Mélancolie relativiste

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          Quatre jours que je n'ai pas de nouvelles de Syrine. Toutes les heures je vérifie mon portable espérant recevoir son appel ou au moins un message officialisant une sorte de rupture raisonnable. J'aime officialiser les fractures, c'est comme ça. Que les relations aient été de courte ou de longue durée... Je déteste ne pas savoir... Patauger dans l'indécision me rend nerveux. Et je fais des conneries quand je suis nerveux. J'harcèle, je m'emporte, j'insulte... Je pète les plombs !
           Finalement, je me fais à l'idée. Je me dis que Syrine et son copain ont dû se rabibocher. Que celle qui me plaisait a tiré un trait sur moi... Ce n'est pas ce qui va améliorer mon moral... Il me faut faire le deuil de cette semaine de vacances sinon je vais devenir fou. Si je n'enterre pas Syrine dans les plus brefs délais, son fantôme risque de me hanter.
J'ai beau le savoir, me le dire, me le répéter, je lui renvoie un message, c'est plus fort que moi :

           Moi : Tout va bien Syrine ?
envoyé le 17/08 à 0h23

          
Auquel elle ne répond pas.

           Moi : Sympa de m'ignorer.
envoyé le 17/08 à 13h33

          
Toujours aucune réponse !

           Moi : C'est chiant là. J'vais pas t'harceler j'veux juste savoir pourquoi tu réponds pas ? Dis-moi simplement comment tu vas.
envoyé le 19/08 à 22h06

           Syrine : Désolé Jarod j'ai tout dit à mon mec donc il ne me lâche plus. T'es quelqu'un de bien, n'en doute pas.
reçu le 20/08 à 6h35

           Moi : Pas encore assez bien on dirait. Il semblerait que mes atouts ne soient pas suffisants pour faire la différence. J'suis dèg. C'est pas dans mes habitudes ce que je m'apprête à écrire, mais si jamais un jour t'en a marre de ton mec je serais ravi de te revoir. D'ici là, j'vais faire de mon mieux pour m'enrichir parce qu'apparemment c'est essentiel.
envoyé le 20/08 à 21h49

           Suivant cette dernière correspondance, je n'aurai plus de nouvelles de Syrine et ne la reverrai plus jamais. En revanche, l'attachement affectif étant une drogue à laquelle je suis très sensible, après une semaine entière passée à mijoter seul enfermé chez moi, je me devais de me sevrer. J'ai donc attrapé mon sac, y ai fourré mon ordi, un caleçon propre, du dentifrice, ma brosse à dents. J'ai enfilé mes chaussures, fait mes lacets. J'ai chopé les clefs de l'appartement de mon pote Alexandre résidant à Villejuif, parti s'éclater en Suède le temps de l'été. J'ai fermé la porte de mon appart à clef, pour finalement me rendre chez mon ami afin de rédiger la plupart de cette épopée.
           Paris étant très animée, m'enfermer dans une forteresse de solitude m'étais nécessaire pour éviter de craquer. J'avais besoin de calme pour retrouver un semblant de sérénité. Parce que la désillusion que je venais de subir, ajoutée au fourmillement citadin incessant, me donnait envie de changer de vie à chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chaque instant.
J'étais prêt à tout envisager pour reconquérir cette fille, les idées les plus absurdes en tête. Dans l'état de bouillonnement dans lequel j'étais, j'aurais renié mes convictions les plus profondes pour qu'elle m'accepte... C'était insensé !
           Ainsi, deux jours après avoir pris ma retraite chez mon ami parti en expédition, une fois décrit tout ce dont je me souvenais de ces vacances, alors que je me demandais quels facteurs nous avaient séparés Syrine et moi, deux d'entre eux me paraissaient évidents :

_ Son copain.
_ Et ses considérations socio-économiques.

           Entre nous, je n'étais pas certain que son copain fasse le poids. Non pas forcément face à moi, mais surtout face aux attentes matérielles de mon amante... Car son mec avait beau être dealer, et moi un honnête homme, seul le confort tant prôné par le consumérisme semblait satisfaire mon éphémère dulcinée.
Depuis longtemps j'essaie de m'en faire une raison, car c'est ainsi avec la grande majorité des filles qui m'attirent : elles ont l'ambition du statut social et du confort en corrélation, tandis que je souscris davantage à l'unisson...

           En parallèle, je fréquente des filles qui me plaisent... un peu, pas assez. Des filles avec lesquelles je m'entends super bien quand elles acceptent de mettre leurs aprioris de côté. Des filles avec lesquelles je peux m'exprimer librement parce qu'elles savent écouter. Des filles qui ne me donnent pas l'impression de voguer seul dans mon univers. Des filles intéressantes en plus d'être intéressées, par moi, par ma personnalité. Des filles qui partagent mes convictions humanistes, déterminées à lutter contre les ravages psychologiques ou encore écologiques provoqués par l'humain. Des filles désirant lutter contre le consumérisme, la déforestation, l'extinction des espèces animales... Des filles biens, bien que je les trouve un poil trop ceci ou trop cela. Des ex-petites amies, avec lesquelles nous avons partagés le lit. D'ex-amantes, avec lesquelles j'aime coucher, pas m'engager. Des filles à qui je pourrais briser les cœurs si jamais j'osais m'infiltrer à nouveau sous leurs draps. Des filles que j'estime, mais qu'au final j'aurais l'impression d'utiliser si de nouvelles relations extra-amicales se formaient. Bref, en parallèle je fréquente de jeunes femmes qui me scieraient parfaitement si je ne leur trouvais pas pour seuls manques le fait de ne pas correspondre aux critères anthropométriques qui pourraient me compléter...
           Avec du recul, je me dis que la situation devait être approximativement similaire pour Syrine. Pour une raison ou pour une autre, je ne correspondais tout simplement pas à ses critères... Et même si ce n'est pas évident à admettre, pour moi qui ne comprends pas ce que l'on pourrait me reprocher, je me dois d'accepter ne pas avoir été à la hauteur des exigences de ma rencontre. Que ces exigences aient été physiques, sexuelles, ethniques, sociales, professionnelles, culturelles, économiques, matérielles, et j'en passe... Parce que des exigences, j'en ai aussi. La barmaid et escort parisienne correspondait vraisemblablement aux miennes, infortunément ce n'était pas mon cas... Ceci dit, que l'argent soit le fruit de notre séparation fût l'élément le plus difficile à digérer...
           Cet argent, fierté prétentieuse de mon beau-père. Lui, le paysan sans diplômes, devenu directeur d'agence, motivé par l'objectif que représentait la conquête de ma Maman. Cet argent, dont ma mère a toujours cruellement manqué. Cet argent, transformé en contrepartie implicite justifiant leur union. Cet argent, proposé comme compensation des pires boniments, des pires attitudes. Cet argent, dont j'ai été témoin, à mon niveau, des limites et des abus. Un bien matériel dont j'ai dû me détacher. Pour ne pas accumuler les dettes envers Aguard. Pour ne pas lui fournir d'excuses cautionnant son comportement aberrant !
           Cependant, je me souvenais qu'en écoutant Syrine parler, j'avais la sensation qu'une profonde tristesse se terrait en elle... J'avais beau être le plus pauvre des deux, elle m'attendrissait. J'avais envie de prendre soin d'elle, j'avais envie de la réconforter, de lui faire découvrir un univers authentique auquel elle n'était pas habituée. J'avais envie de la rendre heureuse...
Mais où avais-je la tête, embourbé dans mes tourments ?

           Pour autant, que mes indignations soient contextuellement légitimes ou non, une situation confortable en poche aurait suffi à ce que ma personnalité séduise définitivement Syrine... C'est de cela dont il s'agit et c'est donc à cela qu'il me faut m'atteler ! Coûte que coûte, il me faut me donner les moyens de mes ambitions, dans l'expectative d'une rencontre fructueuse. Toutefois, l'anéantissement de mon apprentissage élémentaire provoqué par l'obscurantisme pratiqué dans mon microcosme familial a rendu la tâche quasiment insurmontable. Mon enfance ayant été saccagée, je n'ai fâcheusement pas assimilé les bases d'ingestion de connaissances dans d'épanouissantes conditions comme j'ai cru comprendre que cela avait pu être le cas de la plupart des gens que je fréquente ou ai pu fréquenter. J'ai encore tellement de choses à apprendre par moi-même... J'ai encore tellement d'échelons à gravir, tellement d'épreuves auxquelles me mesurer. Indéniablement, j'en veux aux négligences éducatives que j'ai accusées.
           En revanche, en m'en tenant à mon expérience et notamment à l'aventure que je viens d'éprouver, après tout ce que j'ai enduré comme fardeaux, j'aurais pu incarner un führer haïssant. Haïr le monde et lui reprocher tous mes malheurs aurait été tellement plus naturel en terme de posture, définitivement plus dégradant en terme de statut. Toutefois, selon les conditions énoncées précédemment, quel intérêt d'être gouverné par les mêmes attitudes indomptées, héritées de ma mère, de mon beau-père, qui m'auraient valu une vie sensiblement équivalente aux leurs : inconsciente ? Quel intérêt de demeurer naïf envers mon inadaptation ? Quel intérêt de me détourner du questionnement de mes besoins rationnels primordiaux ? Quel intérêt de subsister insouciant des répercussions de mes actes ? Quel intérêt d'adhérer aux préjugés sans les avoir confrontés ? Quel est l'intérêt d'exercer un rapport de force lorsque me montrer à la hauteur de mon humanité est plus gratifiant que succomber à mes pulsions ? Quelle nécessité j'aurais à éprouver une xénophobie sociale dans un monde qui se veut de plus en plus connecté, et donc, je le souhaite, en partage in fine ? Quel serait mon intérêt de cautionner des comportements sauvages, grégaires, agressifs et possiblement traumatisants à l'ère de l'avènement du « big picture », de la perspective universelle ? Quel intérêt j'aurais de m'apitoyer sur mon sort alors que j'ai encore tant de choses à faire dans un temps toujours plus limité ? Quels seraient mes intérêts de faire subir aux autres les déraisons de mes humeurs, de mes peurs, de mes pathologies alors qu'il est de notoriété publique depuis des siècles qu'il est bien plus avisé de prévenir que de guérir ? Quel est l'intérêt de mes souffrances ? Si ce n'est d'apprendre à ne plus en subir les tragédies ? Suis-je véritablement voué à perpétuellement tout répéter ? Ou est-ce que je bénéficie de la capacité d'apprendre et de progresser ?
           Il est temps pour moi de faire le pari du progrès, d'utiliser à bon escient mes vingt dernières années d'échecs afin d'en faire une force, afin de mettre à profit ces années de bases solides sur lesquelles s'est construite une personnalité désormais plus inébranlable et déterminée que jamais. Il est temps pour moi d'utiliser toutes mes galères d'apprentissage comme diplôme de la réussite que je voudrais incarner. Il est temps pour moi de me mettre véritablement au travail sans plus tarder car, même handicapé d'une existence de retard, je suis toujours sur pied. Il est désormais temps de mettre en pratique ce que j'ai assimilé du monde, de l'existence, des rapports humains. Il est temps de mettre à contribution l'entièreté de mon expérience. Il est temps pour moi d'aller de l'avant. Et pourquoi pas, devenir adulte ?


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⏰ Dernière mise à jour : Mar 13, 2018 ⏰

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L'HOMME ADOLESCENTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant