Au bout du blanc chemin : Partie 4

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     Les passants se font de plus en plus rares. J'ai froid, mon estomac crie famine et je tourne en rond depuis des heures. Je suis fatigué. Et je n'ai pas envie de me battre. Je sais, c'est lâche. Mais je me débats pour garder la tête haute depuis des années. J'ai l'impression d'être usé avant l'heure. Quel sera mon avenir ? En tout cas, celui qui s'ouvre devant moi ne mène nulle part. Et pour couronner le tout, le visage de Ludo me hante.

     La neige vient de se remettre à tomber. J'ignore ce que je ferai demain, mais ce soir je dois me débrouiller pour ne pas m'endormir. Sinon, je vais mourir gelé. Dans ma situation, il est peu probable que je retourne au lycée après les vacances. Cette évidence me tord le cœur. J'ai envie de voir Ludo. Au moins une fois encore. Je pourrais essayer de marcher jusqu'à chez lui. Il habite à dix bornes, mais je suis plutôt sportif et j'aime la randonnée. De toute façon je n'ai pas le choix. L'apercevoir devient une obsession.

     J'attaque la route en empruntant la voie la moins fréquentée. La météo retient les gens chez eux. Je ne serai pas dérangé par les voitures. C'est un peu plus long pour sortir de la ville, mais dès que les champs apparaissent, je regrette presque les trottoirs glissants à cause de la neige tassée. Ici, elle s'amoncelle en couche floconneuse sur dix bons centimètres. Sa blancheur éclaire un minimum le chemin, mais son uniformité me permet difficilement de délimiter les fossés. Les traces de pneus encore visibles me serviront de guide.

     La neige a fini par s'arrêter de tomber. Il me semble que je marche depuis des heures. Avancer devient une torture. Alors, quand je vois un luminaire lointain vaciller dans la nuit, j'ai du mal à contenir mes larmes en calculant la distance qu'il me reste à parcourir. Mais je ne dois pas abandonner. Mon but n'a jamais été si proche.

     Les premières maisons de la petite bourgade où habite Ludo apparaissent enfin. Plus que la longue rue en pente à remonter après la place de la mairie. La plupart des volets sont fermés et je ne croise personne. Le village à l'air endeuillé de blanc. Si je ne trouve pas rapidement un abri, demain, c'est de moi qu'il fera le deuil. Je ne me suis jamais senti aussi lourd. Mes pas butent contre l'asphalte au point de se transformer en mini chasse-neige. Seule la pensée de revoir Ludo me pousse en avant. Mais je suis salement essoufflé en arrivant en haut de la rue

     Je reprends ma respiration devant la vieille maison qu'il partage avec sa mère. Je suis si souvent venu ici que je pourrais traverser le jardin les yeux fermés. Son père les a quittés voilà un moment. Je ne l'ai jamais rencontré. Mais j'aime bien sa mère. Et celle-ci semble m'apprécier. Qu'en est-il aujourd'hui ? Nous étions tellement indissociables que Ludo a forcément dû lui raconter quelque chose. Mais quoi ?

     Le portillon s'ouvre sans bruit, et je marche jusqu'au grand arbre dénudé qui occupe le centre du jardin. Et maintenant ? Que vais-je faire ? La stupidité de ma démarche m'apparaît brusquement. Franchir les quelques mètres qui me séparent de la porte me paraît proprement impossible. On ne dérange pas les gens qui ne veulent plus vous voir un soir de Noël. En venant ici, j'espérais que les volets du bas ne seraient pas fermés, et que j'aurais l'occasion de l'apercevoir. Mais la maison s'enclôt frileusement sur elle-même comme toutes les autres. Mettant mon cœur à nu, et l'écorchant davantage.

Tendres garçonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant