Chapitre 2

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Joanna

Le ton matois de mon nouveau collègue ne présage rien de bon. Je n'aime pas ça. Je me rembrunis. Je me prépare à une pique acerbe, une réflexion qui me mettra KO. Je retiens mon souffle.

— J'suis Matt Ortega, me dit-il avec chaleur en tendant la main.

Je bégaye un instant, déstabilisée. A-t-il pris cela pour de la timidité ? Sans le moindre doute. Je me ressaisis.

— Joanna Kervarec, enchanté !

— Hum... fit-il en se maintenant le menton. T'as un accent, mais je n'vois pas lequel.

— Je suis française.

— Française, donc... élude-t-il. Je suis sûr qu'on va bien s'entendre !

Je hoche la tête, intimidée. Je m'assois à mon poste et il me rejoint. Je sens une légère odeur de cannelle. C'est agréable.

— Je vais être ton instructeur en chef durant les jours qui suivent, m'explique-t-il. J'espère que tu as une bonne mémoire parce que c'est super dense ! N'hésite surtout pas à m'arrêter si tu as besoin.

À la fin de matinée, mon cerveau est en ébullition, en zone de tsunami imminent, au bord de l'éruption. Ma tête ressemble à une cocotte minute prête à exploser. Ce qui m'enrage, c'est que je n'ai rien retenu des explications de Matt. Rien du tout ! Et je dois être opérationnelle demain...

Il s'étire en faisant craquer ses coudes et ses genoux. Il baille à s'en décrocher la mâchoire.

— Je te propose qu'on aille se mettre un truc dans l'bide. Le camion de Bob est pas mal.

Je souffle et rentre la tête dans le creux de mes bras.

— Si je te dis que je n'ai rien retenu, tu m'en veux ?

Il éclate de rire.

— Non, du tout ! C'est normal. Il y a tellement de choses à savoir sur cette boite. Ne t'en fais donc pas. Cela va venir. On a bossé depuis ce matin sans prendre de pause. Je pense que cela joue beaucoup.

Je lui souris. C'est agréable de ne pas se faire enguirlander comme un rien parce qu'on ne comprend pas du premier coup. Ma dernière expérience professionnelle a été un cauchemar. Le personnel était vu comme du bétail numéroté. L'entreprise a d'ailleurs été épinglée pour harcèlement.

— C'est parti !

Je me lève et enfile mon manteau. Mon sac sur l'épaule, je commence à le suivre.

— Mademoiselle Kervarec ?

La voix rauque me fige. Je rêve ou... Je me retourne doucement. Son regard de glace me transperce comme une multitude de poignards effilés. Un sourire suffisant se dessine sur ses lèvres. Je déglutis avec peine. Un silence gênant de plusieurs secondes s'installe. Je sens Matt passé de moi à cet inconnu.

— Tout va bien, mademoiselle ?

— Oui, me ressaisis-je, je vous prie de me pardonner.

Il hausse un sourcil.

— Certaine ?

— Oui, c'est juste que... vous... vous me rappelez une personne que j'ai connu dans mon pays, réponds-je mal à l'aise.

— En bien, j'espère ! sourit-il. Je suis Gabriel Simons. Votre manager. À votre retour de pause déjeuné, vous viendrez me voir. J'aimerais que nous fassions un point sur votre intégration.

— Bien sûr.

— Bon appétit à tous les deux !

Et il nous quitte sans plus de cérémonie. Je décide donc de suivre mon nouveau collègue, totalement intrigué par la scène qui vient de se jouer.

Le paladin aux émeraudesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant