21h avant l'impasse

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          Mon sommeil est bercé par des rêves de science-fiction ultra-réalistes dans lesquels la tête d'un dieu gigantesque flottant dans le ciel au centre d'une spirale vaporeuse de guimauve violette toute aussi démesurément grande, annonce la fin du monde par l'intermédiaire d'un compte à rebours à cadran numérique : 16 mln 1 s 80 ans 339 jours 8 heures 8 mn 7sec 5 ct. L'aventure présentée dans mes songes matérialise l'état de ma santé mentale. Au summum de ses capacités !

           Mon ventre gargouille. J'ouvre les yeux, il fait grand jour, regarde l'heure, il est dix heures. Je n'ai pas beaucoup dormi et pourtant je me sens reposé. Je contemple Syrine qui dort à mes côtés. Elle arbore un grand sourire sur ses douces lèvres assoupies. Cela me satisfait. Sans nul doute, elle aussi nage en pleine allégresse. Je ferme mes yeux avant de les rouvrir... Cette fois, il est dix heures et demie. Je m'approche alors de l'oreille de ma voisine d'oreiller qui sourit toujours et lui confie mon départ vers la pinède, rajoutant que je la retrouverai après m'être alimenté. Les yeux toujours fermés, les lèvres toujours égayées, mon hôtesse fait bouger sa tête de haut en bas en signe d'approbation. Conséquemment, je me lève et m'en retourne à ma chambre retrouver mes acolytes pour honorer notre avant dernier petit-déjeuner au Club.

           Tout juste arrivé à ma chambre j'intercepte Frédéric qui se lève à peine. Encore un peu étourdi, celui-ci me demande comment s'est passée ma nuit. Arborant un grand sourire légèrement timide, je lui réponds qu'elle s'est très bien passée. La brièveté de ma réponse lui suffit... Et heureusement car, lors de mes seize ans, à l'âge où la sexualité se découvre et où l'on est susceptible de tout divulguer, après avoir été dépucelé par une très jolie lycéenne qui fréquentait l'établissement scolaire de ceux que je pensais être mes amis mirandais, certains, discrètement jaloux de ma réussite et toujours puceaux, m'avaient étouffés de questions indiscrètes que j'avais rechigné à étancher, bien que je le fis pour me soulager de la pression qu'ils m'infligèrent. Informations qui, malgré mes intentions, participèrent à ternir la réputation de la jeune fille dans son établissement. Car, envieux de mon succès, quelques-uns s'amusèrent à rabaisser ma bienfaitrice en lui vomissant des réflexions racistes, elle qui était uniquement coupable de sa sensibilité. « Goulou goulou dans la case » qu'ils lui répétaient chaque jour, de sorte à l'humilier, à une fréquence que j'ai su être soutenue quelques temps plus tard : « Goulou goulou dans la case »... Bande de dégénérés congénitaux ! Dîtes-vous bien que ma leçon je l'ai apprise avec d'autant plus d'intensité que j'ai été sujet à plusieurs autres trahisons du genre depuis, et qu'ainsi jamais plus je ne ferais autant confiance aux hommes qu'à l'époque de mon innocence. Car, si les femmes sont caricaturées sous les traits d'une indécision qui ne leur est pas nécessairement exclusive, les hommes sont des créatures vulgairement dominatrices, égoïstes, jalouses, perfides, malfaisantes et haïssables. De vraies saloperies dont je me méfie depuis à chaque instant. Abondants sont les hypocrites. Nous en sommes tous !... En ce qui concerne Frédéric, il use parfois de mots cinglants, la concision de sa répartie fait souvent mouche, mais je n'ai jamais véritablement été témoin du salaud qui est en lui... Pour le moment...
           Nonobstant l'utilité de cet aparté, mon pote bassiste et moi nous nous dirigeons tous deux vers la pinède une fois ce dernier préparé et mieux éveillé.

           Au restaurant, nous retrouvons tous nos semblables. Chacun résume comment la soirée de la veille a été vécue et chacun d'entre nous avoue chacun son tour éprouver un minimum d'appréhension à l'idée de partir le lendemain ; que cette appréhension soit relative au confort ou encore au futur mal de l'air redouté par certains(es) :

_ Bon, sinon, demain c'est le départ.
_ Ouaip.
_ Finie la bouffe à volonté.
_ Et gratuite !
_ Et gratuite, c'est vrai. C'est un atout sans équivalent.
_ J'me suis rarement autant goinfré j'crois.
_ Terminé le beau temps.
_ Fini l'alcool à toutes heures de la journée...
_ N'est-ce pas, bande d'alcooliques ?!
_ J'vois pas de qui tu parles...
_ Ouais ouais...
_ Terminée la natation sans limitation d'horaires.
_ C'est pas comme si on était des nageurs expérimentés non plus...
_ C'est quoi cette réflexion ? On s'en branle ! Se baigner c'est cool, PUTAIN !
_ Non mais ça va pas ?!
_ C'est clair, c'est presque un luxe.
_ Pourquoi il s'énerve ?
_ Ah ah ah, l'taré !
_ Les cigales vont me manquer perso.
_ Clairement... La nature ça défonce !
_ Moi, c'est le tir à l'arc...
_ Grave, c'est trop fun le tir à l'arc. J'me demande si y'a possibilité d'en faire à Paris.
_ Évidemment qu'il doit y avoir possibilité d'en faire, à condition d'y mettre le prix j'pense.
_ Y'a tellement pas de transaction d'argent ici qu'on en oublierait presque que ça existe.
_ Et pourtant...
_ Perso, j'aimais bien me réveiller et voir plein d'bonnasses en maillot de bain. Ça aiguayait mes journées !
_ Ça ne m'étonne pas de toi.
_ Tu peux parler toi, toujours en lunettes de soleil pour pouvoir matter salement sans te faire choper. Au moins, moi, je l'affirme. Je le revendique même !
_ Ah ah !
_ En ce qui me concerne, hormis le fait de danser toutes les nuits, et mis à part le trajet en avion de demain, j'suis quand même contente de rentrer.
_ Putain ouais, on s'est bien défoulés.
_ Carrément ! Mais c'est pas fini, il nous reste cette nuit.
_ Mmm... Finalement une semaine c'est largement suffisant.
_ J'aurais pas pu supporter l'atmosphère du Club une semaine supplémentaire.
_ Bin... Non, moi non plus. Trop superficiel comme endroit !
_ Disons que... c'est quand même relaxant... Mais la population, bof quoi. Ils passent leur temps à s'exposer les gens d'ici. Et pas dans le bon sens du terme.
_ Y'a beaucoup de beaufs ouais. En même temps vous étiez prévenus.
_ J'sais pas moi. J'dirais pas qu'ils sont beaufs, ils sont juste dans un délire chelou de superficialité...
_ C'est des caricatures de jet-setters en fait.
_ Oui, on peut le voir comme ça.
_ Après, c'est facile de juger mais établir des conclusions sur les rares échantillons qu'on a récoltés c'est trop arbitraire j'pense...
_ Ouais, 'fin... Quand t'es témoin de gens qui te lancent des regards de dédain et qui te parlent mal juste parce que t'es zicos...
_ Qui a fait ça ?
_ J'sais pas, une connasse de G.O. quand on est arrivé au Club... Qui a demandé à Brad s'il était musicien et qui lui a répondu « ça se voit » de façon trop méprisante quand il lui a demandé comment elle avait deviné.
_ C'était une meuf c'est ça ?
_ Ouais.
_ C'est normal, elle a pas senti l'argent.
_ T'as pas fini de dire des conneries toi ?
_ Non mais j'voulais dire que les meufs d'ici sont particulièrement vénales.
_ En dehors d'ici, elles sont toutes vertueuses, évidemment...
_ N'importe quoi.
_ Éh Éh !
_ En tout cas ça confirme qu'il y'a pas mal d'ignorants qui estiment suffisant de juger sur l'apparence.
_ Des beaufs quoi !
_ Comme nous finalement ! Parce qu'on est complètement en train de faire la même chose là !
_ Attends, ce serait nous les gros cons du coup ?
_ Non mais ça c'est certain.
_ Ah ah ah !
_ Moi j'ai remarqué que, passé un certain âge, les gens sont en majorité plus réceptifs à la diversité. Ils se prennent moins au sérieux que certains autres, plus jeunes ou moins matures, j'sais pas trop comment les qualifier...
_ C'est pas une vérité absolue non plus...
_ Évidemment. Mais j'ai discuté avec beaucoup d'inconnus durant la semaine. Et d'après ce que j'ai remarqué, passé la quarantaine, les gens sont en majorité plus sympas. Moins hautains, moins arrogants, moins cons, j'sais pas...
_ Pourtant moi, hier, j'ai entendu un couple de vieux bourgeois manquer de respect à des G.O. qui transportaient leurs valises, sans aucune raison... Comme si les animateurs étaient de simples laquais aux ordres de leurs maîtres les clients !
_ Ah d'accord ! Bin ouais, y'a toujours des exceptions...
_ C'est tellement débile comme comportement. On est tous humains, bordel ! Ça sert à rien de s'la péter. M'énerve ça !
_ Oui, moi aussi ça me fait péter un plomb.
_ Mais c'est vrai qu'en général, l'ambiance est quand même assez... étrange.
_ Serrée j'dirais, très très serrée...
_ Ah ah ah !
_ Mais qu'est-ce que tu racontes toi ?
_ Qu'il est con.
_ Une ambiance serrée ? En plus ça veut rien dire.
_ T'y connais rien en ambiance serrée toi, pourquoi tu parles ?
_ OOOoooh !
_ Vous êtes des gamins.
_ Ah ah ah !!
_ Pour en revenir à ce que tu disais, je préciserai que, l'ambiance est assez désagréable, c'est vrai, mais seulement lors des activités de groupe, le reste, c'est la clientèle qui le produit. Sinon, en faisant nos vies comme on l'entend, c'est tout de même assez relax comme lieu de vacances.
_ J'suis d'accord avec ça.
_ Pareil.
_ Ouais, moi aussi.
_ Surtout que c'est tout frais payés.
_ C'est vrai que sur ce point, on n'a pas trop à se plaindre.
_ Surtout Jarod.
_ Tout à fait ! D'ailleurs, merci encore de m'avoir accepté parmi vous. C'était très généreux de vos parts.
_ T'en fais pas, ça nous a fait plaisir.
_ Et puis, t'es le seul d'entre nous à avoir chopé.
_ C'est clair, tu remontes le niveau.
_ Et tu vas la revoir ?
_ J'espère...

L'HOMME ADOLESCENTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant