Retour vers le passé

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          Sur l'île de la Réunion, l'espiègle et insouciante Marie s'était développée difficilement. Sa famille l'avait rejetée car elle était la plus désirable et charmeuse de ses trois sœurs, attirant davantage d'attention masculine que sa mère, qui la méprisait pour diverses raisons supplémentaires. Certains de ses frères l'humiliaient et la maltraitaient par mimétisme maternel, elle qui, du haut de sa condition de jeune femme réunionnaise, cadette de surcroît, ne pouvait répondre en rien, ne savait répondre en rien... Quant au père de celle-ci, descendant d'esclaves, héritier d'une longue lignée de machistes irresponsables, celui-ci s'étant allègrement acquitté de ses responsabilités paternelles, forniquait en tous points cardinaux de l'île dans l'indifférence la plus totale du poids de ses responsabilités d'être humain. C'est cependant l'abandon de son fugace amour à la naissance de leur fils, l'infortuné petit Jarod, qui décida Marie à partir s'installer en métropole, terre qu'elle pensait d'accueil. J'avais à peine deux ans, elle en avait vingt-trois.

          Six ans plus tard, en métropole, nous vivions à Montesquiou - petit village de campagne perdu dans le Gers - quand ma mère épousa Aguard, un authentique gersois, de cinq ans son aîné, aux oreilles décollées et au crâne dégarni. Je venais d'être promu au statut de grand frère et avait accueilli l'arrivée de ma demi-sœur - toujours considérée comme ma sœur - comme un croyant accueille sa bénédiction. À huit ans déjà, j'avais tellement éprouvé l'habitude de me sentir réprimé par ma "belle"-famille pour des raisons que je ne parvenais pas à identifier - tellement mon comportement envers eux était pratiquement irréprochable -, qu'ainsi j'avais espéré naïvement, par la venue au monde de ma sœur, qu'un véritable lien de sang calmerait la répression manifeste de la famille de mon beau-père à mon égard. Il n'en fût rien. Ce fût pire !
          Dans mon état antérieur de fils unique, mon beau-père et sa famille m'interdisaient beaucoup dans leur campagne : d'aller sans permission dans la grange renfermant tout un tas de matériel agricole, de grimper sur les bottes de foin qui s'empilaient en stock dans l'entrepôt artisanal, d'emprunter les instruments de pêche, d'utiliser marteaux, clous, étau et autres outils, de fouiller dans des affaires laissées à l'abandon dans le grenier. Et lorsque, par curiosité, ma pureté enfreignait quelques-unes des règles qui m'étaient imposées, il m'était reproché tout ce qu'il était possible de reprocher à un enfant. Mon existence même était source de mécontentement, je le sentais, innocent ; du moins je parvenais à l'interpréter. De plus, mon beau-père me traitait d'"idiot" après m'avoir crié dessus, les yeux exorbités de colère dès que l'enfant intimidé que j'étais ne comprenait pas les consignes de ses leçons. Aguard, du haut de sa redoutable patience et de son exceptionnelle mansuétude m'appelait "gros noir" continuellement ; mon physique étant pourtant déterminé à demeurer svelte. Complexé de l'instruction épanouissante prodiguée par mon beau-père, mon potentiel s'amenuisait. À part Marie, ma mère, qui faisait de son mieux pour m'enseigner les quelques notions de survie qu'elle avait glanées à ses dépends, rien ne me fût expliqué, je demeurais ignorant. Qu'il s'agisse de comprendre pourquoi telles ou telles choses m'étaient refusées, ou connaître quelques anecdotes relatives à l'expérience de vie de mes bourreaux, mes questions furent surtout laissées sans réponses. Il aurait mieux fallu que je ne naisse pas tant il ne m'était rien appris. Pourtant j'étais là, bien vivant. Et ma mère, dont il plaisait à me rappeler qu'elle était la cause de ma venue au monde, m'aimait, elle, indéniablement. Malgré moi, je devais donc subir les évènements quitte à ce que le replie caractérise mon quotidien. La situation était incompréhensible tellement elle était traumatisante d'illogismes. Ma mère aurait pu, sinon nous prévenir de cette mésaventure, au moins nous en sauver. C'était sans compter sur la crédulité, le manque d'éducation et d'esprit critique de cette dernière, qui, comme sympathisant en faveur du syndrome de Stockholm, l'influencèrent à subir les évènements plutôt qu'à les empêcher. Inexplicablement nous subissions la fatalité. Il était trop tard ! Ce fût l'un de mes enseignements.

L'HOMME ADOLESCENTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant