Chapitre 1

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Joanna

Rah ! Mais il est où ce foutu arrêt ?

Je tourne, je fais quelques pas, tourne encore et encore, reviens en arrière... Une vraie girouette ! Quelle idée de partir pour son premier jour de travail sans avoir au préalable noté de plan ? C'est tout moi ça ! Maman me le dit souvent «T'es tête en l'air ma Jojo !».

Ha ! C'est bon, le voilà ! Je m'engouffre dans le tunnel et cours comme une folle. Vive les baskets ! Pas très glamour, mais c'est bien pratique. La trame ! Je fonce, bouscule, manque de faire tombé mémé puis bondit comme un chat dans la fente des portes automatiques. À la différence qu'un chat est plus gracieux. Mon atterrissage ressemble plus à celui d'une poule dans une basse cour.

Je souffle et regarde ma montre. Il me reste vingt minutes. Il me faut à nouveau jouer des coudes pour descendre lorsque mon arrêt arrive.

Marchant dans le couloir, j'aperçois mon reflet dans la glace. C'est une CA-TAS-TROPHE !

— Non, non !

Mon chignon ne ressemble plus qu'à une masse informe, je sus à grosses gouttes, mes lunettes sont de travers, mon maquillage, n'en parlons pas ! Même le Joker dans Batman à meilleure allure !

Résignée, je sors de la bouche de métro. New York est déjà bien réveillé. La circulation dense s'accompagne de quelques coups de klaxon. Je marche quelques instants et arrive enfin devant la tour de la Carter Corporation.

— Une nouvelle vie commence ma belle !

Je souris. Pourtant dans ce sourire se cache de l'inquiétude. Vais-je être à la hauteur de ce que l'on me demande, moi qui n'est jamais eu confiance en moi ? Ce poste pour lequel je me suis tant battue, est-il réellement pour moi ?

Lorsque je me suis rendue ici, dans cette jungle urbaine, j'espérai sincèrement changer, être plus sure. Cette tour de verre me rappelle que je suis loin du compte et qu'il me faudra faire un gros effort.

Cela fait à peine quelques semaines que je suis là et que ma Bretagne chérie me manque cruellement. La mer, les mouettes, les embruns qui glissent sur ma peau... Cet air salin tellement unique ! Ici, les tours sont si grandes, que j'étouffe ! Je baisse la tête. Tel était le prix à payer pour tout recommencer et oublier. Oublier... Oui... C'est le mot qui me revient le plus.

Je me souviens tout à coup d'un ami que j'ai laissé en France. Max a été la seule et unique personne sur qui j'ai pu compter en dehors de ma famille. Mon seul soutien.

«Imagine que ce que tu as devant toi, c'est un boss super furax ! Jet de dés, récap' des compétences et en avant ! Et si tu as un emmerdeur qui t'impressionne, imagine-le sur le trône.»

Je glousse comme une pintade. Allez ! Du courage ! Jusqu'à ce que ma mémoire me remette à l'ordre. Je ne suis pas présentable. Tant pis, je me rendrai aux toilettes avant de monter dans mon bureau.

En entrant dans la tour, je me fige. C'est immense !

— Oh bordel... soufflé-je.

Mes yeux s'attardent sur tout, les gens, leur costume, leurs allées et venues, l'allée, les murs. Bienvenue dans la cinquième dimension au-dessus de la stratosphère de Vénus. Je me ressaisis.

À l'accueil, une jolie blonde termine son appel. Son regard de jade se pose sur moi. Je m'attends à un sourire ironique, presque méchant. Elle aurait tous les droits de rire. Je suis surprise de constater que je ne vois que de la pitié et une singulière compassion féminine.

— Bonjour... heu...

Je lis négligemment son badge.

— Lisa ! Bonjour Lisa ! Je commence aujourd'hui au service communication avec un certain...

Bordel, mais quelle cruche ! J'ai oublié le nom de mon manager. Bravo Joanna ! Tu commences bien ta journée. Je cherche dans ma pochette.

— Monsieur Gabriel Simons ? me devance-t-elle.

— Oui ! C'est... c'est lui.

Elle me sourit gentiment. Lisa repose son oreillette et contourne le comptoir pour venir à ma rencontre.

— Suivez-moi. Je suppose que vous souhaitez passer aux toilettes ?

— Comment avez-vous deviné ?

Elle pointe du doigt mon accoutrement.

— Si cela ne vous dérange pas, confirmé-je. Mon réveil n'a pas sonné et j'ai été obligée de courir, je me suis paumée dans le métro...

Elle glousse.

— Première journée de travail à New York ?

C'est peu dire ! En fait, je ne me suis pas du tout organisée.

— Hum... Oui. Cela se voit tant que ça ? grimacé-je.

— Sans vouloir vous vexer, un peu.

Nous prenons l'ascenseur, direction le 42ème étage. Elle m'accompagne ensuite aux toilettes. Je refais mon maquillage, remets du déodorant et enfile les instruments de torture qui me suivront, je pense, toute ma carrière : mes escarpins. Je me suis entraînée chaque jour à marcher avec. Je suis assez contente du résultat. Je ne me dandine plus comme un cow-boy.

— C'est mieux ? demandé-je anxieuse.

— C'est parfait ! Une vraie working-girl ! Suivez-moi. Je vous montre votre poste.

Elle me conduit à un box dont la seule décoration se résume à un ordinateur dernier cri. Et quelques plaquettes de présentation de l'entreprise.

Je relève mes lunettes noires avec mon majeur et prends un feuillet. Soudain, une masse s'assoit sur la chaise voisine avec le ronflement d'un gros ours mal léché. Je relève les yeux vers un homme tout droit sorti d'une pub pour un parfum de luxe. Il a posé son casque de motard sur son bureau en désordre tandis que son café chaud fume comme une cheminée.

Je le détaille un peu. Le seul mot qui me vient à l'esprit c'est : une armoire à glace. C'est ça. C'est une énorme armoire à glace avec des mains qui font trois les miennes. Je croise soudain ses prunelles amusées. Il me fait un sourire en coin. Je me tends comme une corde.

— Alors c'est toi ma nouvelle collègue ?

— Oui, c'est elle ! confirme Lisa. Je vous laisse Matt.

— À plus Lisa !

Elle nous quitte sans un regard en arrière. J'aurais tellement aimé qu'elle reste.

Le paladin aux émeraudesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant