l'addition NG

én

Deux jours plus tard.

Je repense, alors que je suis assis à mon guichet, au discours du jeune homme survenu il y a deux jours dans ma vie.

Il m'a demandé conseil.

Un conseil sur sa vie amoureuse.

Ils sont sûrement passés à autre chose; le noiraud lui a fait sa demande dans un autre restaurant, avec un autre dessert. Au chocolat j'imagine. Tout le monde aime le chocolat. Il ne se soucie plus de savoir si c'est une erreur. Ils sont déjà heureux.

Mais bizarrement, moi je m'en souci. C'était la première fois que je voyais quelqu'un aussi peu sûr de lui, désorienté, plus que chamboulé.

Je pousse la légère poussière du bout de mon doigt et soupire. Je me trompe sûrement.

J'entends un toussotement et relève le nez de mes pensées.

« Nous avons commandé, hm.. vous savez. »

Je souris poliment.

« Bien sûr. Veuillez me suivre. »

Je les installe à leur table, leur tend les menus, m'incline puis repars à mes pensées.

J'entends de nouveau un toussotement. Je lève les yeux seulement, et lorsque je l'aperçois, me redresse sur mon grand tabouret.

« Vous travaillez ici tous les soirs ?

_ Oui. »

Je rougis sans le vouloir.

« C'est sympa ? Vous vous y plaisez ? »

Je me racle la gorge, celle-ci étant comme enrayée n'ayant pas parlé depuis plusieurs minutes.

« Je.. Oui, je m'y plaîs. »

Il sourit doucement, comme amusé de ma réponse.

« Je n'ai pas réservé. Vous avez des tables de libre ? »

Je regarde la salle, par réflexe, or que je connais déjà la réponse.

« Toujours le mardi soir. »

Il sourit et met ses mains dans ses poches. Il est habillé d'un jean, d'un tee-shirt simple noir et ses cheveux ont toujours cette ondulation délicieuse. Il semble regarder sa tenue et lève un regard mixant l'inquiétude et l'indifférence.

« Je ne me suis pas habillé classe cette fois. Je me suis dit que peut-être c'était ça qui allait pas. C'était trop. Les vêtements, le resto, le coin tranquil.. C'est mieux là, non ? »

Je profite de sa question pour le regarder de nouveau sans culpabiliser. De haut en bas. Je ne devrais pas regarder un client comme je le fais là mais le fait quand même, me disant que s'il y arrive ce soir, je ne le verrai peut-être plus.

« Je vous embête.. désolé. »

Je souris doucement.

« Pas du tout. C'est très bien aussi comme ça. »

Il me regarde, avec comme l'espoir que je continue.

« Parfois quand on en fait trop, on se rajoute un stresse et ça finit par euh.. capoter. »

Il sourit à son tour et je sens comme de la gratitude dans son regard.

Je vois alors son petit ami, ou fiancé, franchir le pas de la porte d'entrée. Il le rejoint légèrement en courant et sourit.

« Baby t'avais encore réservé ? »

Yoongi, je présume que c'est son vrai prénom, se tourne vers lui et sourit.

« Non, mais il y a de la place. »

Ils sourient alors tous les deux. Et je devine que c'est à mon tour de jouer.

Je les conduis à une table « à la vue de tous », devinant que le noiraud désire l'inverse de sa dernière soirée.

Je les y installe, prononce les deux phrases habituelles, et m'en vais.

« Alors ? »

Je demande curieux.

« J'ai pas osé. Je sais pas si j'y arriverai un jour. J'ai peur qu'il soit trop tard et qu'il finisse par partir, mais j'ai aussi peur qu'il soit trop tôt et qu'on se rendent compte finalement qu'on ne s'aime pas. »

Je prends sa carte de crédit et la glisse dans l'appareil.

« Il vous faut peut-être un peu plus de temps, pour réfléchir. »

Il réitère son éternel sourire amusé, s'accompagnant de son regard dans le vide.

« Si vous le dites. Après tout, vous connaissez vos clients. »

Mon cœur fait un bon.

Mes clients ? Il compte revenir une nouvelle fois ? Il compte devenir mon client ? Lequel ? Celui du mardi ? Du mercredi ? Ou encore du samedi ? L'idée m'attriste mais je la chasse rapidement pour pouvoir garder mon sérieux.

Il prend alors sa carte, et regarde la sortie.

« Pourquoi être revenu ici ? »

Il tourne son visage vers moi, avec un air d'incompréhension.

« Pourquoi pas ? »

Je me réinstalle sur mon grand tabouret et me racle la gorge.

« Les gens viennent ici par habitude. Je vois rarement de nouvelles têtes revenir. Vous devez venir de loin, parce que je ne vous avez jamais vu avant. Alors je me demandais pourquoi. Je suis désolé, c'était indiscret.

_ Non. Non, pas du tout. En vérité on vient d'emménager dans la ville et le resto avait l'air sympa.

_ Oh oui je vois. »

Je baisse le regard vers ma liste de réservation. Pour rien, uniquement pour éviter le sien.

« Je vais y aller. Il va m'attendre. »

Je souris alors.

« Bien sûr. Au plaisir de vous revoir. »

Il s'écarte alors.

« De même. »

Et quitte le restaurant.