Le baiser du papillon : Partie 4

38 12 3
                                    


     Le lendemain, je repris le chemin du temple, le cœur léger. Me débarrasser d'Émilie ne fut pas trop difficile. De son côté, elle avait également mis à profit sa liberté pour se faire de nouveaux amis, et à la façon dont elle minaudait en m'en parlant, je compris qu'elle ne tenait pas vraiment à les revoir accompagnée d'un parent. J'arguai pour ma part du désir de visiter d'autres sanctuaires. Si mon subit engouement pour les lieux spirituels la surprit, elle ne chercha pas à éclaircir ce mystère pour profiter de la tranquillité que je lui offrais.

     Prétextant qu'il nous fallait trouver un point de chute facile à identifier pour nous rejoindre, je lui donnai rendez-vous devant le porche du parc où mon potier exerçait, et le tour fut joué. Notre arrangement la ravissait. Satisfaite de nous voir quitter la maison et y rentrer ensemble, madame Fujita dormait sur ses deux oreilles.

     Rencontrer Takuya devint une habitude journalière vite indispensable. Chaque jour, je me faufilais discrètement du côté du lac, et à chaque fois, je le retrouvais au même endroit, en train de façonner des papillons en terre. Il m'accueillait d'un sourire lumineux, accompagné par quelques mots de bienvenus qui présageaient un long moment de détente.

     Il parlait peu de lui. Encouragé par son silence bienveillant, je lui racontais ma propre vie. Il m'écoutait religieusement. Je me livrais en toute confiance, heureux de l'intérêt qu'il me portait, sans m'apercevoir de sa manœuvre d'évitement. Quand je le questionnais sur son existence, il me narrait sa sérénité de servir les moines, avant de dévier habilement la conversation sur une anecdote les concernant ou l'exposé d'une tradition que j'ignorais.

     Parfois, je me contentais de le regarder travailler. Rapides et précis, ses gestes possédaient une technique qui m'émerveillait. Il modelait avec une telle virtuosité que c'en était un régal pour les yeux. L'envol figuré de ses papillons donnait à ceux-ci un mouvement reflétant la réalité absolument unique.

     Sa maîtrise artistique et le calme de son tempérament me procuraient un sentiment de bien-être absolu. Plus que tout, j'étais près de lui, et cela n'avait pas de prix. Je pris réellement conscience de l'importance que je lui accordais le jour où il me proposa de l'imiter.

     — Tu aimerais essayer ?

     — Je doute d'y parvenir, répondis-je sans fausse modestie.

     — Si tu ne te lances pas, tu ne le sauras jamais, insista-t-il en déposant un tas d'argile devant lui. Ne sois pas timide. Aucun papillon ne ressemble à un autre et ils sont tous beaux à leur manière. Les tiens le seront également.

     Il venait de terminer une nouvelle figurine, et mis à part cette motte informe, le tour était vide.

     — Allez, fais un essai, m'encouragea-t-il en souriant.

     Maladroitement je me mis à pétrir la terre. Au bout de quelques minutes, je lui présentai une sorte de petit boudin, muni de quatre disques ovales retombant lamentablement à plat sur la planche. Honteux du résultat, je n'osais plus le regarder.

     — Tu viens d'effectuer l'essentiel, dit-il en passant derrière moi. Maintenant je vais te montrer comment affiner ton travail. Ne résiste pas, et suis le mouvement de mes doigts.

     Prenant mes mains entre les siennes, il m'incita à améliorer mon modèle en guidant chacun de mes gestes. Ses paumes étaient aussi douces que son souffle qui se perdait dans mon cou. Troublé au-delà du raisonnable pour une leçon somme toute logique, je parvins à me concentrer sur notre réalisation commune au prix d'un immense effort. Et le fruit de cette collaboration en valut la peine.

     Les jours suivants ressemblèrent aux premiers. J'oubliais les samouraïs pour ne plus songer qu'à l'art de réaliser des figurines, ou plus exactement au potier qui les fabriquait. Bizarrement, je ne croisais ce dernier nulle part ailleurs dans le temple, et je ne le vis jamais parler à quelqu'un d'autre. Mis à part moi, personne ne s'aventurait dans la courette aux papillons. J'étais si heureux de l'intimité que nous procurait cet isolement, que je ne me posais pas de questions. Takuya était là, toujours vêtu de son kimono. Je ne retenais que la douceur et le plaisir d'être à ses côtés.

Tendres garçonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant