La disparition de Judy ne fût pas remarquée avant le lendemain alors que le soleil était déjà haut dans le ciel, son père fût le premier à s'en rendre compte. Il n'avait pas cherché à la réveiller pour la laisser se reposer après la fête, même lui avait dormi plus longtemps pour une fois, alors il pouvait bien accorder une grasse- matinée à sa fille. Mais en allant finalement la chercher pour le déjeuner, il ne découvrit qu'une chambre vide, une fenêtre ouverte et une corde qui pendait à celle-ci, attachée à un pied du lit.
Le premier réflexe du général fût de se frotter les yeux, croyant à une hallucination, sauf que la corde était toujours là, ainsi que le désordre de la chambre qu'il n'avait pas encore remarqué. La panique le gagna en quelques secondes et il se précipita à la fenêtre, même s'il savait qu'il y avait peu de chances qu'il puisse voir une trace de sa fille. Mais un doute lui subsistait toujours, le faisant courir aux écuries pour découvrir que Tempête était bien là, trépignant et piaffant dans son box.
L'horreur de cette découverte le frappa de plein fouet pour de bonnes raisons. Judy ne sortait jamais du fort sans Tempête, absolument jamais, même lors de sa dernière fugue elle était partie avec lui. Sauf si elle avait l'intention de ne pas être retrouvée, de ne pas être reconnue à cause de sa monture ; mais être sans monture était dangereux dans les environs du fort.
Seuls les hennissements et les piaffements de Tempête parvinrent à le faire sortir de ses sombres pensées, le ramenant en même temps à une réalité qui n'était guère mieux que ses pensées. Sa fille avait disparu, elle n'était même pas partie avec celui qu'elle considérait comme son seul et meilleur ami, qui était aussi un souvenir de sa mère. Ça ne lui ressemblait pas, toute cette situation n'avait aucun sens. Elle avait certainement encore fugué, c'était la seule solution, et elle devait être auprès des indiens, en bonne santé et en sécurité.
Mais malgré ses tentatives pour se rassurer, le général ne parvenait pas à se défaire d'un horrible pressentiment qui le prenait aux tripes. Il devait en avoir le cœur net. Il sella rapidement son cheval et sortit Tempête de son box, puis il quitta le fort en suivant l'étalon noir qui s'était lancé au galop, veillant à ne pas le quitter des yeux. S'il existait bien un être capable de retrouver Judy, c'était ce cheval.
Lorsqu'il vit Tempête ralentir à l'approche du village des Cheyennes, il ne fût guère surpris, ce qui renforça sa détermination que sa fille avait encore fugué pour trouver refuge auprès des indiens. Il fallait vraiment qu'il ait une conversation sérieuse avec elle à propos de ce comportement, elle ne pouvait plus continuer à agir ainsi à son âge, elle était une adulte bon sang. Il espérait juste qu'elle serait disposée à écouter.
-Je dois parler à votre chef, dit-il à un homme qu'il avait interpellé. C'est à propos de ma fille, c'est important. Je sais qu'elle est là.
L'homme le fixa un moment avant de partir et de revenir avec Aigle Vaillant, qui plongea immédiatement ses yeux dans ceux du général, le mettant mal à l'aise face au regard puissant du jeune chef. Il n'avait jamais vu un tel regard, il semblait le sonder, lui donnant l'impression qu'il pouvait voir dans son âme. Seul un aigle lui avait déjà donné cette impression ; le nom du jeune chef était plus qu'approprié.
-Que me veut le père de Eau Vive ? lui demanda Aigle Vaillant avec calme.
Le général ne comprit pas tout de suite de qui il parlait, puis il se rappela que Eau Vive était le nom que sa fille avait reçu de leur part. Un nom qui était bien trouvé, à l'image du caractère de sa fille.
-Ma fille a encore quitté le fort, je sais qu'elle est venue ici, c'est le seul endroit qu'elle connaît dans la région. Veuillez me mener à elle je vous prie, elle doit cesser d'agir comme une enfant.
-Aigle Vaillant ne comprend pas...Eau Vive n'est pas dans le village, elle doit être avec les siens.
-Qu'avez-vous dit ?! s'écria le général. Ce n'est pas possible ! Elle n'est pas au fort, elle doit forcément être ici ! Tempête m'a conduit ici, ma fille doit forcément être là, c'est la seule explication !
Pour toute réponse, Aigle Vaillant pointa une direction du doigt, vers un enclos simple où se trouvaient tous les chevaux du village. Et à la surprise du général, Tempête s'y trouvait, en train de faire le beau devant une magnifique jument blanche qu'il tentait sûrement de séduire. Le pauvre père crut à une blague mais cela était loin d'être le cas, l'étalon noir l'avait mené au village non pas pour retrouver sa fille mais une simple jument. Jamais il n'aurait pensé à ça.
-Le cheval de Eau Vive essaie de séduire cette jument depuis plusieurs jours, expliqua Aigle Vaillant. Eau Vive a du mal à le ramener à chaque départ, elle pensait le laisser pour lui permettre d'avoir une famille. Ce cheval est son ami le plus précieux mais elle ne peut lutter contre la nature et l'amour. Elle sait et comprend, elle ne le retiendra jamais pour ces raisons.
-Alors ma fille n'est pas ici ?
-Si le père de Eau Vive doute de la parole de Aigle Vaillant, il peut chercher dans le village. Mais si elle est partie de sa propre volonté, il serait plus sage de vous demander pourquoi avant de la retrouver.
Georges allait lui répliquer que cela ne le concernait pas et qu'il savait pourquoi sa fille était partie sauf que ses mots restèrent bloqués dans sa gorge, car il ignorait les raisons réelles de la nouvelle fugue de sa fille. La première fois, c'était après lui avoir interdit de retourner dans ce village suite à son agression, pour sa sécurité, mais elle lui avait tenu tête pour retrouver ses amis. Sauf que cette fois, il n'y avait eu ni interdiction, ni dispute. Rien. Aucun signe annonciateur.
Aigle Vaillant remarqua rapidement le trouble du général, alors il lui conseilla de rentrer pour réfléchir plus au calme. Il le rassura également en lui assurant que sa fille ne risquait rien, qu'elle avait suffisamment appris auprès d'eux pour survivre seule, et qu'elle reviendrait lorsqu'elle le sentira prête à réaliser et accepter ses erreurs. Il avait certes été direct, mais aussi honnête, et le général ne trouva rien à dire. La confiance et l'assurance que ce jeune chef dégageaient avait été suffisants pour le convaincre d'écouter ses conseils, mais il devait s'assurer d'une dernière chose.
-S'il vous plaît, si ma fille devait venir vous voir, promettez-moi de lui dire que je l'aime et que je vais essayer de comprendre mes erreurs, supplia Georges en direction de Aigle Vaillant. Elle est tout ce que j'ai.
Aigle Vaillant sembla alors le sonder de nouveau de ses yeux noirs pendant un court instant, puis il posa sa main droite sur son cœur en inclinant la tête. Nul besoin de mots pour comprendre qu'il avait accepté, ce simple geste en disant plus que des mots qui finissaient souvent emportés par le vent. Alors, même si Georges repartit abattu et triste de en pas avoir retrouvé sa fille, il y avait dans son cœur un peu d'espoir de revoir un jour sa fille.
Le chef indien le regarda partir et ne le quitta pas des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon, il avait de la peine pour cet homme, il aimait sincèrement sa fille mais ses mauvais choix les avaient séparés en dépit de leurs efforts mutuels. Au moins, il ne lui avait pas menti, Judy n'était pas dans le village, même si elle y avait passé la nuit après sa fuite. Puis elle avait insisté pour s'installer à l'extérieur du village pour ne pas leur causer de problèmes avec son père ou le colonel, et il avait pu lui indiquer une grotte non loin.
Repenser à son arrivée au beau milieu de la nuit amena un sourire sur son visage ; elle était arrivée essoufflée et s'était glissée dans son tipi pour le réveiller, le surprenant et l'inquiétant comme c'était la première fois qu'elle faisait ça. Mais elle l'avait rapidement rassuré en lui apprenant la plus belle des nouvelles, qu'elle portait son enfant et avait fui les siens pour le protéger. Et il comprenait ses motivations, surtout après la tentative d'agression de son fiancé, et il était heureux à la pensée d'être bientôt père. Une joie partagée par tout le village, et particulièrement par sa sœur.
Après avoir passé la nuit ensemble, il avait annoncé cette bonne nouvelle aux siens, croulant ensuite sous les félicitations de tous. La plus démonstrative avait été Cœur de Feu, elle avait refusé de quitter sa sœur depuis l'annonce, l'aidant à s'installer dans la grotte et elle était toujours à ses côtés. L'arrivée de leurs futurs enfants amènerait sans aucun doute une nouvelle vague de joie dans le village, surtout pour sa sœur qui serait enfin libérée de Loup Solitaire.
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Âmes sœurs en Amérique
Fiction HistoriqueAprès la mort soudaine de sa mère, Judy a suivi son père capitaine de cavalerie de l'Angleterre au Far-West, en Amérique du Nord. Mais il l'a fiancée à un colonel sans valeurs qui harcèle quotidiennement la jeune femme. Loin d'accepter cette décisio...