Le baiser du papillon : Partie 5

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     Les vacances auraient pu se terminer sans que je comprisse ce qui m'attirait réellement chez lui, si Émilie n'était pas venue semer son grain de sel.

     Elle avait passé l'essentiel de notre séjour à tester sa féminité auprès de différents hommes, dont elle m'entretenait le soir. Elle m'interrogeait souvent sur leurs réactions à son égard. Comme si, à seize ans, je détenais les clés de la psychologie masculine. Qui plus est, sur un sujet que je n'avais encore jamais expérimenté. Je me serais bien abstenu d'écouter ses confidences, mais c'était ça, ou retomber dans les rets de ses filets en tant que cobaye supplémentaire.

     Nous devions repartir dans trois jours, et je me demandais si Takuya accepterait de correspondre avec moi, quand elle entra dans ma chambre telle une furie.

     — Guislain, il faut que je te parle !

     Face à son air tempétueux, je me remémorai tous les aspects de ma journée, mais je me rendis vite compte que sa colère ne m'était pas destinée. Arpentant la pièce de long en large, elle me racontait sa déconvenue.

     D'après ses dires, elle venait de rencontrer un garçon exceptionnel. Beau, grand, intelligent, serviable, charmant, et ne manquant ni d'humour ni de conversation. Bref, plus qu'une nouvelle touche à accrocher à son palmarès, pour la première fois de sa jeune vie de séductrice, elle se sentait conquise. Bien évidemment, elle avait aussitôt mis en action son plan drague. Habituée à être le centre de l'attention, elle croyait le séduire facilement. Manque de chance, celui-ci restait de marbre face à ses charmes d'adolescente. Intérieurement, je riais qu'elle fut tombée sur un os.

     La situation l'agaçait d'autant plus, qu'elle était persuadée d'avoir déniché son amour de vacances. Trois jours avant notre départ, je trouvais ça un tantinet ridicule. Avis que je m'abstins prudemment d'exprimer. Je pensais qu'elle avait simplement besoin d'un témoin pour vouer cet indifférent à toutes les gémonies, mais elle n'était jamais à court d'idées et j'aurais dû me méfier.

     — Il ignore ce qu'il rate, me déclara-t-elle brusquement. Et tu vas m'aider à ce qu'il en prenne conscience.

     — Moi ?

     — Oui, toi ! Qui d'autre ! Demain tu m'accompagneras.

     Je n'avais pas du tout envie de sacrifier mon après-midi avec Takuya pour ses bêtises. Sa colère m'interdisait néanmoins de lui opposer un refus catégorique. Dans son état, elle aurait été capable de raconter notre accord à madame Fujita, et de faire capoter nos derniers jours de liberté. Si je voulais me tirer de ses griffes, je devais avant tout savoir ce qu'elle attendait de moi.

     — Et qu'est-ce que je serai censé faire ?

     — Passer pour mon petit ami.

     Elle espérait le rendre jaloux ? En partant du fait qu'elle ne le connaissait pas un jour auparavant, c'était le plan le plus ridicule que j'avais entendu de ma courte vie. Mais avec Émilie, je n'étais jamais au bout de mes surprises. La suite me sidéra.

     — Et nous nous embrasserons devant lui.

     — Quoi ?

     — Tu m'as fort bien comprise. D'abord, ça lui permettra de réfléchir. Ensuite, ça m'aidera à déterminer si je suis réellement amoureuse de lui, ou si j'en pince toujours pour toi.

     Et voilà que ça la reprenait. Je devais absolument trouver un moyen de sortir de cette galère.

     — Il existe des manières plus simples de te décider, maugréai-je.

     — Comment peux-tu le savoir ? s'étonna-t-elle, en se plantant devant moi. Tu es déjà tombé amoureux, toi ?

     Je m'apprêtais à répliquer que non, quand la pensée que je m'intéressais beaucoup trop à Takuya me traversa. Aussitôt, je chassai cette idée de mon esprit. Que m'arrivait-il ? Un peu désorienté, je rétorquai en évitant de la regarder.

     — Non.

     Fine mouche, mon impossible cousine nota sans difficulté mon trouble. Sa question suivante m'assura qu'elle n'allait plus me lâcher.

     — Et tu as déjà embrassé une fille ?

     — Je viens de te répondre que je n'étais jamais tombé amoureux.

     — Il n'y a pas forcément de rapport.

     Touché. Sa remarque pointait néanmoins l'incohérence de son projet.

     — Dans ce cas, comment feras-tu pour déterminer si tu ressens quelque chose pour moi ?

     — Je le saurai, m'affirma-t-elle de façon sentencieuse. D'ailleurs, si tu acceptais de m'embrasser tout de suite, on serait au moins fixé sur ce détail. Ce sera toujours moins embarrassant pour toi que de le découvrir demain.

     Elle ne perdait décidément pas le Nord. D'un autre côté, sa suggestion me permettrait peut-être de m'ôter l'image de Takuya de la tête. Je détestais la pensée de faire cette expérience avec ma cousine, mais sa proposition tombait à point pour me prouver que je m'intéressais bien au sexe féminin.

     — D'accord, acquiesçai-je.

     La rapidité de ma reddition eut l'air de la surprendre. Néanmoins, elle évita de bouder sa victoire.

     — Viens là ! m'intima-t-elle, en m'attirant dans ses bras.

     S'agrippant à mes épaules, elle plaqua aussitôt ses lèvres sur les miennes. Gauchement, je posai mes mains autour de sa taille. C'est à peine si j'osais la toucher et ma bouche ne s'ouvrit qu'avec réticence sous la sienne. Son baiser me laissait non seulement de marbre, mais il me révulsait un peu.

     Émilie me repoussa brusquement.

     — Je pense que nous resterons définitivement cousins, déclara-t-elle, en passant le revers de sa main sur ses lèvres.

     Apparemment, elle éprouvait la même répulsion que moi. Jamais je n'aurais cru que de me voir rembarré de cette manière par une fille me procurerait un tel plaisir. Embarrassée, elle me regardait maintenant avec une moue dubitative. C'était le moment de pousser mon avantage.

     — T'accompagner demain serait plus gênant qu'autre chose, non ?

     — Tu as raison, approuva-t-elle. J'arriverai bien à me débrouiller autrement. Bonne nuit, cousin.

Tendres garçonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant