PROLOGUE

145 23 44
                                    


Je tourne une première fois.
Je ne distingue plus rien.

Quand arrive le deuxième tour, je monte en pointe.
Tout est flou.

J'enchaîne le troisième en dépliant le plus loin possible mes bras fins.
Le mouvement me fait souffrir, mon bras se fait lourd.

Je m'élance alors, prête à réaliser mon grand jeté, travaillé d'arrache-pied pour arriver à un résultat impeccable.
Mon arrêt brutal manque de me briser plusieurs os.

Je m'arrête afin d'effectuer une arabesque.
Le monde tourne autour de moi.

Je dois la tenir. Si je tremble c'est fini. Si je tombe c'est fini. Si je me rate tout est fini.
Ma vue se brouille.

Je me redresse, toujours sur pointes, me place face aux jurys. Mon bras droit replié au-dessus de ma tête, mon regard dirigé vers ce dernier, quant à mon bras gauche il est étendu sur le côté et mes doigts de cette main parfaitement alignés et tendus. Tout est grâce. Je dois être gracieuse.
Le redressement me fait mal à la tête et me procure des vertiges.

J'ai presque fini, il ne me manque plus que ma figure imposée, cela sera sans doute un sans-faute si je la réussis. Je vais la réussir.
Ma tête me crie de continuer et mon cœur me souffle de lâcher prise.

En quelques mouvements simples et amples me voilà au centre de la scène. C'est le moment tant attendu, c'est maintenant ou jamais.
Qui dois-je écouter ?

Le trou noir.
Il a décidé pour moi. Il ne m'a pas demandé mon avis, il m'a lâché avant même que je termine.

Un temps plus tôt j'étais en train de danser sur cette scène et une seconde plus tard je me retrouve sur un brancard, un masque à oxygène fixé sur ma bouche, les yeux grands ouverts, gonflés et rouges. Je suis terrifiée, j'ai tellement peur, j'ai du mal à respirer et les voir tous s'agiter autour de moi m'inquiète plus que tout. 

Je voulais seulement réussir, j'avais fourni tant d'effort, sacrifié tant de choses. Je voulais simplement la rendre fière, lui dire que malgré la distance j'y étais arrivée.

Je les vois paniquer. Je les vois:

Lisa tient le brancard de ses mains et est accompagnée des ambulanciers, elle se dirige d'un pas déterminé vers quelque chose derrière moi. Elle a peur, cela se lit sur son visage.
Lynn, qui panique et qui n'arrête pas de me lancer des regards remplis de peur, de surprise et d'incompréhension.
Lila, pleurant un peu plus loin, avec Corentin qui la maintient debout et à qui elle s'accroche pour éviter de tomber.
Mais le pire c'est que je le vois lui, tout au fond, devant une porte, désemparé, regardant cette agitation comme un figurant ne pouvant rien faire pour empêcher ce qu'il se déroule sous ses yeux. Lui, qui, avant, m'aurait tenu la main du début à la fin de ce que j'étais en train de subir : Martin, seul et à plusieurs mètres de moi, à une distance infranchissable, nous rappelant tous deux cette raison qui le pousse à ne pas venir à mes côtés.

TOME 2: DANSER...A EN PERDRE LA RAISONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant