La demande de Judy avait totalement pris son père au dépourvu, le choquant au passage. Au lieu de se planter devant lui et de lui lancer à la figure sa décision déjà prise sans négociation possible, elle lui avait demandé la permission ! C'était bien la première fois que sa fille lui demandait la permission de faire quelque chose depuis longtemps.
Elle l'avait ensuite laissé réfléchir pendant qu'elle allait avertir Brian, qui lui témoigna immédiatement son soutien pour l'aider dans son plan. Il était le seul à pouvoir comprendre les raisons de Judy, partageant lui aussi une liaison cachée avec Cœur de Feu, et il espérait toujours l'aimer bientôt au grand jour sans craindre son mari. C'était leur souhait commun le plus cher.
Ils se mirent d'accord sur une même version et pour régler les derniers détails après la réponse de son père, et ils priaient pour qu'il dise oui. Pour ce faire, Brian promit à Judy de tout faire afin de retenir William pour la journée, pour qu'il n'aille pas parler à Georges et risquer qu'il n'influence son choix pour obtenir un refus à cause de sa jalousie. Au vu de son changement soudain d'humeur, cette précaution s'imposait.
Aussi dure que l'était cette tâche, Brian déploya des trésors d'ingéniosité pour garder le colonel occupé tout au long de la journée, l'empêchant ne serait-ce que de le saluer. S'il fulminait face à tous ces problèmes, il ne se douta pas un seul instant qu'il avait été piégé encore et encore par le bleu de la cavalerie sans suspicion possible. Les voir avait bien fait rire Judy, ce qui lui prouvait en même temps que son fiancé n'était guère futé.
Néanmoins, à midi, l'heure du déjeuner, la peur lui vrilla le ventre comme son père ne l'avait pas rejointe, préférant prendre son repas dans son bureau de ce que lui avait rapporté le cuisinier. Son père mangeait rarement seul quand elle était là, surtout qu'ils avaient retrouvé leur complicité père/fille au cours des repas maintenant. Pour elle, cela n'augurait rien de bon pour sa réponse à sa demande, son absence semblait être sa décision.
Le stress ne la quitta plus après le déjeuner, et rien de ce qu'elle put faire pour s'occuper l'esprit ne lui enleva ces idées noires de la tête. Elle fut tentée d'aller le voir pour lui demander, mais elle craignait de le rendre suspicieux en insistant de la sorte, et qu'alors il se doute qu'elle cachait quelque chose. Cette peur ne la lâcha plus, et son estomac était tellement noué qu'elle sauta le dîner pour aller dans sa chambre et y trouva son père qui regardait par la fenêtre.
-Papa ? Mais que fais-tu là ? lui demanda-t-elle avec surprise. Je te pensais encore dans ton bureau, tu ne l'as pas quitté depuis ce matin, même pour le déjeuner.
-J'ai besoin de te poser quelques questions avant de parvenir à prendre une décision pour ce que tu m'as demandé, répondit-il en se tournant lentement vers elle.
Judy déglutit bien malgré elle à la réponse de son père, elle avait été persuadée que le lui demander comme elle l'avait fait suffirait pour qu'il lui dise oui. Mais, résignée, elle reprit contenance et se prépara pour lui répondre.
-Je t'écoute.
-Je veux que tu me donnes tous les détails sur cette escapade et pourquoi tu as choisi Brian pour t'accompagner. Il est peut-être de la même tranche d'âge que toi mais ce n'est pas le mieux entrainé, et je préférerais que ce soit quelqu'un d'autre. Et pas aussi longtemps surtout. C'est trop long.
-Alors d'un, si tu me proposes le colonel à la place de Brian, tu peux être certain qu'il y aura un mort ! s'écria-t-elle avant de se reprendre. Tu sais qu'il ne porte pas les indiens dans son cœur et je le lui rends bien d'ailleurs en faisant de même. Et tu veux qu'il m'arrive quoi ? Tu fais confiance à Aigle Vaillant, leur chef, c'est un homme de parole. Je n'ai pas sauvé n'importe qui des griffes des hommes de William je me permets de te rappeler, mon geste m'a valu d'acquérir leur confiance et leur amitié. Le chef connait ma curiosité pour les terres, leur mode de vie, il veut me les faire partager. S'il te plaît, papa, fais-leur confiance. Fais-moi confiance. Jamais je ne me mettrai en danger, tu le sais. Je te laisse la décision finale.
Si elle avait pu, Judy se serait applaudie. Non seulement elle était arrivée à garder son calme, mais elle avait également su donner des arguments convaincants à son père tout en lui laissant le choix sur la décision. Cette fois, si ça ne marchait vraiment pas, elle n'aurait pas d'autres solutions si ce n'est la fuite et elle voulait l'éviter autant que possible pour le moment.
Georges resta silencieux un moment, plongé dans ses pensées à réfléchir. Puis il passa lentement une main dans ses cheveux en soupirant, fatigué de débattre avec sa fille qui lui prouvait une fois encore qu'elle avait raison. Elle lui laissait le choix pour la première fois mais il se doutait de sa réaction s'il refusait.
-Tu me promets que tu ne risques rien ? demanda-t-il doucement.
-Tu as ma promesse, papa. Ce sera seulement pour quelques jours, sept à dix tout au plus. Alors ?
-...Soit, tu peux partir avec eux. Je te fais confiance, et je leur fais confiance puisqu'ils n'ont cessé de prendre soin de toi grâce à ton geste.
Judy porta ses mains à sa bouche pour retenir un cri, ce qui ne l'empêcha pas de se jeter au cou de son père pour le remercier avec entrain. Et, profitant de la bienveillance dont il faisait preuve à cet instant, elle lui demanda la permission de les rejoindre dès le lendemain matin, arguant qu'elle reviendrait plus tôt ainsi. Si ça n'avait tenu qu'à lui, il l'aurait gardée encore un peu au fort, mais il capitula. Il ne savait pas résister à ce sourire, le même que celui de sa femme.
Brian fut averti dans l'heure de la décision finale, par Judy elle-même, et il garda le silence sur la nouvelle tout en partageant sa joie du fond du cœur. Les autres soldats, ainsi que William, ne furent mis au courant que le lendemain lors du départ de Judy. A cette annonce, le colonel ne manqua pas de manifester son mécontentement et son opposition, mais le général l'ignora. Sa colère ne s'estompa pas et il se fit violence pour rester calme.
Malgré tout, ce fut surtout Judy qui eut le plus de mal à cacher son excitation et son impatience pour retrouver Aigle Vaillant afin de lui faire la surprise. Grâce à l'accord de son père, ce ne serait pas demain mais ce soir qu'elle pourrait l'épouser pour son plus grand bonheur. Elle était donc plus qu'impatiente mais elle parvint à rester calme face aux membres du fort.
Georges gratifia sa fille d'une forte étreinte paternelle avant de la laisser partir avec Brian, avec une impression indescriptible dans le cœur qui semblait lui dire qu'elle devenait une femme sous ses yeux. Il la balaya rapidement sans qu'elle ne le quitte vraiment, comme si elle tenait à lui montrer quelque chose qu'il n'avait pas encore réalisé chez Judy.
Quant à elle, dès que le fort disparut de sa vue, elle lança Tempête au galop pour retrouver au plus vite son amour. Brian la laissa faire en souriant, laissant son cheval continuer au pas pour la rattraper après et lui laisser un peu d'intimité. Il avait hâte de revoir Cœur de Feu mais il se souvenait très bien que son mari avait dû revenir au village depuis leur dernière rencontre, et la simple idée de se retrouver près d'elle sans pouvoir la toucher lui serrait le cœur.
Avec tristesse, il porta une main à sa chemise pour l'ouvrir et caresser son collier du bout des doigts tout en pensant à sa jolie indienne. Leur première étreinte ne s'arrêtait jamais de repasser dans sa tête, il sentait encore la chaleur et la douceur de son corps contre le sien, son parfum de fleurs sauvages et de plaine, sa respiration haletante de désir...Il l'aimait tellement.
La voix de Judy coupa le fil de ses pensées, elle lui faisait de grands signes de bras en venant vers lui, suivie de près par le chef indien. Il tiqua un peu de se retrouver en face du frère de la femme qu'il aimait ; c'était la première fois qu'il le voyait et il l'impressionnait.
-Allez Brian ! Descends ! lui lança Judy avec empressement. Aigle Vaillant a une bonne nouvelle pour toi !
-Comment ça ? l'interrogea Brian en descendant de sa monture. Quelle nouvelle ?
-Renard Malicieux va vite le savoir, répondit Aigle Vaillant d'un sourire en serrant son épaule fraternellement. Aigle Vaillant est heureux de rencontrer l'homme qui a rendu le sourire à sa sœur Cœur de Feu.
-Merci.
-Aigle Vaillant vient d'annoncer à Eau Vive que Loup Solitaire n'était pas encore rentré au village, et il ne rentrera pas avant quelques jours. Son départ forcé a touché sa fierté, il ne m'écoutera pas pour son retour pour me tenir tête.
A l'annonce de cette nouvelle, Brian crut bien que son cœur allait exploser de joie. Certes, il ne pourrait pas se comporter comme il le voudrait avec elle à cause de la présence des autres indiens, mais il pourrait au moins être à ses côtés. Maintenant, il en était sûr, le mariage à venir était une promesse de bonheur.
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Âmes sœurs en Amérique
Ficción históricaAprès la mort soudaine de sa mère, Judy a suivi son père capitaine de cavalerie de l'Angleterre au Far-West, en Amérique du Nord. Mais il l'a fiancée à un colonel sans valeurs qui harcèle quotidiennement la jeune femme. Loin d'accepter cette décisio...