toute sincérité sur ce qui les attire, poursuivit-il en ignorant mon trouble. Vivre heureux, dépend simplement de faire le bon choix.

     Devais-je comprendre qu'il m'offrait son aide pour m'aventurer sur la voie que j'avais peur d'explorer ? Le cœur battant, je m'enquis dans un souffle :

     — Et ?

     — Et je peux te servir de test, si tu le désires. Mes papillons ne sont-ils pas là pour montrer le chemin ?

     J'évitai de m'appesantir plus que nécessaire sur son raccourci. Il façonnait des papillons pour guider l'âme des morts, pas vraiment pour définir les orientations amoureuses. Heureusement, l'idée de me retrouver dans ses bras occultait tout le reste.

     — Si tu veux, acceptai-je en plongeant les yeux dans les siens.

     Contrairement à la nervosité qui m'habitait lors de la tentative d'Émilie, je le vis s'approcher sans aucune appréhension. Calme et déterminé, il m'attira contre lui à la manière de ma cousine, sans cesser de lâcher mon regard. Il me laissait la liberté de me dégager. Une possibilité que je refusai d'envisager. Le sentir aussi proche éveillait en moi une faim inconnue jusque-là, et ce fut moi qui capturai ses lèvres.

     Décrire ce baiser serait trahir ce que j'éprouvai réellement. Globalement, je me souviens d'un moment hors du temps, où je me moquais totalement d'être surpris et encore plus d'embrasser un garçon. Ce que je ressentais gommait mon essai avec Émilie. Cependant, je ne me leurrais pas. Au-delà du plaisir de la découverte, l'identité de mon initiateur changeait tout. J'embrassais Takuya et son baiser était merveilleux.

     Au bout de quelques minutes, ou d'un millier de secondes, il fallut bien nous séparer. À regret, je me détachai de lui. Il me dévisageait avec son éternel sourire bienveillant. Nous étions approximativement du même âge, mais à cet instant, je notai combien il semblait plus sage que moi. Plus mûr. Comme si les années l'avaient déjà marqué d'une patine remplie d'expérience.

     — Alors ? m'interrogea-t-il, d'un air malicieux. T'ai-je correctement ouvert les yeux ?

     Il paraissait si sûr de lui, si conscient du basculement de mon existence, que j'éprouvai soudain un vertige. Tout allait trop vite. Oubliant que je quittais le Japon le surlendemain, je m'excusai platement.

     — J'ai besoin d'y réfléchir, biaisai-je, en reculant. Madame Fujita arrive plus tôt aujourd'hui. Il faut que je rentre.

     L'excuse la plus bidon et la plus lamentable de ma vie était à la hauteur de mon agitation intérieure. Sans se troubler, Takuya m'adressa un signe de la main en guise d'au revoir. Avant de disparaître dans l'allée, je le contemplai une dernière fois. Immobile au centre de la cour, il ne bougeait pas, conservant son doux sourire sur les lèvres. J'emportai l'image de son visage comme le plus précieux des trésors.

Tendres garçonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant