[62] Jour 14

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Voici une courte nouvelle, écrite il y a maintenant quelques semaines.

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Le train, tel un serpent siflotant, traverse la campagne dans la nuit noire. Le front n'est pas si loin, l'horreur non plus.
Compagnon d'une même patrie, marchons vers un avenir infini.
L'odeur de sueur de leurs précédents occupants n'a pas complètement quitté les tissus. Combien de soldats sont passés par là ? Des centaines des milliers ?
Combien en sont revnus invaincus ? Y en aura-t-il un seul ?
Les pleurs, la colère, la peur, un cocktail qui traverse les âmes et semble se propager plus rapidement encore qu'une trainée de poudre.
Le front n'est pas si loin, l'horreur non plus.
Les gouttes de pluie déforment le paysage, peut être pour la dernière fois.
Une lettre, des nouvelles du front ? Impossible à déceler.
Des pages cornées dans les mains, une écriture fine s'étalant sur leur surface, une lecture inattentive d'un roman sur des amants éperdus. On tente d'oublier.
On ne peut affronter.
Les portes s'ouvrent. La déferlente. Une marée humaine s'abat sur tous les sols, frappant, heurtant.
On n'est pas pressés d'y aller, mais tellement d'en revenir.
On se jauge du regard, personne n'ose se parler. On se hait, on se craint, on compatie, le langage visuel est celui qui prévaut. Ce n'est pas un lieu de poésie.
Il arrive que certains s'assoupissent, trouvent un peu de repos et de réconfort dans ce monde souterrain où le bruit ne meurt jamais.
La solitude, c'est là le plus semblable au repos.
Le plafond du terrier tremble.
Le désespoir, l'amertume, les grincements insoutenables tandis que l'on tente de se préserver de cette pollution auditive. On nous bombarde de tout côté.
Tout se stoppe. On a perdu son voisin. Rien ne dure jamais vraiment. Jamais bien longtemps. Ton tour viendra bientôt.
La sueur revient. La course pour sa vie, les échelles vers la lumière, comment pourrait-il en être autrement ?
On se colle comme si la chaleur pouvait réchauffer nos cœurs.
Ce n'est qu'à la fin de la ligne, lorsqu'on franchit les portes, laissant derrière nous Pont de Sèvres, Trocadéro, Gare d'Austerlitz, Saint Lazare ou Olympiades, qu'enfin, la lutte peut s'achever.

Rantbook d'une fille avec des rondeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant