Chapitre 9

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Deux heures. Voilà maintenant deux heures que j'effectuais une séance de sport durant laquelle je voulais me consacrer à mes cuisses, mais qui s'était finalement étendue jusqu'à une série d'abdominaux.

Deux heures. Ma mère ne m'avait pas rappelé depuis ce temps-là. Voilà deux heures que je culpabilisais. Que j'étais aussi en colère. Contre quoi ? Aucune idée. Contre qui ? Je ne savais pas non plus. J'étais juste en colère et j'avais besoin d'extérioriser cette haine. Peut-être était-ce que l'on appelait la rage de vaincre ? 

Vaincre qui ? Tout le monde.

C'était chacun pour soi maintenant. Malheureux à dire mais pourtant vrai. A chaque fin d'année, à l'Ecole, se déroulait une sélection. Un examen durant lequel nos aptitudes scolaires et en danse seront évaluées afin de savoir si oui ou non nous resterions l'année d'après. Et ceux jusqu'à la fin de notre terminal pour ensuite entrer à l'Opéra de Paris.

Deux heures. Que j'étais dans ma chambre, où plus précisément sur un vieux tapis de yoga, en sueur, ne m'arrêtant qu'aux pauses accordées par mon application. Pauses que je consacrais à boire de l'eau. Eau dans une bouteille de cinquante centilitres que j'eus rempli plus de trois fois, telle une assoiffée en plein désert.

Deux heures. Où j'étais pleinement concentrée sur ma tâche, qui, je souhaitais, qu'elle deviendrait ma tâche quotidienne en plus de mes cours de danse. Musique dans les oreilles, IPod dans la poche, peu importait ce qu'il se passait autour de moi. Concentrée.

Lorsque une ombre se mit face à moi, je relevai les yeux vers la personne me cachant le soleil qui s'infiltrait à travers ma baie vitrée. Et avec surprise, je vis Franck. J'enlevai mes écouteurs voyant qu'il remuait les lèvres.

-Pardon ? dis-je n'ayant pas entendu.

Il répéta :

-Nous mangeons dans dix minutes, si tu veux euh... te doucher avant que l'on passe à table ... c'est comme tu veux, ajouta-t-il incertain.

-Oui je vais faire ça. Merci.

Il sortit de la chambre et je terminai ma série d'entraînement. Le « coach » automatique me dit au revoir et je fermai alors l'application de mon téléphone, je rangeai également le carnet dans lequel j'avais noté tous les exercices que l'appli donnait et tous les conseils trouvés sur internet. Ensuite, je pris ma serviette et filai prendre ma douche pour la deuxième fois de la journée.

L'eau froide coulait sur ma peau. Cela faisait du bien. Du froid pour contraster avec mon corps bouillant. Je me glissai le long du carrelage afin de m'asseoir dans la douche et fermer les yeux. C'était agréable. La douche et la séance de sport furent ce qui m'étaient arrivées de mieux dans la journée. J'avais eu le droit à affronter ma plus grande peur : le regard des autres, puis à une petite humiliation en public, avec à la suite un petit séjour à la vie scolaire, une nouvelle confrontation avec Martin et pour finir une prise de conscience qui faisait mal au cœur par ma mère. J'avais mal à la poitrine pour elle. Elle travaillait comme une dingue et tout ce que j'eus trouvé à faire, ce fut d'arriver en retard et me faire remarquer. Pire, passer pour une fille arrogante. J'essayais de me consoler me disant que ce coup de téléphone fut un mal pour un bien, puisque finalement, maintenant, je sus ce que j'avais à faire. Travailler plus pour être la meilleure, pour être irréprochable.

Et comme si ce n'était pas assez le bordel dans ma tête, Martin me reprochait, encore une fois, des choses que je n'avais pas spécialement besoin d'entendre.

Je rouvris les yeux.

Peut-être étais-je naïve ? Peut-être bien que Julien ne l'avait pas fait pour moi cette interruption en classe ? Peut-être voulait-il faire son intéressant ?

Je cognai la tête contre le mur de carrelage derrière moi et murmurai :

-Pourquoi c'est si compliqué ?

Je commençai à grelotter alors je sortis de la douche. Je m'enroulai dans ma serviette un long moment en fermant une nouvelle fois les yeux. J'étais crevée. J'avais besoin de dormir et non de manger. Je soufflai un bon coup puis enfilai mon pyjama.

Je rejoignis Franck et Lisa dans la cuisine et cette dernière me sourit grandement avant de me dire :

-J'espère que tu as faim après tout ce sport...

-Très, mentis-je.

Je venais de voir le plat qui trônait sur la table : gratin de courgette. Il était énorme, je ne pouvais pas lui dire que je n'avais pas d'appétit. Nous passâmes alors à table et Lisa me servit une part de son plat tout en me demandant :

-Pas trop fatiguée après cette journée ?

-Si beaucoup, heureusement que je n'ai pas encore de devoirs.

-Je pense que ça arrivera très vite malheureusement, remarqua Franck.

-Malheureusement...

Franck finit sa bouchée pour me dire :

-Je ne savais pas que tu souhaitais faire du sport en plus de tes entraînements de danse ?

-Si, je pense que ça ne peut pas me faire de mal, répondis-je après avoir bu une nouvelle gorgée d'eau.

-Tu sais, Franck a aménagé notre cabanon en salle de sport il y a....un peu plus d'un an, dit-elle avec hésitation en lançant un regard en biais à son époux.

J'attendis la suite et ce fut Franck qui me la donna :

-Oui, il n'y a pas tout ce qu'il y a comme dans les vraies salles de sports mais tu y trouveras un rameur, différentes altères, un tapis de course et un vélo d'appartement. Crois-moi à une époque, ce cabanon fut une bonne échappatoire. Il est tout à toi maintenant, les clés sont suspendues à l'entrée, vas-y quand tu veux.

Le cabanon se situait pile en face de ma chambre. Grâce à ma baie vitrée, je pouvais aller et venir quand je voulais sans être dérangée.

Je remarquai que Lisa avait baissé la tête. Evidemment qu'avant c'était une bonne échappatoire maintenant il avait sa pouf.

Je lui fis un sourire forcé :

-Merci je l'utiliserai !

Lisa remarqua que j'avais seulement picoré dans mon plat et que ma fourchette ne servait qu'à repousser les courgettes.

-Tu n'aimes pas les courgettes ?

Je m'empressai de répondre :

-Si si, simplement je n'ai absolument pas faim. Je ne me sens pas trop dans mon assiette aujourd'hui...

Sans mauvais jeu de mot, bien entendu.

-Il s'est passé quelque chose aujourd'hui ? Si c'est par rapport à ton retard, ne t'en fais pas je signerai le mot de la vie scolaire, me rassura Lisa.

Je lui avais raconté l'incident de ce matin en ne disant que les grandes lignes « je suis arrivée en retard, j'ai un mot de la vie scolaire ». Je sautai alors l'occasion qu'elle m'offrait sur un plateau d'argent.

-Oui c'est ça ! Quand il m'arrive un truc comme ça, ça me stresse jusqu'au lendemain. Le mieux est que j'aille me coucher, ça ne vous dérange pas ?

Lisa me sourit tendrement et me répondit en me rassurant :

-Bien sûr, vas-y ! Mais prends une pomme dans la corbeille à fruit pour si tu as faim cette nuit !

Je débarrassai alors mon assiette, leur souhaitai bonne nuit, filai me brosser les dents et partis me coucher.

Je ne voulus pas lui révéler tout ce qui me tracassait et qui m'empêchait de manger. Je préférais qu'ils croient que mon retard du matin était la cause de mon comportement de ce soir.

Avant de fermer les yeux et tomber dans les bras de Morphée, je pris mon téléphone et répondis aux quelques messages que j'eus reçu un peu plus tôt dans la soirée. Lilas me demandait comment ça allait depuis le matin et Lynn insultait le professeur de science économie et social me promettant que désormais, elle lui ferait la misère. Aucun message de Martin. Devais-je faire le premier pas ? Non. J'en avais marre que cela soit toujours à moi de capituler dans nos disputes. Je n'étais pas en tort. A lui de revenir vers moi cette fois-ci.

TOME 2: DANSER...A EN PERDRE LA RAISONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant