Noyade

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          Lendemain matin, rebelote. Avec mes partenaires, nous nous sommes de nouveau levés tôt afin de profiter en toute tranquillité du petit-déjeuner servi à la pinède. Toujours ce cadre idyllique où mer et montagne se chevauchent, s'entrelacent et se mêlent pour finalement se confondre. Toujours un repas matinal aussi nourrissant et frais, préparé par les cuisiniers qui s'activent derrière leurs présentoirs. Toujours un temps magnifique enchanté par la symphonie des cigales qui cymablisent et craquettent... Toujours une aussi agréable sensation de pure détente.
           Le petit déjeuner terminé, je m'en vais seul profiter de la piscine, royaume des m'as-tu-vu, des poupées siliconées et de quelques bodybuilders aux testicules possiblement atrophiés. Là-bas, des G.O. animent un jeu dans lequel deux volontaires éclatent tour à tour des ballons de baudruche entre leurs corps aux physiques divers en un temps chronométré tout en mimant des positions très explicites. « Allez... Allez... Allez Kemer, allez ! »
           Critique, plongé au bout de la piscine à l'endroit où le niveau de celle-ci est le plus élevé, ma subtilité n'apprécie pas particulièrement l'évidence du message porté par le jeu auquel s'adonnent les vacanciers. S'ils trouvent amusant de se mettre en scène de la sorte, tant mieux pour eux... Toutefois, m'étant isolé, je m'avoue moins amusé qu'accompagné de mes complices. Il est 11h du matin et nombreuses sont les personnes présentes dans et autour du bassin. Certains entament même leurs séances de drague tout en s'enivrant du spectacle de protagonistes simulant levrettes et autres positions sexuelles acrobatiques dans l'unique but d'éclater un insignifiant ballon de baudruche. Ridicule !
           Au terme de l'activité, une quinzaine de G.O. se regroupe face à la piscine, tous costumés de vêtements chauds. Dans des conditions climatiques apparemment favorables au déroulement d'une halloween-party, les animateurs, incontestablement à l'aise sous 35°C dans leurs épais accoutrements, déclarent le lancement de la pool-party. Ils sollicitent ainsi les vacanciers alentours à participer en s'attroupant dans la piscine face à eux. Et déjà le tiers du bassin, représentant la partie praticable à pieds, se peuple de bouillants vacanciers qui auraient saisi n'importe quel prétexte leur permettant de se rassembler dans un grand bordel aquatique... De mon emplacement, je me délecte beaucoup du spectacle... Surtout positionné face à tous ces petits fessiers très peu couverts, portés en étendard sur les épaules de quelques chanceux, s'agitant au son des encouragements des G.O. et de la playlist qui se répète à foison ; cette dernière vomissant des dérivés incessants de David Guetta... D'où le sentiment étrange que procure la fréquentation de l'endroit, duquel je comprends l'application d'un conditionnement à l'abrutissement festif, complété d'absurdité par la superficialité manifeste de ceux qui suivent les animations pour justifier l'exposition de leurs apparences ; principales raisons pour lesquelles mes copains musiciens fuient, à raison, l'endroit dès qu'ils le peuvent.
           Tellement d'insouciance à s'abrutir exprimée aussi franchement... Dire que ma volonté de m'affirmer m'avait maintes fois été reprochée... Comme quoi, y'a pire que mon comportement, y'a les leurs ! Et bien d'autres encore... Mais c'est toujours moi qu'on critique ! J'suis trop gentil, voilà tout. Trop compréhensif, respectueux, généreux, aimant, trop mimi, trop blabla... Ça m'énerve putain ! Les gens abusent toujours de mes faiblesses. L'humanité c'est d'la merde ! Avec des comportements pareils, elle mérite de se faire exterminer. La bienveillance n'y changera rien, le mal est voué à triompher.

          
Après plus d'une demi-heure à contempler les vacanciers s'agiter dans la piscine face aux animateurs qui les arrosent de leurs lances à eau, les filment ou les prennent en photo, je me lasse enfin, pars déjeuner auprès de mes bienfaiteurs musiciens et me décide à finalement visiter l'extérieur du village. Au passage, je m'arrête tout de même au bar pour entamer mon apéritif, me déshydratant suffisamment pour perturber mes sens.
           Dépassant le chemin menant au night-club emprunté la veille, je franchis le pont enjambant un ruisseau de déchets répugnant au détour duquel un garde précédemment assis dans son cabanon me remet un badge me permettant d'entrer et sortir du village à ma guise. Tonifié par la puissance des éléments, pas du tout par l'alcool absorbé auparavant, me voilà prêt à m'engager au-delà de la frontière séparant le Club, son cadre idyllique, ses animateurs fous, sa luxure, et... le quotidien, banal, attendu, ordinaire. Cette frontière franchit, je déambule à travers une plage entièrement fréquentée de familles turques. Une plage familiale sans surprise, comme il en existe des centaines dans le monde... Affrontant seul la vie normale une fois traversée cette étendue de sable sur quelques kilomètres, étonnamment je m'ennuie profondément. Accablé par ma situation socio-professionnelle et étant sorti du cadre frontalier justifiant ma présence en Turquie, je pense, coupable, qu'afin de légitimer ma présence parmi cette masse de familles turques, il faudrait que je me trouve un travail... pauvre et immigré que je me sens. Consécutivement, après une marche dont la peine fut accentuée par la lourdeur d'un soleil de plomb, je reviens fouler les terres justifiant ma présence en pays étranger, notamment afin d'étancher ma soif.

           De retour au Club, non-loin du lieu accueillant les cours de fitness, proche du magasin de vêtements faisant l'extension du corridor, je me pose sur une murette inclinée, contemplant la beauté pleine de contraste des montagnes et pics gigantesques disparaissant à la faveur des eaux paisibles... Malgré moi, je n'étais pourtant pas uniquement bien situé pour laisser place à ma contemplation sans bornes du relief de la nature... J'observais ainsi, derrière la teinte de mes Ray Ban, les « sexysters » comme je les nommais : trois sœurs libanaises exquisément jolies et sexys, au métissage aussi doux et alléchant que le caramel chaud. Toutes les trois brunes aux yeux clairs - verts ou bleus selon la sœur -, paraissant être assurément très riches et superficielles, portant chaque jour des maillots différents, mais toujours incroyablement légers aux coupes extrêmement fines. Maillots aux designs originaux voire inhabituels, semblables aux tenues affriolantes arborées par les James Bond's girls... Ces trois sœurs, choquantes de décomplexion tant elles étaient pulpeuses, gâtées par la nature et parfaitement apprêtés, caractérisaient des esthétiques si appétissantes qu'elles ne laissaient personne insensible à leurs beautés. La preuve en était qu'à quelques vingtaines de mètres de ma position, elles avaient éclipsé la contemplation que je portais sur le décor, obligeant mon attention à se focaliser sur leur arrivée dans le bassin-pataugeoire aux airs de jacuzzi, situé près de l'esplanade centrale, dans lequel elles venaient d'entrer.
           Alors qu'assit sur ma murette je me noie un bref instant dans un fantasme impliquant l'une des trois sœurs, voire les trois, Brad vient à ma rencontre. Mon ami pianiste, instigateur de ma présence au Club, m'invite à le rejoindre avec certains de nos camarades, du côté de la sandwicherie, pendant que d'autres pratiquent des activités aquatiques :

_ C'est gentil mec, mais j'vais tout de même rester calé sur ma murette encore un peu, continuant de m'inonder de soleil et de fantasmes impliquant l'exotisme de la bourgeoisie arabe... Par contre, t'aurais pas du feu ?
_ Ah non man ! Sorry. Bon, tu sais où on est si tu veux nous r'joindre.
_ Ouais, pas de soucis.
_ Allez à toute man !
_ Par contre Brad !
_ Ouais Jarod ?
_ Faut vraiment que t'arrêtes avec ce « man », c'est vraiment trop bizarre.
_ Ouais mais ça m'fait trop marrer. Plus personne dit ça. J'ai trop envie de l'remettre à la mode t'as vu !
_ Ah ah ! Ouais ok. Tu fais bien comme tu veux.
_ Allez j'me tire man !
_ Ouais à t'aleur, j'arrive bientôt.
_ Fais ta vie man !

           Se manifeste alors le type allongé dans un transat derrière moi, lequel tient vraisemblablement à échanger une cigarette contre du feu. Le troc effectué, mon esprit contemplatif et pervers se détourne de son précédent objectif pour me permettre de bavarder avec mon dépanneur étranger.
           Franz est un jeune professeur luxembourgeois qui vient de se faire licencier. Il est à Kemer pour se vider l'esprit, pour évacuer le stress de son licenciement. Il est très cultivé, vraiment très cultivé... du haut de son master d'histoire en poche. Il en arrive même à me bluffer par ses connaissances en histoire de l'art, moi qui suis censé avoir suivi un cursus universitaire d'artiste-plasticien... Par contre, il parle beaucoup de lui... Ce que je comprends le sachant préoccupé par l'angoisse de sa situation. Ceci étant, sans langue de bois, le luxembourgeois me paraît étrange. Il semble animé de crispations. En outre, ses gestes et autres mouvements de tête semblent résister à une pression que je ne perçois assurément pas. Tellement que mon interlocuteur convulsif me rappelle les saccades stéréotypées d'imitations de danses robotiques. Un vieux modèle, je pensais.
           Tout en échangeant avec cet étrange personnage, j'en profite pour observer dès que je le peux les sexysters dans la pataugeoire à quelques mètres de là. Ces envoûtantes demoiselles se prennent dorénavant en photo, comme à leur habitude, mais cette fois accompagnées des rugbymen que j'avais rencontrés en fin de soirée la veille, esseulé sur mon podium. Et ceux-ci, en bons finauds qu'ils sont, shorts de bain au niveau des cuisses, écartent de temps à autre leurs fesses, exhibant leurs anus tout près des têtes des jeunes succubes, pendant que l'une d'entre elles fige ces instants magiques en mitraillant le groupe et leurs péripéties de son appareil photo. Les voyant faire, je me dis que « l'œil de l'ours » (consistant à écarter ses fesses afin d'exhiber son anus), est une pratique finalement plutôt courante. C'était Lara, une ancienne fréquentation suisse, qui nous avait appris cet usage, à mes amis du sud et moi-même, lorsque nous habitions, insouciants, encore tous à Toulouse. Comme quoi les jours passent et se ressemblent... Sur ce, je rejoins mes camarades à proximité de la sandwicherie.

_ À plus Franz ! Sympa de t'avoir rencontré. Bien que j'aurais préféré que tu sois une femme. Que j'aurais trouvé mignonne, au moins, évidemment...

           Mes compagnons retrouvés autour de leur table basse, je remarque Laetitia-bis assise à la table d'à côté, en maillot cette fois, débarrassée de son diabolique poum-poum short. Aussitôt, comme le fait tout bon lâche qui tient à se faire remarquer, je demeure debout un petit moment, à parler plus fort qu'à l'accoutumée, faisant le beau, cherchant à faire marrer mes potes, pourquoi pas afin d'attirer l'attention de ce charmant trophée. Seulement, ma situation socio-professionnelle me rendant timide, je m'agite dans le feutré, sans jamais croiser le regard de ma cible, sans jamais vraiment me dévoiler. C'est à l'inconscient de celle-ci que je m'adresse. Si elle remarque mon physique, ma verve et mon rare humour, tant mieux, sinon, tant pis. Comme quoi, lâcheté et timidité rendent inintéressant, puisqu'elle ne me lança qu'un regard passager.
           Notre équipe réunie, une fois bien discuté, il nous sera demandé par de gentils organisateurs de quitter la piscine que nous avions rejointe en raison de la préparation de la soirée turque à venir. Sur le chemin de nos brasses en mer, sur la plage dédiée aux activités, juste avant parasols, transats et eau salée, la libération d'un terrain de beach-volley mènera notre troupe à s'affronter...
           Le soleil décline. Chacun de nous est rentré se doucher et s'apprête dans ses quartiers en prévision de la soirée. D'ailleurs, ce soir, mes compagnons ne performent pas, ce qui a pour effet de les soulager.

           Avant l'heure du dîner, l'apéritif officiel nous est servi sur l'esplanade du village. Et durant l'apéritif, alors que des turques exécutent sous nos yeux quelques danses traditionnelles sur la piste prévue à cet effet, à proximité du bar central, à seulement quelques mètres de ma position, une très jolie fille me lance des regards. Je la considère par moments moi aussi, me rendant compte que je ne l'avais pas remarquée avant.
           Nouvelle arrivante ?... Très beau teint, d'une évidence délicate... Comme si tu n'étais pas métissée mais finement bronzée... Pourtant je perçois chez toi cette pointe d'exotisme qui manque radicalement aux européennes... Très joli visage... Et ces cheveux... noirs ébène, qui brillent de mille feux dans ce crépuscule d'été, paraissent aussi lisses et sauvages que la crinière d'un Mustang que l'on aimerait savoir domestiquer... Je suis sous le charme. Tentons de l'approcher !
           À peine l'idée m'effleure-t-elle l'esprit que déjà la jolie brune et sa copine - que son manque d'attrait m'avais empêché de remarquer jusque là - disparaissent dans l'amphithéâtre derrière moi. Mais voilà qu'il est l'heure de se mettre à table. Ce soir c'est thème et repas turc autour de la piscine...

           Évidemment le thème de la soirée est majoritairement suivi. Tout le monde ou presque est habillé de rouge et de noir. Ou simplement de rouge. Ou seulement de noir... Les couleurs du drapeau national turc. Table sélectionnée, mes camarades et moi, nous nous servons en plats principalement indigènes. Kébab pour tout le monde !

_ Mmm, sont délicieux ces kébabs ! remarque Leila.
_ C'est vrai que c'est bon, ajoute Christina.
_ Goûtez les accompagnements, ils déboitent aussi ! insiste Théo.
_ Honnêtement, les kébabs français nous prennent vraiment pour des imbéciles tellement la qualité des produits qu'ils nous servent est inférieure ! compare Candice.
_ Oui, 'fin... Dans quelles conditions ils travaillent aussi... je réagis.
_ Et heureusement qu'ils sont là parce qu'il y en aurait eu des fins de soirées catastrophiques sans kébabs, relativise Brad.
_ C'est vrai... se modère Candice.
_ Mmm... N'empêche, le pain, les légumes, la viande... Tout est meilleur que chez nous ! relance Christina.
_ Oui, bon, c'est plus frais, ils ont de meilleurs produits, c'est le Club turc, voilà ! On peut manger sans avoir un truc à dire sur tout, merde ! s'exclame Fred.
_ Ça va Frédéric ? lui demande Mike.
_ Laisse tomber, il fait son intéressant ! je lui réponds.
_ En tout cas, c'est pas qu'une histoire de fraîcheur, c'est aussi une question de préparation, réalise Leïla.
_ Les kébabs tirent leur origine de Turquie d'ailleurs je crois, se souvient Christina.
_ J'pensais qu'ils avaient été inventés en Allemagne moi, je tente de développer.
_ C'est le döner qui a été inventé en Allemagne, répond Théo.
_ Le döner ? je lui demande.
_ Oui, la présentation en sandwich, les ingrédients enroulés dans leur pain, me détaille-t-il.
_ Ah d'accord. Ce qui est sûr c'est que les allemands en sont les plus gros consommateurs. j'ajoute.
_ Ouais, ça on sait... intervient Brad.
_ Moi j'savais pas, avoue Candice.
_ Et bim ! lance Mike en direction de Brad.
_ Oui, oh, éh, ça va ! plaisante Brad.
_ Téma, il a l'seum ! je déclare à Mike en le prenant à parti.
_ Ah ah ah !

           Pendant que nous dégustons nos repas, micro en main à la manière d'un animateur de supermarché, voire d'Interville, le responsable de l'organisation du village fait l'annonce d'une « danseuse du ventre, mesdames et messieurs ! »...
           Sympa ! Mais... Une seule ? Ce n'est pas ce qui va satisfaire l'appétit (au moins) voyeuriste de nous autres charognards... À voir le nombre de tables disposées autour de la piscine, nous devons être, au bas mot, cinq-cents vacanciers à dîner ici ce soir. Probablement deux-cent-cinquante prédateurs potentiels. Eventuellement bien plus d'une centaine de bêtes affamées...
          
Notre petite troupe d'artistes placée aux premières tables proches de son entrée, la « danseuse du ventre » vient rapidement nous rendre visite...
           Tiens ! C'est la meuf que j'avais prise en flagrant délit de regards insistants juste avant qu'elle ne disparaisse dans l'amphithéâtre... Wow ! Qu'est-ce qu'elle est belle !... Super sexy en plus de ça. Je perçois amplement le dessin de son corps de déesse enchanteresse valoriser la fine robe blanche à l'abdomen apparent dans laquelle elle se déhanche. Je ne peux m'empêcher d'intensément la fixer et... Oui, voilà ! Elle danse à mes côtés, portant son regard profondément sombre dans le mien, tout aussi incandescent de noirceur et de désir. Mais déjà la danseuse turque s'en va aguicher une autre table... Et merde ! Bon allez, c'est pas grave, j'ai juste à photographier des yeux les femmes qui passent et repassent dans l'allée. Très sexy elles-aussi. Moins intéressantes que la « danseuse du ventre » (entre autres, elles doivent moins bien se mouvoir), mais quasiment aussi bien sculptées. Comme cette jolie brune au style très « top model européen » qui se tient à la table en face de moi. Elle aussi est très jolie. Voyons, si je l'observe un peu, que puis-je en tirer ? Ah mince ! Encore une qui ne se prend pas pour de la merde. En même temps, à mille-cinq-cent balles la semaine, sans compter le billet d'avion, je ne risque pas de fréquenter de possibles misérables durant le séjour, c'est quasi certain. Bon, bin voilà... Ça c'est fait ! Je dois bien me rendre à l'évidence... Je ne vois aucune fille qui soit susceptible d'être attirée par l'individu que je représente. Autant oublier de passer mes vacances accompagné. Autant m'en mettre uniquement plein les mirettes...
          
Toujours attablés à mes côtés, mes compagnons musiciens s'entretiennent au sujet des fantômes, Leïla ayant apparemment été témoin d'une apparition dans sa chambre plus tôt dans la journée, d'une femme turque assez âgée, lui souriant, d'un calme terrifiant, assise sur son lit. Ainsi chacun y va de sa petite anecdote et chacun tente d'effrayer les autres avec les plus étranges des faits réels... Comme ces fois où, plongé dans des sommeils paradoxaux, j'avais distingué la petite fille démoniaque du film The ring traverser les murs de ma chambre pour ensuite tenter de m'étouffer de ses mains glacées, agenouillée auprès de mon lit... Ce qui m'avait valu quelques crises d'angoisses mémorables.

           Le dîner terminé, tous les vacanciers se sont rassemblés autour du bar et de la piste de danse. Tous... Sauf mes partenaires qui, déjà saoulés par les hymnes intempestifs : « Allez... Allez... Allez Kemer, allez ! », se mettent à l'écart de la masse en investissant les canapés postés derrière le bar et faisant face à la piscine. Là où il n'y a strictement personne donc. Pourtant, en ce qui me concerne, j'éprouve l'envie de faire connaissance avec d'autres individus. Je sais que l'adaptation passe par la collecte d'informations, par l'intégration, et surtout pas par la marginalisation. Alors, prétextant un besoin pressant, je quitte mes comparses et part faire mes petits tours de bar.

           Bien sûr, au bar, je croise certains regards. Mon physique attire souvent l'attention, quitte à repousser, aussi, potentiellement. Certaines demoiselles semblent réceptives à mon charme de façade. Mais même parfaitement proportionnées et certainement très coquines, je sais ce qui se cache derrière le regard d'une fille possiblement trop portée sur la chose. J'en ai fréquenté assez pour me permettre d'être sur mes gardes.
           Les yeux qui sentent le sexe à plein nez... je me fais la réflexion, c'est flatteur, mais ça ne m'intéressera qu'en ultime recourt, si j'en ai la possibilité. J'espère seulement ne pas avoir à en arriver à cet extrême. Parce qu'en général, les filles ayant une soif d'enivrement sexuel aussi perceptible se fichent du partenaire avec lequel elles fricotent tant que celui-ci les satisfait. Tandis que moi, en bon sensible que je suis, j'aime créer des liens avec les filles avec lesquelles je partage la couche, contrairement à ce genre de personnes qui enchaînent les histoires sans lendemain... Pour qui le sexe est anodin...
          
Finalement, le bar seul m'ennuie à son tour. Ma bonne volonté n'y dénichera personne qui me convienne. Je regagne donc mes amis.

           Mes compagnons retrouvés, je les surprends désormais dénoncer les dégradations et destructions environnementales globales produites par l'expansion humaine, la bêtise des dogmes lobbyistes qui poussent les grands groupes industriels, entre autres, à pulvériser les forêts, poumons de la planète, au profit de la production d'huile de palme, au profit d'une récolte sauvage de matières premières, étalant les agglomérations et gonflant les comptes en banque d'une classe dominante dont les intentions semblent égoïstes, au profit d'une extinction de masse des espèces auprès desquelles les humains ont évolué pendant plus de deux cent mille ans. Ils évoquent d'autant les ravages produits par l'élevage intensif, nous faisant consommer des produits malades, annihilant la biosphère encombrée de déchets et d'OGM, finissant d'achever notre rapport au vivant... Je pénètre la conversation, et tout au long de nos discussions, appuyant réflexions et points de vue, nous référant à des documentaires, des reportages, des conférences ou des articles, nous évoquons tantôt les secrets de polichinelle des parcs aquatiques, tantôt les soucis liés au recyclage et à la pollution. Tous les huit nous soulignons davantage l'insouciante aberration des actes et conséquences humains, ce qui a pour effet de me ravir, moi dont la personnalité rebelle s'est rapidement appropriée nombres de contestations systémiques renforçant mes convictions d'incohérences et d'injustices.
           Après un long moment d'interactions passionnantes et enrichissantes, notre petit groupe se motive enfin à rejoindre la soirée « Beach-party » se déroulant vers l'emplacement des cours de fitness.

           Là-bas, je regrette le parti pris de la disposition mise en place par les organisateurs. Notamment car en lieu et place du cours de fitness se tient désormais le carré VIP, VIP d'appellation tout du moins, l'espace étant infesté de caricatures de candidats de télé-réalité. Un espace surplombant du haut de son escalier et de son mur en pierres, bar et piste de danse disposés pour satisfaire la majorité des résidents temporaires, réduits au rez-de-chaussée ou au sous-sol pourrait-on dire, comme pour symboliser une place sociale... Perspicace, je prends la mesure de l'inclinaison du sol sur lequel je suis censé m'exposer sous les yeux hautains des VIP qui culminent sur un sol plus équilibré. Aussi, danser saoul dans une pente de quinze degrés d'inclinaison ne m'intéressant pas, je mène mes acolytes sur la plage, à quelques pas du stand d'hamburgers artisanaux placé là pour l'occasion, à quatre ou cinq marches de bois en contrebas, en face du show. Notre emplacement, libre de toute contrainte d'entassement me paraît valoir davantage le coup en comparaison à la piste pentue. Meneur fugace, je ne conçois donc pas l'intérêt qu'éprouvent la plupart des personnes présentes à pratiquement toutes s'entasser comme des sardines dans un espace incliné de cent mètres carrés, alors qu'à proximité la place ne manque pas pour profiter de la musique sans se faire agresser les tympans par celle-ci, qui, soit dit en passant, est vraiment trop FORTE !
           Seraient-ils tant adeptes des boîtes de nuit qu'elles les auraient conditionnés à se tasser ?

           Profitant de l'espace dont nous jouissons sur la plage, nous recommençons à boire tels des assoiffés de désinhibition, mais aussi à danser jusqu'à en avoir des courbatures, nous mouvant telle la troupe de danseurs zombies dirigée par Michael Jackson dans le clip « Thriller », en plus désorganisés... Entre Christina qui tente des chorégraphies improbables avec Candice, Frédéric qui adapte son déhanché maloya à n'importe quel style de musique, Théo qui enchaîne les pas de danse tout droit sortis d'un clip de Daft Punk, Mike qui bouge sa tête comme un coq et moi qui joue les go-go dancer en référence au film The full monty, nous profitons tout de même très bien de notre soirée.

           Pendant la beach-paty, la prise d'initiative des sexysters qui se sont jetées dans la mer sans raison particulière sinon celle d'exploiter au maximum leur environnement et possiblement se faire davantage remarquer, aura poussé un groupe de blondes toutes aussi pulpeuses à les imiter. Et sans surprise, beaucoup de mecs les rejoindront faire trempette ; signe que tout le monde est assez ivre pour suivre ses instincts primitifs sans restriction. C'est aussi le signe qui annonce les entrées de Frédéric et moi dans l'arène de la drague.
           Sans hésitation, notre duo d'amis part en reconnaissance sur la piste inclinée afin d'estimer si nos charmes vont de soi... Mais rien ne se passe. Notre virée demeure stérile... À l'image de ces deux chinoises pas très attirantes que nous n'avions même pas l'intention d'aborder, mais qui nous toisent pourtant de leurs regards dédaigneux, avant de rapidement se détourner de nos présences...
           Tandis que nous sommes tous deux prêts à abandonner notre investigation, d'un œil aiguisé, je remarque Laetitia-bis isolée dans un angle du carré pseudo VIP, sirotant son cocktail, proche d'un groupe de gens paraissant sociabiliser. J'en profite pour lâcher mon coéquipier, allant mettre à l'épreuve mes talents de dragueur endormis depuis mon installation à Paris.
           Arrivé à la hauteur de cette femme dont la morphologie me rappelle une passion évanouie, je ne perds pas mes moyens et l'aborde sans hésiter :

_ Bonsoir !
_ Bonsoir.
_ Mmm, je me permets de t'aborder parce que je t'ai vu seule dans cet espace très illégitimement confiné, et je me suis dit que tu aurais pu avoir besoin d'un peu de compagnie.
_ Non, ça va, j'suis pas si seule que ça. Mais c'est gentil d'être venu vérifier.

           La jeune femme, d'au moins vingt-sept ans mais de moins de trente ans me répond simplement, sans trop de prétention dans son comportement. Dans le fil de la conversation, au milieu du brouhaha, je peine à comprendre son nom au moment où celle-ci me l'annonce (Maria, Marion ou Manon), avant qu'elle se permette de se moquer légèrement de moi lorsque, par dyslexie, je balbutie vaguement et m'emmêle les pinceaux dans ma diction... Jusque-là, rien qui ne m'arrête dans ma fougue.

_ Au fait, moi aussi c'est ma première fois ici, je lui lance.
_ Et tu fais quoi ? me demande-t-elle en mordillant légèrement la paille qui trempe dans son verre.
_ Bin... J'te parle !

Elle sourit.

_ Non, comme travail j'veux dire, insiste-t-elle.
_ J'avais compris. J'suis assistant d'éducation, et toi ?
_ Esthéticienne.
_ C'est-à-dire... tu fais des cocktails ?
_ Des cocktails ? J'suis pas barmaid.
_ Je sais. C'était une blague, j'déconne.
_ Ah ok ! Ha ha ! T'es bizarre toi.
_ Ah bon ? Tu trouves ? J'sais pas, j'me rends pas compte...

           Cela fait à peine deux minutes que nous faisons connaissance... tout semble se passer correctement. Puis, comme tout ce qui peut mal se passer se passe nécessairement mal, une copine de mon interlocutrice s'interpose entre elle et moi tout en titubant. Cette dernière me reluque des pieds à la tête, pour finalement me porter la main au visage, façon de dire « parle à ma main »... Dans un monde entièrement paritaire, l'effrontée se serait reçue une grosse gifle dans sa face, du genre de celles qui laissent une trace éphémère de vaisseaux sanguins éclatés sur la joue, mais surtout de celles qui sont psychologiquement indélébiles... Cependant, heureusement pour elle, même saoul, je garde assez de contrôle. Alors au lieu de répondre à l'imbécilité par la bêtise, je me suis contenté de lancer un regard sérieux aux deux nanas, avant de dresser mon pouce en l'air en leur expédiant un sourire de mépris. Je me suis alors nonchalamment dirigé vers mes camarades en n'oubliant pas d'adresser un délicat « salut ! » d'au revoir à celle que je continuerai de nommer Laetitia-bis...
           Au moins j'aurais essayé. Et puis, la prise de contact aura été établie.

           Redescendant dans le marasme de la piste de danse, le seul des copains que je retrouve c'est Frédéric. Sans transition, nous partons tous deux commander un hamburger au cuistot turc. Faut dire que nous sommes drôlement ivres, il nous faut ainsi éponger tout cet éthanol sous risque de bientôt déchanter.
           Derrière le stand de burgers, le ponton sur pilotis menant à l'activité ski-nautique en journée nous intrigue mon acolyte et moi. Un ponton qui s'étire au-dessus de la mer sur une distance d'au moins dix mètres, à deux pas d'une grosse soirée, ça attire. Ainsi, tous les deux, nous prévoyons de nager jusqu'au bout de cette structure semi-marine... Il est deux ou trois heures du matin... Pourtant, de l'heure ou du danger, nous en avons que faire. Nous sommes saouls. C'est-à dire insouciants et inconscients. Nous désirons donc profiter des moindres opportunités qui nous sont offertes pour rendre notre aventure épique. Conséquemment, en moins de deux, nous nous retrouvons en caleçons sur la plage. Et nous voilà partis jusqu'au bout de la plate-forme à la nage.

           Sous l'extrémité du ponton, assisté de mon pote aux yeux sombrement alcoolisés, nous nous décidons à grimper sur les énormes pilotis de l'architecture afin d'exécuter du haut de celle-ci quelques sauts périlleux et autres saltos, nous servant de la méditerranée comme amortisseur. Totalement imbibés d'alcool, nous entamons dès lors une petite série de sauts, jusqu'à ce qu'un spot lumineux nous cible du fin fond de la beach-party, accompagné d'un sifflement issu d'un sifflet d'arbitrage.

_ C'est quoi cette lumière ? me demande Frédéric que je viens d'aider à sortir de l'eau.
_ Et c'est quoi ce bruit ? Quelqu'un est en train de se noyer ou quoi ?
_ Mec, c'est pour nous en fait.
_ Ah mais ouais, y'a un mec qui nous siffle sur la plage.
_ C'est surement un mec de la sécurité.
_ Il nous fait des signes... Rendons-les-lui... Salut !!!
_ Salut !!!
_ Putain ! Il m'aveugle avec sa putain de torche, je m'agace.
_ P'têt qu'on n'a pas le droit de sauter.
_ P'têt qu'on n'a pas le droit ? Ah bin, toi comme œil de lynx, pardon...
_ De quoi ?
_ Non, laisse tomber... T'as raison, il essaie de nous prévenir de sauter... Du coup... dernier saut avant de rentrer ?
_ Ouais carrément, on l'emmerde l'autre là, avec son sifflet à la con.

           De retour sur la plage, le vigile turc vient à notre rencontre, nous faisant signe de ne surtout plus nous aventurer jusqu'au ponton. Pas de problèmes, maintenant que c'est fait !
           Nos vêtements réenfilés, désorientés par l'alcool, l'adrénaline, la musique horrible et le service d'ordre, mon camarade de chambre et moi, nous ne retrouvons plus aucun de nos comparses dans la soirée. Nous décidons donc de prendre une douche, et pourquoi pas d'aller nous coucher. Néanmoins, une fois douchés, nous nous savons tous deux toujours autant saouls, ce qui nous dissuade de nous allonger. Aussi convenons-nous de repartir à la beach-party, pour décuver cette fois, sans oublier de reprendre un verre de vodka pour enfoncer le clou. « Pour être sûrs ! » comme on dit. Nouvelle panoplie de vêtements enfilée, et nous voici de retour à la beach-party, tous beaux, tous pimpants !
           Arrivant à proximité du carré prétendument VIP, nous retrouvons Mike et Théo, eux-mêmes colocataires de circonstances, qui discutent assis sur les marches autour desquelles j'avais précédemment rencontré Franz, le luxembourgeois licencié. Candice et Christina ayant quittées la soirée, Frédéric et moi, nous nous joignons à la discussion de nos amis masculins, profitant de l'occasion pour leur faire partager notre séance de saltos précédente. On se marre ! Et pendant que nous papotons, je déniche deux femmes assises seules sur le transat qui nous fait face... Je me sens on ne peut plus désinhibé, alors sans perdre une seconde, je m'empresse de les accoster. Je les accoste, me présente, discute... Mes potes entrent dans la conversation... Ensemble nous entamons les présentations.

           Ça converse facilement... Les jeunes femmes sont abordables et agréables, ce qui n'est pas négligeable. J'en viens même à me sentir rassuré de rencontrer des filles qui ne se prennent pas le chou dans ce village de vacances où la plupart des demoiselles auxquelles je me suis adressé jusque-là semblent avoir une très haute opinion d'elles-mêmes... S'il me semble qu'elles savent garder les pieds sur terre, c'est peut-être parce que Mélinda et Michaëla sont elles-mêmes animatrices dans l'autre Club de la région... Le fait de ne pas être « dans la pub, dans la finance, dans la com', dans la télé, dans la musique, dans la mode », comme le rape Orelsan, serait-ce un facteur propice à l'humilité ?... En tout cas, les deux jeunes femmes sont bien plus détendues que toutes les filles, qu'intrépide, j'ai pu aborder depuis mon arrivée. Ça fait toute la différence ! Dès lors, mon séjour prend une autre dimension. Surtout que ces demoiselles ont l'air de particulièrement m'apprécier, ce qui n'est pas pour me déplaire. De plus, elles sont clairement mignonnes. Rien à voir avec des caricatures de mannequins dénuées de personnalité, elles ont du caractère. Ces jeunes femmes sont qui plus est, sexys, sans implants ni retouches. Des formes à en faire pâlir Scarlett Johanson ! C'est ce que je crois tout du moins percevoir de mon état alcoolisé.
           Une petite heure de conversation plus tard avec ces deux miracles de simplicité et des italiens, déserteurs opportunistes de la soirée à thème qui touchait petit à petit à son terme, s'imposent dans notre groupe de discussion. Ça m'agace. Moi qui ai tant trimé pour trouver des femmes simples avec lesquelles partager. Et BIM ! Les plus gros dragueurs de la planète viennent nous faire concurrence... D'ailleurs, cela dérange même Frédéric et Théo qui en profitent pour déguerpir et se coucher. Pour ma part, au bout d'un quart d'heure à les supporter, j'en ai tellement marre de ces nouveaux courtisans que je décide de m'éloigner, comme pour signifier un départ imminent et prématuré dans les bras de Morphée...
           Laissant Mike avec les imposteurs et les deux nanas, je m'en vais ruminer dans mon coin, psalmodiant contre un quelconque sort, ne trouvant pas de solution permettant d'éclipser ces boulets d'italiens.
           Je fais des caprices... Je m'en rends compte. Ma sœur dirait que je fais l'enfant... Mais quel est le comportement le plus valorisant à adopter lorsque l'on est confronté à ce genre de situation ? Surtout qu'il me semble avoir déjà fait preuve de beaucoup de patience lorsque j'ai demandé aux ritals de se barrer :

_ Excusez-moi, mais, on était en train de discuter là. Alors si vous vouliez bien nous exc...
_ Ma, t'inquiète pas. On discute un peu et on y va.

           En plus de ça, les deux filles parlent italien... L'une d'elle est même d'origine italienne. Alors évidemment, ça papote... Même si Mélinda (à mon goût la française la plus attirante des deux femmes) tente avec plus ou moins de conviction d'éloigner ces nouveaux prétendants...

           Parti de mon côté donc, je fais le constat de tous les arguments dont j'ai usé pour empêcher les italiens de s'imposer... Le seul qui semblait me rester, c'était la baston... Néanmoins, j'ai beau être ivre, je ne suis plus autant esclave de mes instincts primitifs que j'ai pu l'être étudiant. De mon point de vue, en venir aux mains, c'est pire que d'être malin ! Et puis, sans déconner, c'est aussi aux filles de se décider. C'est soit les relous, soit nous bordel ! Faites vos choix. Vous êtes concernées !
           Quelques minutes après avoir pris un peu de distance avec l'invasion italienne, alors que psychologiquement j'ai jeté l'éponge au regard des évènements précédents, je me dirige vers le couloir menant aux appartements, me projetant mentalement dans le mien ; lorsqu'à côté du bar, Mike et l'une des filles m'interpellent au loin... Sans appréhension, je les rejoins.

           De retour auprès de ceux que j'avais quitté un peu avant, je dresse mon petit bilan :

           Ok, les italiens se sont barrés ! Il n'en reste plus qu'un, qui flirte avec la plus ronde des deux femmes : Michaëla. L'autre fille, Mélinda, discutaille avec Mike, qui lui est fidèle à sa meuf restée à Paris... Donc, normalement, ça ne devrait pas trop mal se négocier cette histoire... D'autant qu'à peine quelques instants après que je les retrouve, Mike part dormir, me laissant le champ libre avec Mélinda, la danseuse brune aux cheveux ondulés, aux yeux verts, et au corps... de danseuse ! Parfait !
           Pourtant pas si parfait, car, pas plus intéressé que ça par les rondeurs de Michaëla, le dernier des italiens finit par s'en aller, laissant cette dernière en compagnie des coussins de son fauteuil en osier...

           Bras dessus, bras dessous, assis, serrés l'un contre l'autre dans notre propre fauteuil en osier deux places, le rapprochement de Mélinda et moi s'interrompt lorsque celle-ci propose à sa collègue isolée de rentrer se coucher... Dire que je n'ai même pas saisi l'occasion de l'embrasser... Toutes deux me promettent toutefois de revenir le lendemain, avant qu'elles ne disparaissent dans la nuit s'éclairant progressivement, après que Mélinda m'ait gratifié d'un baiser sur la joue, ses douces et pulpeuses lèvres appuyées contre l'épaisseur de ma peau typée de descendant d'esclaves.

           Le jour commence à pointer le bout de son nez. À nouveau, je me retrouve seul... En revanche, cette fois, je suis contenté de ma soirée. C'est tout ce qu'il me fallait pour retrouver un minimum d'orgueil et de fierté. Je ne vois rien de désastreux quant au fait de n'avoir embrassé ou même partagé le lit d'aucune fille. Je considère essentiel d'avoir pu profiter de la compagnie d'inconnues de façon bienveillante, sans prétention, avec lesquelles il était possible de discuter en évitant que les choses s'enveniment bêtement. Je m'en sens revigoré. Je sais ne pas avoir besoin de plus d'attention, de respect, d'humanité... Il est désormais l'heure pour moi aussi de me coucher. Dans six heures une autre journée débute. Une journée apparemment pleine de promesses... Mais vais-je m'y fier ?
           Mes paupières me délaissent...« Oui, j'arrive Morphée ! »


L'HOMME ADOLESCENTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant